Je ne sais plus lire le journal

Je ne lis plus la presse papier qu’en prenant le train ou l’avion – qui sont parmi les derniers environnements qui interdisent la connexion internet, et perpétuent le système aujourd’hui bien étrange d’une offre culturelle limitée et présélectionnée. Je me suis donc retrouvé récemment à feuilleter un exemplaire papier du Monde (donné gratuitement par la compagnie aérienne, mais néanmoins compté parmi les ventes).

Comme de coutume, lors de la confrontation avec ces dinosaures, je saute les pages et les articles, cherchant désespérément un contenu qui intéresse les moins de soixante ans parmi les pubs de montres tape-à-l’oeil ou de voitures diesel. Jusqu’à croiser un intitulé qui me cligne de l’oeil (« Un nouveau discours politique a émergé », par Henri Pena Ruiz – que j’avais en fait déjà lu en ligne…).

Au moment de commencer ma lecture, je suis interrompu par l’interposition d’un écran mental tout droit sorti de Twitter: mais qui donc m’a recommandé cette lecture? Désemparé par l’absence de réponse à ce nouveau réflexe cognitif, j’ai un moment de flottement – et passe à la page suivante… La dynamique si puissante et si claire de la recommandation est devenue mon premier filtre médiatique. Je ne sais plus lire un journal papier.

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La preuve par les Télétubbies

Hier soir, au moment de se coucher, j’évoque je ne sais plus pourquoi le dessin animé Le manège enchanté. On se retrouve évidemment avec Charles et Louis devant YouTube, à surfer d’Aglaé (et Sidonie) à Zébulon en passant par Chapi Chapo (apapo). Et puis, en se laissant porter par le marabout-de-ficelle de la plate-forme, voilà que surgissent les Télétubbies. Ce n’est plus mon enfance qui s’anime à l’écran, mais la leur. Leur premier programme télé, consommé en VHS (qui doivent encore traîner dans la cave), vers l’âge de deux ans.

On les a aimé, en famille, Tinky Winky, Dipsy, Laa-Laa et Po, sautillantes peluches toujours ravies, qui ont fait partie des premiers mots articulés par nos bambins. Et puis nous les avons oubliées. Une douzaine d’années plus tard, c’était la première fois que nous rouvrions ensemble la boîte à souvenirs.

Chatouillés par le générique, un peu émus, Charles et Louis s’esclaffent rapidement. Ils ne dansent même pas en rythme! Louis dit: maintenant, je ne vois plus que des gens dans un costume, qui s’agitent de façon ridicule. Et moi aussi, à côté de lui, je ne vois en fait que ça: les marques qui trahissent les défauts des rembourrages, et qui désignent les acteurs engoncés dans leur déguisement. Ils doivent avoir chaud! dit Charles. Continuer la lecture de La preuve par les Télétubbies

Carnet de campagne

Consécration du remix

Remarquable exemple de recyclage médiatique de conversation, les interprétations du mème « La France forte » par Libération (21 avril) et Le Nouvel Observateur (26 avril, Serge Ricco) témoignent de la productivité du détournement. Aucune autre affiche n’a produit une telle descendance. Tout se passe comme si le jeu appropriatif du mème avait ouvert l’expressivité de l’image initiale, devenue comme un puzzle à recomposer, une invitation au remix. La reprise en couverture de ces images, au sein d’organes dont le rapport à la culture de l’appropriation reste mesuré, atteste que la reconnaissance du mème est estimée suffisante pour constituer un motif légitime. Continuer la lecture de Consécration du remix

Le suicide de l'UMP fait les affaires du FN

J’entends depuis hier soir un concert de voix affolées d’amis stupéfaits de voir Marine Le Pen réaliser le même score que son père il y a dix ans (17,79% au second tour de l’élection présidentielle de 2002). Mais peut-on me dire quel miracle aurait entretemps effacé l’électorat frontiste du paysage? La crise a-t-elle été enrayée? Les élites ont-elles corrigé leurs penchants oligarchiques? A-t-on entrepris une action pédagogique pour éclairer ces brebis égarées?

Ah, j’oubliais! C’est Sarkozy qui aurait fait disparaître comme par enchantement le FN, en créant le ministère de l’Identité nationale et en renvoyant les immigrés chez eux. Mais le scrutin de 2012 montre bien que siphonner n’est pas la même chose qu’éliminer. Contrairement à ce que la propagande UMP voulait faire accroire, Sarkozy n’a rien fait disparaître du tout: il n’a fait que déplacer temporairement une fraction de cet électorat, dont les voix ont permis sa victoire en 2007. Continuer la lecture de Le suicide de l'UMP fait les affaires du FN

L'ombre de vidéogag

A quelques jours de la fin de l’ère sarkozyste, l’impression s’impose d’une accélération de la désintégration. Au réveil de ce cauchemar, la première question sera: comment ont-ils pu? A la crédulité et au cynisme, il sera évident aux yeux de tous que s’ajoute la complicité médiatique.

Combien de Unes, combien de décryptages qui n’analysent rien, combien de manières de faire de la musique avec du vent? Admiré ou honni, Sarkozy sera resté jusqu’au bout la bouée de sauvetage d’une presse qui se noie, le meilleur argument de vente de canards qui, comme le Grand Journal, ne savent plus exhiber que leur propre caricature.

C’est un long sevrage qui s’engage dès à présent, et laisse les médias orphelins. Les plus malins comprendront que la page qui se tourne est celle de la superficialité – que l’attente est immense d’analyses dignes de ce nom. Ce n’est pas avec les vedettes du quinquennat passé qu’on fera un journalisme qui mérite son salaire.

Qu’adviendra-t-il de lui? Le triste destin de DSK, devenu pâte molle pour amuseurs après avoir figé toute la France éditoriale, est une assez bonne préfiguration du sort qui l’attend. Il est savoureux que l’ancien homme fort du PS ait précédé le caïd de l’UMP sur le chemin qui mène au jeu de massacre: ils seront bientôt réunis par le sarcasme et la détestation qui attend les puissants déchus, d’autant plus moqués qu’ils ont été craints. De l’hystérique président ne restera à terme que l’ombre reflétée par vidéogag: la série des dérapages, lapsus et autres accidents indéfiniment reproduits sur Youtube.

Les leçons de cette débâcle peuvent être profitables. Si l’échec flagrant du césarisme comme méthode de gouvernement et du clientélisme comme outil de gestion politique pouvait vacciner la démocratie française, cette mandature n’aurait pas été complètement vaine.

Une certaine inattention

2007-2012, calendrier électoral identique. En haut, une photo des panneaux électoraux de mon bureau de vote, en banlieue parisienne, le 11 avril 2007, 4 jours après le début de la campagne officielle. J’habite un quartier résidentiel: les altérations des affiches restent modestes (voir l’enquête du Lhivic en 2007). Pas d’arrachage ou de lacération violente, mais une présence marquée de graffitis, qui montrent un certain degré d’interaction (cliquer pour agrandir).

En bas, même lieu, cinq ans plus tard, le 17 avril. On est presque une semaine plus loin dans le processus électoral, à cinq jours du premier tour. Pourtant, les affiches sont presque intactes. Un seul tract a été arraché. Difficile bien sûr de transformer en échantillon ces actes individuels non représentatifs. La météo est bien plus fraiche. Mais on ne peut s’empêcher de se demander si cette indifférence pour le matériel électoral n’est pas le symptôme d’une inattention pour le rendez-vous politique.

L'image aide à recycler la conversation

Micro-événement de la campagne: l’un des éditocrates les plus ridicules du PAF se vautre en direct sur France 2 (« Des paroles et des actes », 12 avril 2012, voir le compte rendu de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts sur Libération.fr).

Revendiquant le non-conformisme de son sarkozysme, il anticipe une réplique négative et répète: «Je vais en prendre plein la gueule demain sur internet».

Je n’ai pas suivi les réactions en ligne à ces déclarations. Mais je peux lire le lendemain les comptes rendus de l’événement sur Le Lab d’Europe 1, Arrêt sur images, NouvelObs.com, LeMonde.fr ou LeParisien.fr, qui intègrent plusieurs éléments de la conversation: sélection de tweets (repérés à partir des hashtags #dpda et #FOG), interventions sur la page Facebook de l’animateur, commentaires en ligne sur Facebook ou L’Express.fr (cités par LeMonde.fr). Continuer la lecture de L'image aide à recycler la conversation

Si Sarkozy m'était conté (2007-2012)

Petite compilation de couvertures mettant en scène le personnage Sarkozy, de 2007 à nos jours (cliquer pour agrandir). On observera ici qu’un seul et même visage peut raconter toutes les histoires, selon les choix de la rédaction. Du sourire à pleines dents à la colère, en passant par le doute, l’embarras ou la fatigue, les mines de l’acteur se conforment à la gamme des titres, qui lui imposent leur scénario. Le journalisme est aussi un art de la physionomie et de l’apparence.

De haut en bas et de gauche à droite: 1) L’Express, 23/08/2007; 2) Libération, 18/10/2007; 3) Paris-Match, 20/12/2007; 4) Paris-Match, 06/02/2008; 5) Le Point, 07/02/2008; 6) L’Express, 07/02/2008; 7) Libération, 21/04/2008; 8) Le Point, 17/06/2010; 9) Le Nouvel Observateur, 15/07/2010; 10) Le Nouvel Observateur, 09/09/2010; 11) L’Express, 03/10/2010; 12) L’Express, 29/10/2010; 13) Le Nouvel Observateur, 10/03/2011; 14) Le Point, 07/04/2011; 15) Paris-Match, 13/07/2011; 16) Marianne, 07/10/2011; 17) Le Point, 12/01/2012; 18) Libération, 30/01/2012; 19) Le Point, 16/02/2012; 20) Paris-Match, 29/03/2012.