Je ne lis plus la presse papier qu’en prenant le train ou l’avion – qui sont parmi les derniers environnements qui interdisent la connexion internet, et perpétuent le système aujourd’hui bien étrange d’une offre culturelle limitée et présélectionnée. Je me suis donc retrouvé récemment à feuilleter un exemplaire papier du Monde (donné gratuitement par la compagnie aérienne, mais néanmoins compté parmi les ventes).
Comme de coutume, lors de la confrontation avec ces dinosaures, je saute les pages et les articles, cherchant désespérément un contenu qui intéresse les moins de soixante ans parmi les pubs de montres tape-à-l’oeil ou de voitures diesel. Jusqu’à croiser un intitulé qui me cligne de l’oeil (« Un nouveau discours politique a émergé », par Henri Pena Ruiz – que j’avais en fait déjà lu en ligne…).
Au moment de commencer ma lecture, je suis interrompu par l’interposition d’un écran mental tout droit sorti de Twitter: mais qui donc m’a recommandé cette lecture? Désemparé par l’absence de réponse à ce nouveau réflexe cognitif, j’ai un moment de flottement – et passe à la page suivante… La dynamique si puissante et si claire de la recommandation est devenue mon premier filtre médiatique. Je ne sais plus lire un journal papier.
Lire les épisodes précédents
- « Small is beautiful (5): le journal papier« , 16/06/2008
- « Papa, c’est quoi ce journal?« , 06/04/2010
il me semble que cette dynamique de la recommandation existait aussi avant twitter ou facebook etc. et qu’elle émanait aussi de « réseaux sociaux » comme on dit aujourd’hui (même si la vitesse apporte avec elle ces maux de coeur comme en voiture, elle a(vait) cette puissance)(mais je lis papier parfois aussi : le problème avec le papier c’est que la rédaction comme l’actionnariat de ce papier de référence qui paraît l’après-midi a changé en même temps qu’apparaissaient ces « réseaux sociaux »)
La recommandation est aussi antique qu’Allah est grand! Toute la question est de savoir QUI recommande. L’offre culturelle nous proposait jusqu’à présent des bundle tout compris. Les réseaux sociaux permettent à chacun de composer son propre bouquet de recommandations – et de le modifier à loisir -, dans un espace-temps qui est non seulement compatible avec le rythme médiatique, mais qui peut même être plus rapide et plus réactif que lui! On peut vérifier par nos lectures que ça a vraiment tout changé…
Mais pourquoi avoir à tout prix besoin d’une recommandation sur un article précis ? Et si on remonte l’historique des recommandations des recommandations, on peut aussi trouver quelqu’un qui a lu l’article sur son journal… papier.
Implicite ou explicite, aucun message ne nous arrive sans recommandation. Lire un journal, c’est lire les articles recommandés par la rédaction. La force des réseaux sociaux est de permettre de sélectionner individuellement ses recommandeurs. Au bout d’un certain temps d’élaboration d’un bouquet (avec procédure de test par essai/erreur), on arrive à un système beaucoup plus performant, tout simplement parce qu’il est mieux adapté à nos souhaits ou nos besoins.
Par ailleurs, le partage ne concerne par définition que les sources en ligne. La question de leur disponibilité hors ligne n’est pas un élément pertinent du débat.
Je ne sais pas non plus lire le journal papier, mais à la différence d’André, je n’ai peut-être jamais su le lire; le format m’a toujours trop encombré, j’ai toujours été rebuté par le renvoi d’articles dans des tréfonds, par la langue journalistique, par l’incessant renvoi à eux-mêmes (pour comprendre l’article x, il vaut mieux avoir lu l’article w, et aussi l’article v, paru la semaine précédente, etc.). J’ai redécouvert la presse du jour où elle est parue en ligne, et où je n’avais plus à faire toute cette manipulation pour suivre un article du début à la fin.
L’écriture de presse favorisait déjà le survol dans la presse papier; aujourd’hui, on peut survoler (flux RSS), lire exhaustivement (article en ligne), lire et conserver (ReadItLater, Readability), conserver dans sa mise en page (Scrapbook, pour firefox) ou dans un autre agencement.
Pour moi, du point de vue de la maniabilité du texte, et de sa disponibilité (si l’on dispose des outils électroniques pour sa consultation, ce qui est un autre problème), le numérique a vraiment supplanté le papier.
J’adore chez le coiffeur, le dentiste ou un salon Air France lire un journal qui ne fait pas partie de mes lectures habituelles. La première recommandation d’un journal, c’est son titre. Lorsque je lis un article dans le Figaro, Gala ou Libé, je suis toujours conscient que je lis Libé, Le Figaro ou Gala.
Lorsque je zappe sur le net je perds très vite la notion que mon locuteur a une identité. Ce n’est que lorsque l’article m’interpelle que je vais chercher qui me parle.
J’aime l’image que le journal renvoie aux autres de ce que l’on est et de que l’on pense. Lorsque je prends le métro, que les gens lisent Libé, Le Monde ou Gala et je peux me faire des petits films sur qui ils sont, ce qu’ils pensent. De ce point de vue, la presse gratuite est une abomination qui a supprimé toute diversité dans les transports en commun.
J’aime la dimension physique de la presse papier. Devoir me battre dans le métro ou au bar d’un café pour faire un place à mon journal, lutter contre le vent en essayant de lire mon journal en marchant dans la rue. J’aime jeter rageusement mon journal tout froissé dans une poubelle. C’est un comportement qui relève à n’en pas douter du fétichisme, mais nul n’est parfait. 🙂
Et enfin, j’aime retrouver le spectacle du journal. Une mise en page décidée par le maquettiste et les journalistes qui s’inscrit dans l’histoire de la presse et qui ne change pas quelque soit l’endroit où j’achète mon journal. Sur Internet, selon mon navigateur, mon format d’écran ou la page d’où je viens, la police de caractères, sa taille, la mise en page, tout sera différent. Les articles se succèdent beaucoup plus qu’ils ne sont associés.
Sur le spectacle du journal, on est bien d’accord, c’est un trait que j’avais d’ailleurs noté dès 2008. A de rares exceptions près, les mises en page online sont laides et sommaires, et ne peuvent rivaliser avec les maîtres du genre, Libé ou les grands féminins. Cela dit, il y a aussi des journaux très laids: l’Express ou même Paris-Match sont aujourd’hui repoussants de dilettantisme, Le Parisien ou la plupart de la PQR sont à pleurer de mauvais goût et d’associations de couleurs criardes… In fine, ce qui est frappant pour le visualiste que je suis, c’est que cette dimension reste très secondaire… L’info, c’est avant tout du texte, que l’on consulte même en flux RSS pour sa pertinence, pas pour sa déco…
Pour revenir au titre de ton billet, tu ne sais plus lire le journal, mais de par ton activité professionnelle tu es quelqu’un qui aura toujours plus de choses à lire qu’il ne lui est matériellement possible de le faire. La préconisation, c’est la meilleur façon de lire utile, sans perdre de temps sur des chemins de traverse qui n’ont qu’un intérêt limité vis à vis de tes centres d’intérêts.
Mais lorsque l’on a la chance d’être un touriste de l’information comme moi, le bonheur du journal c’est de lire des articles qui ne m’intéressaient pas à priori, pour la seule raison qu’ils étaient imprimés sur un support physique au milieu d’autres articles qui m’intéressaient. Je n’aurais jamais cliqué sur ces articles, en raison de leurs sujets, s’ils étaient apparus dans un hyperlien lors de mes lectures sur Internet, et mes amis ne me les auraient jamais indiqués soit parce qu’ils ne sont guère différents de moi quand à leurs centres d’intérêts, soit parce qu’ils n’auraient pas supposé qu’ils pouvaient m’intéresser.
Bref en m’incitant à lire des articles non recommandés, le support papier me permet de d’être surpris, au moins de temps en temps.
Le billet ci-dessus ne constitue pas un jugement, juste un constat sur un état de fait: un modèle s’est progressivement imposé à moi. Puisque j’avais le choix à n’importe quel moment du processus, et qu’il est toujours moins énergivore de conserver un système acquis que d’en apprendre un nouveau, on ne peut déduire de cette évolution que la preuve d’une remarquable efficacité.
Ton hypothèse sur ma singularité de lecteur est flatteuse, mais contredite par le succès des réseaux sociaux, qui forment aujourd’hui les cabinets de lecture les plus étendus au monde. Maintenir chacun dans sa bulle est un reproche couramment adressé aux RS – mais à vrai dire, on ne voit pas bien ce qui permettrait d’en exonérer les organes classiques. Encore une fois, chacun se fait son bouquet comme il le désire. Pourquoi ce mode de fabrication interdirait-il d’introduire de la surprise ou de l’extériorité? Si tu as compris le principe, ton réseau en comportera en fait juste la dose que tu souhaites… 😉
« Si tu as compris le principe, ton réseau en comportera en fait juste la dose que tu souhaites… 😉 »
C’est vrai, mais tu supposes que je suis un sujet conscient capable de construire mon réseau social de façon rationnelle, en y introduisant la pincée de surprise ou d’extériorité qui lui donnera le sel que j’en attends. Je ne pense pas être plus autonome depuis qu’il existe des réseaux sociaux. Avant je choisissais de lire un journal en fonction de ce que lisaient mes parents, de mon niveau d’étude, de mon milieu social. Je suppose qu’il en est de même aujourd’hui lorsque je vais constituer mon réseau social, mon cercle de préconisation.
Mon ressenti, que je serais bien incapable de justifier par de quelconques données, c’est que l’offre culturelle limitée et présélectionnée que m’offre un journal est paradoxalement susceptible de créer plus d’accidents, de m’emmener lire des choses que je n’aurais jamais lu, précisément parce qu’elle est limitée et contrainte.
l’information papier ,
c’est direct
c’est sensuel
c’est rassurant
Il n’y a pas l’écran
reflet du jeu ,du paraître
que l’on sait trompeur
et miroir aux alouettes.
La presse papier c’est prendre le temps de la réflexion
c’est s’impliquer
et ressentir une véritable liberté
Tous les éloges ou les poèmes ne changeront rien au fait qu’aujourd’hui, lorsque je prends un exemplaire de Libé ou du Monde, j’y trouve tout au plus 2 articles qui m’intéressent – soit environ dix fois moins que ma séance matinale de veille Twitter/RSS, où je trouve aussi bien de l’information, de la réflexion, de la critique et une variété de points de vue infiniment plus large que dans n’importe quel journal papier. Faut s’y faire: l’avenir de la news est en ligne, le reste n’est plus qu’une habitude qui meurt…
@André : C’est un peu radical et logique.
Radical puisque moi je lis encore des articles intéressants dans la presse (Roman, histoire, art…) et d’ailleurs tout dépend de nos connaissances à un instant T (L’Histoire par exemple)
Logique puisqu’à moins d’être riche et d’avoir beaucoup de temps à y consacrer il est difficile d’acheter 10 journaux nationaux, 5 PQR, 10 revues, etc, etc