Le contraire de la photo, c'est encore de la photo

Le photographe Olivier Aubert critiquait récemment sur Acrimed une couverture du magazine Politis, dénonçant le recours aux banques d’images et à la logique du « low cost« . Même s’il ne prenait pas la peine de le préciser, le lecteur comprenait bien que, du haut de la noblesse du reportage et de la photographie d’information, de telles pratiques bassement illustratives ne pouvaient que susciter le mépris.

Voici maintenant une image passionnante: le visage grimaçant de Sylvio Berlusconi, choisi aujourd’hui par LeMonde.fr pour illustrer un nouvel épisode de la déchéance du cavaliere: sa comparution immédiate en procès pour abus de pouvoir et relations sexuelles avec une prostituée mineure (voir ci-dessus). Patrick Peccatte, qui avait déjà étudié  l’étape précédente du calvaire, sous la forme classique du facepalm, me signale que cette photo de l’Associated Press a déjà été utilisée par les Canadiens, plus rapides à la détente.

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Pour la révolution, tapez 1

L’image du jour n’est pas un extrait de la poussive émission présidentielle, mais la capture au Blackberry tweetée hier soir par le journaliste Nicolas Cori d’un brouillon d’éditorial pour Libération, avec cette légende: «Prévoyant, Joffrin avait fait deux éditos sur Moubarak. Voici celui qui va à la poubelle» (voir ci-dessus, cliquer pour agrandir).

On peut y lire l’annonce enthousiaste de ce qui se serait passé si le dictateur avait été démis hier soir: «Et de deux! Avec un courage hors du commun, le peuple égyptien a obtenu en dix-sept jours la chute d’un homme qui avait gardé le pouvoir près de trente ans. Les agressions des nervis, les intrigues de palais, les atermoiments de la nomenklatura militaire n’y ont rien fait. Le tyran a cédé. L’Egypte a gagné. Victoire!»…

La comparaison avec le texte publié ce matin permet de comprendre ce qui fonde l’exercice de l’éditorial, vigie qui surplombe l’actualité et indique les enjeux à venir. Pour le futur ex-directeur Laurent Joffrin, la faculté d’élaborer deux réalités imaginaires opposées résulte des contraintes pratiques du bouclage. Mais on ne peut qu’admirer cette illustration du journalisme comme il se fait, qui sait mettre chiffres et dates au service d’une capacité d’interprétation à proprement parler fabuleuse.

Une photo qui ne veut visiblement rien dire

A Culture Visuelle, nous avons pris la (mauvaise) habitude d’interpréter le surmoi médiatique à partir des messages cachés dans l’illustration. Mais si l’on essaie de décrypter le regard franc et le bon sourire du portrait choisi pour la promotion du nouveau directeur de la rédaction de Libération (ci-dessus, cliquer pour agrandir), ce qui frappe le plus est l’impression de neutralité affichée – également soulignée par les titres.

Au moment où les allées et venues du mercato agitent quotidiens en magazines, la venue de l’ex-animateur de la matinale de France-Inter, dont on sait qu’elle trouble les meilleurs esprits, est visiblement traitée avec des pincettes, sans mot de trop ni sourire qui en dirait trop long. A moins qu’il ne faille interpréter l’origine de la prise de vue reprise par les deux journaux (par Miguel Médina/AFP, le 6 septembre 2009 sur le plateau de C Politique sur France 5) comme le rappel discret de l’ADN audiovisuel du nouveau dirlo.

Mieux vaut être riche et bien portant…

Le site « Photos non contractuelles » a été signalé récemment par plusieurs de mes contacts. Celui-ci déclare recenser «les pires différences que l’on peut observer entre les publicités et la réalité» et appelle ses lecteurs à lui faire parvenir des photos.

«La ruine de la théorie indicielle», commente ironiquement un ami. Ce qui n’est qu’à moitié vrai, car si l’illustration de gauche est en effet supposée menteuse, la photo de droite a bien pour mission de rétablir la vérité en dévoilant l’image réelle du produit.

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Metaconversations

L’équipe des blogueurs animateurs de Culture Visuelle entretient également des liens étroits sur Facebook. Ce qui explique le peu d’usage du réseau social de la plate-forme, qui apparaît superflu. Mais cette situation permet aussi d’observer de plus près la fameuse articulation blogs/réseaux sociaux (habituellement interprétée sur le mode du « ceci tuera cela« ). Il arrive souvent qu’un billet génère deux conversations parallèles, l’une sous la forme habituelle des commentaires sur le blog, l’autre à partir du signalement effectué sur Facebook.

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Egypte: de la révolution dans les images

Traitement radicalement différent de l’insurrection égyptienne, qui a immédiatement donné lieu à une forte circulation d’images – images qui, précédent tunisien aidant, sont clairement présentées sous un angle révolutionnaire, même en l’absence de renversement du régime. On a accès à la fois à une couverture télévisée abondante par les JT français, les signalements de vidéos amateurs se multiplient sur les réseaux sociaux, et on aperçoit déjà des albums compilés de photos de presse (par exemple sur le Big Picture-like TotallyCoolPix)

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Comment entendons-nous le non-dit?

Il l’a dit. Enfin non, il ne l’a pas dit. Il l’a dit ou il l’a pas dit? Il a dit: « l’indicible ». Un terme qui renvoie à un implicite informulé mais présent à l’esprit de tous – sans quoi son emploi ne pourrait se justifier. Le dire sans le dire, le dire et ne pas le dire. Ça pourrait être une bonne définition de l’usage de l’image dans de nombreuses situations d’illustration, où le message principal ne peut être assumé explicitement, et où il est remplacé par cette forme de clin d’œil, de signe de connivence bien étudié par les spécialistes du lepénisme – où tout ce qui est indicible est entendu sans avoir été dit, avec la complicité des destinataires du message, qui procèdent à sa reconstitution in petto. Ce transfert de la responsabilité de la signification de l’émetteur au destinataire donne au premier la capacité de nier avoir formulé ce qui ne devait pas être énoncé. On peut donc comprendre le recours à l’implicite comme la construction sociale d’une fiction dont le bon fonctionnement repose sur la collaboration de tous les participants de la situation d’énonciation. (Merci à Céline pour son lien.)

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Big Brother est sympa

«Les dizaines, ça fait mal!» Me dit à brûle-pourpoint le contrôleur SNCF qui vient de scanner mon e-billet avec son appareil portable. «Vous inquiétez pas, moi je viens de passer les soixante, vous verrez, on s’y fait!», m’explique-t-il dans un grand sourire.

Pour apporter la réponse appropriée à cette proposition d’interaction sociale, j’ai environ une demi-seconde pour réaliser que le préposé vient d’avoir accès, via le flashcode de mon billet, à ma date de naissance (exigée lors de la réservation en ligne pour établir la catégorie de voyageur à laquelle j’appartiens). L’affichage du millésime 1961, qui annonce l’irrémédiabilité de mon cinquantième anniversaire, a réveillé chez lui le souvenir de son propre passage de décade, visiblement assez éprouvant pour qu’il tienne à me rassurer.

Pendant que la crainte du fichage se nourrit de l’hostilité pour Facebook, les pratiques réelles de circulation et d’archivage de nos données personnelles nous rendent chaque jour un peu plus transparents au regard des grands frères qui veillent sur nous.

Le populisme expliqué aux enfants

On aurait tort de minimiser l’affaire du dessin de Plantu (paru dans L’Express du 19/01/2011, voir ci-dessus). La lepénisation d’un responsable politique – son assimilation au personnage le plus méprisé de la vie publique française – est le plus sévère châtiment de l’establishment médiatique: elle correspond à une mise au ban dont on ne revient pas indemne.

Comme toujours, c’est une image qui est l’arme du crime. Non que l’association Marine Le Pen/Mélenchon n’ait pas fleuri ici où là, comme l’autre jour chez Demorand, qui sait comment chauffer son animal politique. Mais l’image – et plus encore la caricature – est ce vecteur d’un message à la fois parfaitement lisible et parfaitement hypocrite, car jamais assumé jusqu’au bout, autorisant le retrait derrière l’ambiguïté de l’interprétation ou la distance de l’humour.

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