Des images criantes de vérité

«Des images criantes de vérité», énonce ce matin le journaliste de France-Inter pour commenter le lancement de la nouvelle revue de photoreportage 6 Mois de Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry. Eh oui! On le sait, la photo ne fait qu’enregistrer la réalité, comme le fameux miroir que l’on promène le long de la route.

Pourtant, de droite à gauche, du Figaro (Une du 15/03) à L’Humanité-Dimanche (Une du 17/03), une même image, un même drame peut faire l’objet de lectures bien différentes. Que nous crie cette photo de Hiroto Sekigushi (AP)? « Le drame japonais menace l’avenir du nucléaire »? Ou: « Japon, ils supportent l’insupportable »? Peut-être qu’en vérité, elle ne dit rien du tout. Mais que, comme pour toute image, on a vite fait de parler à sa place…

En attendant la catastrophe

Pour traiter de la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima, le Monde.fr a remplacé pendant plusieurs jours sa maquette habituelle de Une par l’association d’un flux live (essentiellement composé de dépêches AFP et de leurs commentaires par les journalistes et les abonnés) et d’un couple titre/illustration régulièrement mis à jour, en fonction de l’évolution de l’actualité (cliquer sur le diaporama pour faire défiler).

Ce traitement de type breaking news, à ma connaissance le plus long du genre, s’est étendu de lundi à jeudi. Quatre longs jours d’attente de la catastrophe, qui ne s’est finalement pas produite – ou en tout cas pas selon le bon tempo. L’urgence s’éloignant, le site a repris ce matin son organisation habituelle.

A noter que ce genre de dispositif ne peut faire l’objet d’une sauvegarde selon les modalités classiques, et s’efface au fur et à mesure de son renouvellement.

Le séisme japonais sur Google Maps

Remarquable réactivité des services d’imagerie satellitaire de Google Earth/Maps, dont les équipes ont obtenu en urgence de leurs fournisseurs une série de vues postérieures au passage du raz-de-marée, permettant d’effectuer des comparaisons avant/après.

Cette iconographie peut être consultée en haute résolution soit sur des mises à jour de Google Earth/Google Maps, ou encore par l’intermédiaire d’un album Picasa. Le site d’ABC News propose également un diaporama avant/après à partir de ce matériel (voir ci-dessus). Ces images sont mises à la disposition des médias et des organisations travaillant sur le terrain. La comparaison est saisissante, et la vision des zones côtières comme nettoyées par la vague permet de saisir l’ampleur d’un désastre que les premières images avaient paradoxalement banalisé et atténué.

Oui, le sondage est une "photo" de l'opinion

«Il faut qu’elle croisse et que je diminue»: le visage géant de Marine Le Pen penché sur le petit président de la république qui fait la couverture de la dernière livraison de l’Obs (n° 2418, 10/03/2011) semble inspiré de la parole biblique (Jean 3, 22, 36).

Un seul hebdo à osé donner figure à la menace brandie par le fameux sondage Harris Interactive (( Sondage Harris Interactive réalisé en ligne du 28 février au 3 mars auprès de 1 618 personnes, publié le 5 mars par Le Parisien, donnant Marine Le Pen 1e à 23%, et Sarkozy et Aubry à égalité à 21%.)) qui a secoué la classe politique cette semaine – les hebdos de droite, Le Point et L’Express, ayant préféré faire l’impasse sur cette actualité un peu trop brûlante…

Montage formé d’une photo récente de Marine Le Pen par Philippe Sautier (Sipa) et d’un portrait plus ancien de Sarkozy par Christophe Guibbaud (Abaca), la composition sur fond noir et le regard douloureux de la présidente du FN donne un aspect dramatique à une confrontation dont on comprend qu’il ne faut pas la prendre à la légère.

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Pour une narratologie de l'information

Voilà du titre qui en jette! En tout cas pour un colloque… Mais est-il pertinent pour un petit billet rapidement griffonné? C’est ce qu’on va essayer de vérifier.

Il arrive souvent que des billets rédigés sur Culture Visuelle soient repris sur Owni. Depuis peu, la rédaction, qui comprend des journalistes professionnels, a entrepris de donner un tour un peu plus sexy à nos intitulés qui fleurent bon la craie et le tableau noir. C’est ainsi que le billet « Un Godard, du texte et des images: réflexions autour de l’épisode 2A des “Histoire(s) du Cinéma” de Pier-Alexis Vial est devenu: « Godard, le hackeur du cinéma »

Un toilettage qui ouvre de nombreuses questions. Je ne connais pas de narratologie du titre. Il semble que celui-ci soit généralement considéré comme une sorte de synthèse du contenu, sans que soit interrogé ni ses choix stylistiques ni la nature du rapport supposé lier l’un à l’autre. Pourtant, on voit bien qu’une modification de l’intitulé influe considérablement sur la perception du contenu. Lit-on le même article avec un titre différent?

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Comment être clairement ambigu

Buste au regard frontal, sérieux adouci d’un léger sourire monalisant, veste sombre sur fond blanc, bijou discret: le portrait épuré choisi par la rédaction du Monde dans son édition du 3 mars pour mettre en avant l’entretien exclusif avec la première secrétaire du PS joue clairement la carte de la présidentiabilité.

La publication de l’ouvrage collectif Pour changer la civilisation (Odile Jacob), le grand entretien donnant libre cours à une vague vaste réflexion d’ensemble, illustré d’une nouvelle photo spécialement réalisée pour l’occasion par Paolo Verzone (VU): tout concourt à donner à cette intervention de Martine Aubry l’allure d’un lancement de campagne.

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Self-made nécro

28 février. Apprendre la mort d’Annie Girardot par un signalement sur Facebook. Aller sur Wikipédia pour se remémorer sa filmographie, redécouvrir des pans inconnus de sa carrière. Visionner quelques extraits de films et interviews sur YouTube, tomber sur une chanson très société du spectacle. Search et ressources encyclopédiques font mieux que le sujet du JT du soir. Souvenirs en forme d’hommage, nécro self-made en 2011.

Le bio ne se dévore pas des yeux

Complément à la discussion sur l’imagerie alimentaire, esquissée ici. Alors qu’une visualisation généreuse nous paraît indispensable pour éveiller le désir dans le cas de l’aliment industriel, le produit bio adopte au contraire une stratégie de restriction visuelle, marquée par le rétrécissement voire la disparition de tout appel photographique, au profit d’un design volontairement appauvri ou « primitivisé ».

Le produit bio se mérite. Il faut manifester son austérité militante, gage de sa qualité. D’où la disparition de la photo dans son rôle traditionnel de figuration du produit, comme si la fonction même de représentation visuelle trahissait une contamination avec le gaspillage consumériste. Pour un produit tout aussi industriel et tout aussi marketé (mais sans pesticides), écarter la séduction de l’image, c’est suggérer que le produit se défend par ses seules qualités, en refusant la tricherie des apparences. L’absence d’image est encore une image.

L'art, c'est toujours un peu la même chose

Gros buzz sur les surimpressions de photos amateur de sites touristiques par Corinne Vionnet. Dont le principe confirme chacun dans l’idée que le touriste est un abruti dépourvu de toute imagination, qui ne fait que reproduire à l’identique ce qui existe déjà en cartes postales, ce qui est bien bête.

Mais où est la bêtise? Dans le fait d’ignorer que la construction des images du tourisme est un processus commencé il y a quelques siècles par les peintres et les graveurs, qui ont établi avant tout le monde les images de référence des sites? Dans la méconnaissance du mécanisme de l’appropriation qui permet à chacun de nous de transformer en expérience personnelle un spectacle institutionnalisé? Dans l’inconscience du caractère inédit du partage en ligne de ces images, qui crée de nouvelles circulations et de nouveaux usages? Ou bien dans l’oubli du caractère finalement très banal et très paternaliste des opérations de récupération par le Fine Art des productions industrielles ou amateurs, considérées comme un vulgaire matériau transcendé par le regard de l’artiste?

Peut-on vendre sur papier sans s'afficher en ligne?

Confirmation par sondage express à partir de l’échantillon Gunthert: Boulet (Gilles Roussel) est un nouveau grand de la BD! Déjà qu’on ne pouvait pas attendre pour acheter le cinquième volume de Notes, fraîchement paru (« Quelques minutes avant la fin du monde« , éd. Delcourt). Mais depuis qu’on l’a, c’est pire: on n’arrête pas de se le piquer, les gosses et moi, il a fallu instaurer un tour de lecture pour ne pas pourrir le week-end.

L’inventivité, le dessin, l’humour, l’auto-dérision: tout est parfait chez Boulet. Mais à ces qualités classiques s’ajoute un trait qui mérite qu’on s’y attarde: depuis l’origine, l’auteur partage ses Notes graphiques sur son blog, Bouletcorp – c’est là que je les ai découvertes en 2005.

Un tel exemple a de quoi rassurer tous les éditeurs inquiets de la concurrence web/papier. Non, le codex n’est pas redondant avec la lecture sur écran: il redonne du volume à l’œuvre, il en permet une consultation plus souple et une lecture plus confortable, il offre le plaisir de la possession. Les deux médias s’épaulent et se confortent. Ce qu’on a aimé en ligne, on l’aimera plus encore sur papier.

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