Voilà du titre qui en jette! En tout cas pour un colloque… Mais est-il pertinent pour un petit billet rapidement griffonné? C’est ce qu’on va essayer de vérifier.
Il arrive souvent que des billets rédigés sur Culture Visuelle soient repris sur Owni. Depuis peu, la rédaction, qui comprend des journalistes professionnels, a entrepris de donner un tour un peu plus sexy à nos intitulés qui fleurent bon la craie et le tableau noir. C’est ainsi que le billet « Un Godard, du texte et des images: réflexions autour de l’épisode 2A des “Histoire(s) du Cinéma” de Pier-Alexis Vial est devenu: « Godard, le hackeur du cinéma »
Un toilettage qui ouvre de nombreuses questions. Je ne connais pas de narratologie du titre. Il semble que celui-ci soit généralement considéré comme une sorte de synthèse du contenu, sans que soit interrogé ni ses choix stylistiques ni la nature du rapport supposé lier l’un à l’autre. Pourtant, on voit bien qu’une modification de l’intitulé influe considérablement sur la perception du contenu. Lit-on le même article avec un titre différent?
Un autre problème est bien illustré par la formule d’Olivier Beuvelet, qui estime que «la Une a par nature une vocation publicitaire». Il est tout à fait juste de faire le lien entre cette innovation inspirée de l’affiche et de la communication graphique qui donne au produit éditorial une forte identité visuelle. Mais ne pourrait-on pas affirmer de la même façon qu’un titre fait la publicité de son contenu – qu’il n’est pas seulement chargé de le résumer, mais bien de le promouvoir de manière frappante et convaincante?
J’ai envie de pousser le raisonnement un pas plus loin. La conception qui prévaut de l’information comme exercice neutre et objectif, sur laquelle tombent d’accord aussi bien les professionnels que les critiques du journalisme comme Acrimed ou Arrêt sur images, ne correspond tout simplement pas à la réalité que nous pouvons observer. Plutôt que de considérer que l’évolution des styles de la titraille, du rédactionnel ou de l’illustration constitue une dérive communicationnelle qui nous éloignerait d’une info straight qui n’a jamais existé, il me paraît plus pertinent de faire justice à la dimension narrative de l’information, qui ouvre à une véritable narratologie de l’énonciation médiatique.
Pourquoi réserver l’étude des systèmes narratifs aux seules œuvres de fiction, en faisant semblant de croire qu’il existe un régime d’énonciation neutre qui caractériserait la science ou l’approche documentaire, alors que ces pratiques descriptives ne font que recourir à des registres rhétoriques qui, comme le style documentaire bien décrit par Olivier Lugon, ont précisément pour fonction d’organiser la fiction de l’objectivité?
Il n’existe pas d’information sans mise en forme. La concurrence de l’économie de l’attention accentue sans aucun doute la pression sur la performativité des titres ou des illustrations d’appel, facteurs décisifs de l’appareil de valorisation des contenus. Mais cette inflation ne fait que confirmer qu’il est dans la nature de ce dispositif de tenter de nous séduire.
Il n’y a pas de raison d’empêcher l’inflation de l’expression pour rendre le message un peu plus audible. Il n’y a pas de raison de ne pas exacerber l’apparition d’une image plus colorée pour attirer un peu plus le regard. Il n’y a aucune raison de ne pas compresser le son pour qu’une station de radio soit plus audible. Pourquoi ne pas crier plus fort pour se faire entendre. Et puis, si le voisin se met sur la pointe des pieds pour mieux voir, pourquoi ne me lèverais-je pas?
Tout ces épi-phénomènes, à terme, ne change rien à l’ENSEMBLE des messages envoyés dans les airs, sur le papier, sur la toile. Il n’y a que le niveau qui a changé. Et dans la forme qui se trans-forme, c’est juste une modification de la perception d’ensemble, c’est juste la constatation de l’évolution de la forme à une époque donnée. In fine, tout le monde aura franchi le pas, on se sera un peu éloigné de l’expression d’origine pour arriver à la même chose, pour l’ensemble des acteurs, mais dite autrement. C’est l’air du temps, alors que le temps, lui, ne change pas. Bien sûr, dire ça ou rien…
Cette narratologie ne devrait-elle pas étudier les phénomènes d’associations utilisé pour rédiger ces titres d’accroche : un mot en amenant un autre, ou une situation en évoquant une autre, mais sans que le lien soit nécessairement très serré… ?
A titre d’exemple d’une connexion très, très, très lâche entre l’événement relaté et son incidence réelle sur une situation donnée, cet article lu sur le Houeb 😉 visité à partir d’une accroche sur la page d’accueil de lemonde.fr.
Si quelqu’un peut expliquer le validité de l’emploi du mot « comment » dans le titre…
http://elysee.blog.lemonde.fr/2011/03/10/comment-houellebecq-et-mariani-ont-aide-a-liquider-le-secretariat-d’etat-a-l’immigration/
@DG: Cas un peu particulier, on voit bien que la plupart des commentaires du billet critiquent la présence bizarre et apparemment non justifiée de Houellebecq dans le titre. Comme de coutume, aucune réponse du journaliste à cette heure.
En revanche, on peut discuter de l’intitulé de forme « Comment… », qui représente effectivement un syntagme particulier, qui me paraît utilisé surtout depuis les années 1990, accompagnant l’essor d’un journalisme qui privilégie « les solutions pratiques » (autre gimmick de ce genre, l’adjectif: « malin »). Un titre en « Comment… » est la promesse d’une explication pragmatique, souvent sur une question supposée récurrente (voir également une déclinaison actualisée de ce mode avec la rubrique « L’explication » sur Slate.fr).
Il existe aussi des formes stéréotypées d’intitulés scientifiques. Il y a eu dans les années 1980 la mode des titres en miroir, du genre « Image du pouvoir ou pouvoir de l’image » – qui était en général une indication assez fiable d’un questionnement attrape-tout et d’une absence de maîtrise du sujet. Le titre « Pour un ceci du cela », lointainement inspiré de la phraséologie militante, fonctionne toujours comme l’indication d’une rupture épistémologique supposée, puisqu’elle défend l’introduction d’une approche non encore attestée.
La forme stéréotypée en miroir, le chiasme, est une figure de rhétorique souvent employée par Marx. À noter aussi les récents et un peu énervants De quoi X est-il le nom ? et blablabla, ou pas.
Court billet qui soulève une vraie question « hyper » (C’est le mot à la mode) intéressante. Je reste un peu sur ma faim, mais partage plutôt votre point de vue.
Il y a aussi cette autre question: quel impact de l’utilisation des moteurs de recherche dans la rédaction des titres ?
J’avoue que je cherche toujours a mettre le bon mot-clé dans mes titres, mais cela complique beaucoup la rédaction. Dans mes billets de blog « A l’oeil » dans le Club Mediapart, si je n’écris pas « photo », photojournalisme, photographie dans le titre, je perds la potentialité de nouveaux lecteurs… C’est un constat, je n’ai pas de solution, ni d’idée préconçue sur le sujet.
Et vous ?
@ Patrick Peccatte : « La forme stéréotypée en miroir, le chiasme, est une figure de rhétorique souvent employée par Marx » : tout à fait, et avant lui par Hegel et après lui par Debord, notamment.
@Michel Puech: Les mots-clés des titres jouent bien sûr un rôle dans le SEO, mais depuis que Google cède la place aux recommandations des réseaux sociaux, ce paramètre me paraît moins déterminant aujourd’hui.
Par ailleurs, la recherche de la fréquentation pour la fréquentation n’est pas forcément une stratégie pertinente à long terme sur le web. Ma conviction, fondée sur l’expérience, est qu’il est plus intéressant d’avoir un cercle moins large mais des interlocuteurs plus concernés.
Les rédacteurs de blogs associés à un média étant rémunérés au pourcentage des recettes publicitaires qu’ils génèrent (même si ils sont journalistes) on comprends aisément que les titres qu’ils rédigent soient prévus pour donner envie d’aller voir.
L’audimat comptabilisation des flux tient ici lieu de légitimité même si le pourcentage des lecteurs qui ne finissent pas un billet ou article ou restent sur leur faim n’est parfois pas négligeable…