Comment être clairement ambigu

Buste au regard frontal, sérieux adouci d’un léger sourire monalisant, veste sombre sur fond blanc, bijou discret: le portrait épuré choisi par la rédaction du Monde dans son édition du 3 mars pour mettre en avant l’entretien exclusif avec la première secrétaire du PS joue clairement la carte de la présidentiabilité.

La publication de l’ouvrage collectif Pour changer la civilisation (Odile Jacob), le grand entretien donnant libre cours à une vague vaste réflexion d’ensemble, illustré d’une nouvelle photo spécialement réalisée pour l’occasion par Paolo Verzone (VU): tout concourt à donner à cette intervention de Martine Aubry l’allure d’un lancement de campagne.

Tout, sauf le texte, qui reste d’une prudence de sioux et ne franchit jamais la ligne jaune. Au diapason avec la communication du PS, rien ne dit que Martine Aubry va déclarer sa candidature aux primaires socialistes («La première secrétaire du PS dévoile les priorités du projet socialiste», «Dix jours après l’offensive de Dominique Strauss-Kahn, la première secrétaire marque son territoire», etc…).

C’est donc à l’image de Une qu’échoit la fonction subliminale de suggérer sans le dire qu’une étape est franchie dans la présidentialisation de Martine Aubry. Ce jeu qui fait écho au tour de chauffe non moins jésuite de DSK fait partie des rituels de campagne auxquels les Français sont habitués: il sollicite une lecture au second degré, sur le mode d’une complicité implicite avec le lecteur: vous savez bien que nous ne pouvons pas l’écrire, mais nous savons que vous comprenez ce que nous voulons laisser entendre.

Evidemment, ce petit théâtre d’un dévoilement qui ne dit pas son nom jure un peu avec les protestations de clarté de la première secrétaire («Pour 2012, les Français sont en attente de sens, d’éthique, de vérité»). On retrouvera en revanche la pratique assumée du double langage dans le déni du rapport accablant rédigé par Arnaud Montebourg à propos du patron de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini. Changer de civilisation, oui – changer le PS, pourquoi faire?

3 réflexions au sujet de « Comment être clairement ambigu »

  1. je ne me rends pas bien compte, mais est-ce une illusion que de croire que le quotidien de référence paraissant l’après-midi se rallie au culte de la personnalité pipol et, d’un seul mouvement, perd cette superbe neutralité (probablement bienveillante) peut-être gaullienne, siriussienne à tout le moins, à l’égard des partis ? Ou resté-je très quatrième république ? (d’ailleurs, il ne me semble pas que les atours de la féminité aient été choisis ici pour illustration de cette fille à papa) (ce que j’en dis, c’est juste pour jeter un peu d’huile sur le feu socialiste qui couve en chacun de nous) ( quelle alternative…) 🙁

  2. Martine faisant actuellement dans le genre Mélanchon soft avec les journalistes, je me suis demandé si ce n’était pas parce que c’était tout ce qu’elle avait donné au photographe. Puis j’ai été voir sur la page du photographe Paolo Verzone (Vu) http://www.agencevu.com/photographers/photographer.php?id=95
    C’est manifestement le genre de portrait qu’il affectionne actuellement. La question donc maintenant c’est qui a choisi le photographe? Martine ou Le Monde?

  3. @PCH: Euh, cela doit faire longtemps que tu n’as pas feuilleté Le Monde, qui a un peu bougé depuis Beuve-Méry 😉

    @Thierry: Le photographe est évidemment choisi par Le Monde, qui a programmé une séance de prise de vues liée à la publication de l’entretien pour disposer d’un ou plusieurs portraits inédits – traitement éditorial haut de gamme qui atteste de l’importance accordée à cette intervention. Tu peux apercevoir ici la 2e photo publiée de cette séance, plus personnelle et plus anecdotique.

    Celle qui avait d’abord estimé qu’«il n’y a rien dans ce rapport» vient de décider de créer une commission d’enquête sur la fédé des Bouches-du-Rhône. Pas trop tôt…
    MàJ du 07/03: La réponse de Montebourg à Aubry reproduite ici.

Les commentaires sont fermés.