De Balzac à Freud en passant par Bergson, les principes de fonctionnement des cameras photographiques ou cinématographiques ont largement alimenté la pensée théorique ou la spéculation intellectuelle. Lorsqu’arrive la télévision, on ne voit guère d’écrivain ou de philosophe recourir à ce nouvel objet technique pour décrire ou illustrer un phénomène.
Ce processus s’est reproduit avec la transition numérique. Alors que la matérialité du support photographique a nourri bien des récits, la méconnaissance du fonctionnement des photocapteurs a empêché de les intégrer à des schémas explicatifs à caractère culturel. Comme la télé, le CCD est resté un objet strictement technique.
La fécondité narrative ou intellectuelle d’un dispositif technique repose visiblement sur sa simplicité (ou le cas échéant sa simplification). On voit bien que, du photographique, c’est principalement le schéma optique et le modèle de l’empreinte qui ont alimenté l’imaginaire. Plus difficile à comprendre, la partie relative au développement de l’image latente est restée en retrait. La technique qui parle aux intellectuels demeure assez largement newtonienne. Une machine newtonienne est une machine aimable, dont on peut ouvrir le ventre et dont les fonctionnements, comme ceux de l’antique mécanique, ont l’air de pouvoir être appréciés à l’oeil nu. Le passage à l’électron rend la machine opaque. Seul le technicien y aura désormais accès. Et les philosophes qui se hasarderont à en invoquer les principes se feront taper sur les doigts.