Renverser Sarkozy?

Rien de tel que des sondages au plus bas pour donner libre cours à l’imagination illustrative! Dans la série des exercices de style auxquels se livre la presse sur la personne du chef de l’Etat, le numéro du 15 juillet du Nouvel Observateur fournit un intéressant doublé. En couverture, une curieuse image renversée, soulignée par l’intitulé: « Comment il en est arrivé là », sans date ni crédit. Il s’agit d’une version retournée et détourée sur fond rouge du portrait officiel du président de la République, réalisée par Philippe Warrin le 21 mai 2007.

En pages intérieures, l’ouverture de l’article superpose le même titre à une photo par Marin Ludovic (Réa) qui montre un Sarkozy grimaçant, l’air préoccupé ou contrarié, sans précision de contexte. Il s’agit ici d’une image issue de la remise de gerbe devant la statue du général de Gaulle, le 8 mai 2010 à Paris. Ce jour-là, de nombreux photographes n’avaient pas manqué de repérer le jeu formel créé par l’alignement de Sarkozy avec l’interstice rectangulaire ménagé dans le socle du monument. Cet enserrement du personnage présidentiel dans le couloir formé par les deux parois avait déjà été exploité, par exemple par Le Point pour sa couverture du 17 juin, intitulée « Est-il si nul? » (photo Gilles Bassignac/Fédéphoto, voir ci-dessous).

La rédaction a-t-elle hésité entre la photo de Ludovic et l’inversion du portrait officiel pour illustrer sa Une? Strictement décontextualisées, ce qui permet une lecture allégorique, ces deux compositions proposent deux variantes du même récit, dont le sens reste similaire, mais dont les connotations diffèrent. La deuxième présente une vision plus sombre, en raison de la grimace de circonstance du président, mais aussi d’une accentuation du contraste – qui a accessoirement modifié la couleur de la chemise (bleu clair sur les photos officielles du site de l’Elysée).

Est-ce parce qu’une image similaire avait déjà été choisie en couverture peu de temps auparavant que l’Obs a préféré le portrait inversé? Celui-ci déploie une dimension plus interrogative et ludique, suggérant que Sarkozy a tout fait à l’envers, ou bien qu’il est aujourd’hui au plus bas. L’inversion est une proposition puissante, qui crée une sorte de contrariété visuelle, poussant à manipuler le magazine pour redresser l’image. A ma connaissance, c’est la première fois qu’on représente un chef de l’Etat la tête en bas. Une insolence aggravée par le fait que ce retournement s’applique au portrait officiel, et qui n’est pas sans rappeler la poupée vaudou à l’effigie du président.

8 réflexions au sujet de « Renverser Sarkozy? »

  1. Bien vu, André…
    Image impressionnante qui évoque aussi la peinture de Baselitz qui renverse ses tableaux dans les lieux d’exposition pour attirer l’attention sur le statut du tableau et mettre en question les conventions du regard pris dans le dispositif de l’exposition… Ici, le fait que ce soit la photo officielle et qu’elle soit détourée montre aussi une chose, c’est que l’image de Sarkozy n’est plus en lien avec une quelconque réalité, il n’y a proprement plus rien dans son image, ou plutôt, il n’est plus qu’une image sans référent, c’est-à-dire un pur mensonge… En le renversant, le journal met en question son image officielle de président et invite le lecteur à chercher un référent, une réalité derrière son apparence… Maintenant regardons tous ce président comme une représentation, une pure image, un artifice…

  2. Si on colle la tête en bas le timbre à l’effigie du roi des Belges sur une enveloppe, on a une amende (paraît-il)

  3. Si, si…André… l’image a bien un référent !

    cette conclusion de l’interview de marcel Gauchet au Monde.fr

    « La plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il n’a pas le sens de l’institution. Le côté privé du personnage prend toujours le dessus. Il n’arrive pas à être un homme d’Etat. »

    http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/07/17/marcel-gauchet-cette-affaire-reactive-le-contentieux-entre-le-peuple-et-les-elites_1389208_3224.html

    pour la suite du Story telling, l’affaire Bettancourt est peut-être une bonne nouvelle, in fine..

  4. @Caroline : très joli. Ca permet de lire le titre tout à fait autrement. C’est le Nouvel Obs qui a la tête à l’envers, d’où la question — Comment en est-il arrivé là ?
    On peut même y voir une généralisation de la question : comment en est-on arrivés là ?

    Il faudrait quand même poser la question au buraliste lui-même, qui donnerait peut-être une tout autre interprétation…

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