Du temps de Winkelmann, les Allemands lettrés croyaient que les Grecs étaient tous beaux et sveltes. Ils en jugeaient à partir des copies d’antiques, Vénus Médicis ou Apollon du Belvedère, dont la plastique idéale s’offrait en modèle à la pratique des beaux-arts. Jamais la photo n’a été aussi proche de la statuaire que dans les exercices graphiques auxquels se livrent les journaux féminins d’aujourd’hui, qui dotent les icônes publicitaires de corps inaccessibles.
Pendant que certains croient utile de dévoiler le caractère improbable d’une telle perfection, l’industrie cosmétique va chercher l’emblème d’une nouvelle efficacité correctrice du côté de la retouche photographique. Dans un article intitulé « Teint pixel, peau nickel », le dernier numéro de Marie-Claire vante les qualités de traitements qui « retouche(nt) notre peau comme sur photo numérique » (n° 689, janvier 2010). Camouflages de pores dilatés, corrections matifiantes, comblement des ridules aux polymères: c’est Photoshop en crème ou en gélules, qui donnera à notre peau la douceur d’une protection pour mobile, le toucher soyeux d’une joue de poupée. La chair est faible. Dans l’univers de Surrogates ou d’Avatar, rien ne vaut le silicone.
C’est là qu’on voit toute la limite (et toute la perversité, en tant qu’homme qui ne vit pas ce diktat permanent et débile) de la publicité rédactionnelle/journalistique que constituent les magazines féminins. En effet, les traitements ici vantés chez Marie Claire « retouche(nt) notre peau comme sur photo numérique » … mais ne doutons pas une seconde que la demoiselle de la photo, censée illustrer l’efficacité desdites crèmes, est (très) lourdement retouchée par l’outil informatique.
Le diable se mord la queue de fort belle manière. L’homme ne change pas, décidément, et chacun peut se persuader de tout (dans le genre, les grecs de l’antiquité comme les statues, c’est pas mal, ce serait comme penser que les Florentins du XVIème étaient tous comme les modèles sublimés par Michel-Ange) . Ce qui arrange bien les innombrables vendeurs de rêve qu’a toujours compté notre espèce.
Il est intéressant de voir que ce rapprochement entre retouche numérique et cosmétique pour parfaire la beauté feminine a été mis en place il y a un certain temps, chez Vogue en particulier… Je prépare un petit post sur l’apparition de ce jeu de vocabulaire 😉
Le parallèle établi entre la vision Winckelmannienne de la beauté grecque et l’exigence esthétique des modèles peuplant les pages des magazines féminin me semble tout à fait pertinente d’autant plus qu’elle révèle un phénomène qui mériterait d’être questionner plus en détail.
Ce que nous apprend cette comparaison dans un premier temps, c’est que depuis la Grèce classique jusqu’à nos jours, l’homme préfère la beauté à la laideur. Constat d’une banalité assommante mais qui mérite sans doute d’être rappelé en ces temps de méfiance vis-à-vis de toute tentation esthétisante, celle-ci étant systématiquement soupçonnée dans le meilleur des cas de déviance « décorative » et dans le pire de relent réactionnaire. Il semblerait, en effet, que depuis les années 60 environ (je vais très vite), ce soit établie dans le champs des arts plastiques puis dans l’ensemble de la société une sorte de fétichisme de la laideur illustrée notamment par un culte du corps malade ou souffrant, dans lequel on peut certes voir une survivance de la fascination du corps du christ supplicié mais que j’interprète pour ma part plutôt comme étant un mouvement de réaction vis-à-vis d’un naturalisme et d’un réalisme dont la dimension héroïque aurait été frappée de discrédit par l’utilisation malheureuse qui en a été faite par les totalitarismes du XXième siècle. Peut être serait-il temps de sortir de ce manichéisme réducteur et de reconsidérer ces questions la tête reposée. D’autre part, j’entends bien le chœurs des voix m’objectant le fait que le spectacle continu et permanent de ses corps parfaits et de ses plastiques de rêve provoque immanquablement un sentiment de frustration et de mal-être intolérable chez nos contemporain(e)s et en fait des images sataniques créatrices de désordre psychologique, voire social. Ce qui leur est reproché en somme est leur dimension discriminatoire. A cela je répondrais que ces images doivent être prises pour ce qu’elles sont et rien d’autres, c’est à dire des images symboles, des icônes, et en aucun cas des images documentaires ou à quelques velléité réaliste, ce qui fait une grande différence. S’il est aussi vrai que les beautés qui s’étalent de nos jours sur les pages des magazines semblent aussi irréelles que celle de la Venus de Milo ou du Laocoon, cela souligne bien qu’elles ne représentent en aucune manière un modèle auquel il serait possible de se conformer mais plutôt un idéal vers lequel tendre. Ce n’est pas une beauté humaine qui se trouve figurée dans les courbes de ces corps mais la beauté en soi, l’idée de la Beauté. Finalement, quelle différence peut-on établir entre les retouches exercés par les graphistes sur l’anatomie de nos chers mannequins et le geste de Zeuxis choisissant les cinq plus belles jeunes filles de Crotone pour figurer la beauté parfaite de Junon? L’homme aime le spectacle du beau et se réjouit de sa contemplation car, comme nous l’apprend Platon, son spectacle nous élève. Là réside la dimension philosophique de la Beauté
Certains y verront, à raison, une réification du corps féminin transformé en réceptacle de nos pulsions libidinale et nous livrant sans défense à la violence de la dialectique de l’avoir. J’y verrai aussi pour ma part l’expression de l’éternelle fascination qu’exerce sur nous la beauté et de ses manifestations les plus fantasmagoriques. Que tout homme qui ne s’est jamais retourné, dans la rue, comme hypnotisé par le spectacle de la beauté dans son éclatante jeunesse me jette la première pierre.
En effet, si les cosmétiques permettent (enfin!) d’obtenir en « vrai » les mêmes effets que photoshop sur les photos, alors la boucle est bouclée!
Le « pomme z » dans la vraie vie! les mauvaises nuits, les excès, les soucis, les rires : effacés! plus de traces.Le rêve!
Nous allons pouvoir nous réinventer en permanence, ne plus vieillir et devenir/rester enfin « beaux » et jeunes pour toujours.
Je ne pense pas que cela relève de l’idéal, mais plutôt du fantasme, d’un narcissisme pas dépassé .
Nous nous regardons beaucoup (ahlala, choisir sa photo de profil sur FB!!…) La pub et les magazines nous regardent, se renseignent sur ce qui est beau, sur qui est beau. Et la réponse est, ici en l’occurrence, une femme ultra lisse, sans trace, pour qui tout est encore possible (à part manger peut-être…). Voilà ce que nous pouvons être, comment nous pouvons être : figés dans l’éternité du possible.