Des fantômes qui bougent encore

Remarquable conjonction du rarissime déplacement des deux principales reliques des origines de la photographie cet été: la sortie des réserves de la Société française de photographie du plus ancien daguerréotype conservé de Daguerre, daté de 1837, exhibé pour la première fois depuis des décennies à l’occasion de la remarquable exposition proposée par Luce Lebart au festival d’Arles, et celle de la seule héliographie photographique conservée de Niépce, datée de 1827, conservée depuis 1973 à l’université d’Austin, Texas, et exposée depuis quelques jours à Mannheim dans le cadre d’une présentation de la collection Gernsheim (« Die Geburtsstunde der Fotografie. Meilensteine der Gernsheim-collection« , Reiss-Engelhorn-Museen, 09/09/2012-06/01/2013).

Une sortie qui permet de constater que l’état visuel de ces deux pièces historiques a malheureusement convergé vers une à peu près complète invisibilité. Helmut Gernsheim a raconté ses déboires pour arriver à produire une copie photographique d’un document si peu lisible que c’est une image  largement retouchée à la gouache qui a orné pendant des décennies les histoires de la photographie (( Cf. Helmut Gernsheim, « La première photographie au monde« , Etudes photographiques, n° 3, novembre 1997.))… Quant au daguerréotype, encore distinct en 1920, il a subi un éclaircissement marqué au cours du XXe siècle, probablement dû au vieillissement ainsi qu’à des tentatives malencontreuses de restauration au cours des années 1980.

3 réflexions au sujet de « Des fantômes qui bougent encore »

  1. Pour l’avoir vue il y a trois jours à Mannheim, l’héliographie de Niépce est certes difficilement visible, il faut trouver le bon angle, mais je n’irais pas jusqu’à parler d’une ‘à peu près complète invisibilité’. Le fait qu’elle soit, en effet, très difficile à reproduire (et la reproduction la plus connue a en effet été améliorée à l’aquarelle) n’implique pas qu’elle est invisible. Elle m’a semblé d’ailleurs plus visible (mais c’est aussi dû aux conditions d’éclairage) que le Daguerre cet été à Arles.
    Par ailleurs, c’est un détail, mais la collection Gernsheim est à l’Université du Texas à Austin depuis le 15 mai 1964, pas depuis 1973, d’après la biographie de Gernsheim par Claude W. Sui.

  2. Voici comment Gernsheim lui-même raconte sa première vision de l’héliographie:

    « Lisant dans mes pensées, Mrs Pritchard se leva et me tendit un joli miroir, serti dans un grand cadre doré, en disant: «Voilà. Vous allez être décu, mais je vous avais prévenu: il n’y a plus rien sur l’image.» Je fus déconcerté. Je ne m’étais pas attendu à un miroir, pas plus qu’au cadre Empire enserrant la plaque comme s’il s’était agi d’un tableau. J’allai à la fenêtre, en cherchant le bon angle avec la lumière, ainsi qu’on le fait avec les daguerréotypes. On ne voyait pas d’image. J’augmentai l’inclinaison ­ et d’un coup toute la vue de la cour se dévoila à mes yeux. »

    Dans certaines conditions de luminosité, on peut encore apercevoir une ombre d’image sur le daguerréotype… La visibilité si problématique des plus anciens essais photographiques, que le billet ci-dessus souligne, a été jusqu’à il y a peu camouflée par leur représentation publique sous forme de reproductions noir et blanc déjà anciennes, qui restent la façon la plus courante de les montrer (par exemple sur Wikipedia). La sortie de ces incunables permet de restituer l’expérience de leur quasi invisibilité, qui est évidemment un beau paradoxe, s’agissant des plus anciennes traces des procédés photographiques…

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