Souvenons-nous du monde avant internet

Mon beau-père, allemand, m’a envoyé récemment un courrier pour me signaler l’exposition à Mannheim du plus ancien essai photographique conservé, le fameux « point de vue du Gras » de Niépce, montré pour la première fois en Europe depuis soixante-dix ans. Avec sa carte d’accompagnement et sa coupure de presse, cet envoi a la forme classique d’un signalement du XXe siècle (voir ci-dessus). L’effort mobilisé le réservait aux nouvelles d’importance. Je ne recevais que quelques envois semblables par an.

Les interfaces numériques et la mise en ligne des contenus ont permis de réduire à quelques clics cette opération, devenue la brique élémentaire de l’échange social. Si je tente d’évaluer le nombre de signalements dont je prends effectivement connaissance par le biais des réseaux sociaux, l’ordre de grandeur de la multiplication est largement supérieur à 1000.

Une comparaison terme à terme est évidemment impossible, car les outils de communication ont modifié l’ensemble de notre rapport à la connaissance. Mais si j’isole cette expérience devenue rare, c’est pour mettre en évidence le dénuement informationnel que le fétichisme de la déconnexion nous fait un peu vite oublier.

La déconnexion est un nouveau trend, dont le livre, Alone Together (2011), par Sherry Turkle, professeur au MIT, est l’étendard: les jeunes, constamment en train de s’échanger des like sur Facebook, perdraient tout intérêt pour les valeurs authentiques de la vraie vie, comme la science et le New York Times.

Ces jeunes sont énervants. « Comment faisiez-vous avant internet? » demandent-ils ironiquement à leurs parents, qui n’ont connu cet outil qu’à l’âge adulte. Eh bien, il faut l’avouer sans détour: nous étions beaucoup plus bêtes qu’aujourd’hui, et nous n’en avions pas conscience. Réécouter une chanson entendue à la radio restait souvent un effet du hasard, retrouver la référence d’une bande dessinée ancienne était une entreprise insurmontable, et comparer des extraits de films un tour de force réservé à quelques virtuoses experts. D’où un principe contraint et forcé de modération de la curiosité, qui s’appliquait de façon très générale au spectacle du monde.

Cet été, à l’occasion d’un séjour à l’étranger, je me suis trouvé pendant une semaine en situation de déconnexion forcée. Ce qui a eu deux conséquences. La première, de laisser mon smartphone pendant presque toute la période sur le rebord de la cheminée (ben oui, il ne pouvait servir qu’à téléphoner). La seconde, d’affronter la vie comme si j’étais aveugle, sourd et muet. Quel temps fera-t-il demain? Quelle est la forme de la côte? A quelle distance suis-je du rivage? Comment s’appelle cet oiseau? Comment s’explique la configuration de ce massif? Quelle est l’histoire de ce quartier? Que signifie le nom de cette rue? Boulet a-t-il posté une nouvelle note? Ai-je des commentaires sur Culture Visuelle?

Pendant toute cette semaine, je me suis aperçu, médusé, de toutes les questions que j’avais pris l’habitude d’adresser à mon environnement, sachant que j’avais de grandes chances d’obtenir un résultat. La puissance documentaire d’internet a élargi le monde et augmenté notre vision dans des proportions inimaginables. Plus que des réponses, le savoir infini du web nous a appris à ne plus jamais refuser de nous demander comment, qui et pourquoi. Plus encore que la connaissance, il nous a apporté un émerveillement, une vigilance et un questionnement inépuisables. Alors chaque fois qu’un pédant vante la déconnexion avec les trémolos du retour aux sources, souvenons-nous de tout ce que nous aspirions à savoir, de tout ce que nous étions malheureux de ne pas comprendre, et de tout ce que nous n’osions même pas demander.

39 réflexions au sujet de « Souvenons-nous du monde avant internet »

  1. Merci André pour le rebond ! Pour aller dans ton sens, je peux affirmer que beaucoup de personnes que je côtoie régulièrement depuis plus de dix ans ont vu leur niveau de culture générale exploser, et ont souvent pris des réflexes documentaires là ou avant, ils auraient abandonné leur questionnement.

    C’est un phénomène qu’il fallait marquer !
    Bien sûr, ce n’est pas tout le monde, et je crois qu’il y a peut-être des activités plus sensibles au phénomène que d’autres. Chez les artistes, c’est flagrant !

  2. A côté des pédants et des trémolos, un argument très à la mode cette rentrée 2012 : le numérique empêche de se concentrer et de réfléchir sérieusement. 🙂

    – Pourquoi nous n’apprendrons plus comme avant
    (avec une série pourquoi nous ne lisons plus, pourquoi nous ne mémorisons plus, pourquoi nous n’étudions plus, pourquoi nous n’écrivons plus comme avant…)
    magazine Philosophie – sept 2012
    http://clioweb.canalblog.com/tag/philomag

    – Comment Internet modèle notre cerveau – La Recherche 467, sept 2012 (l’impact du web en 4 questions)

    Internet est présenté comme une arme de distraction massive, sans aucune référence au travail intellectuel permis par le travail en réseau et à distance. Ces deux magazines donnent une bonne place à Nicholas Carr, l’auteur en 2008 de l’article Is Google making us stupid ?

    – Intelligence : peut-on augmenter nos capacités ?
    De son côté,Sciences humaines s’intéresse au marché de l’intelligence.

    DL

  3. « Cette époque ténébreuse ne fournit rien non plus ni en morale ni en Belles-Lettres »

    Choderlos de Laclos (à propos de l’époque qui sert d’âge d’or aux réactionnaires d’aujourd’hui)

    Il y en aura toujours…

  4. Je me passe toujours très bien de téléphone mobile, mais l’absence d’un Internet permanent commence à me peser, car effectivement il devient difficile de faire quoi que ce soit sans le vérifier, le transmettre, le tweeter,… Cette semaine, mon miniPC est loin de moi, en Croatie, et il me devient presque insupportable de regarder la télévision sans lui sur les genoux. Il ne s’agit plus seulement de remplacer l’encyclopédie ou le dictionnaire qu’on ouvrait pendant une discussion en famille, c’est plus grave, la connexion permanente finit par être comme une alimentation en oxygène : on n’y pense que si elle fait défaut ou si elle dysfonctionne.

  5. Il me semble que la déconnexion vise plus les gens qui consultent compulsivement leurs mails et/ou twitter à longeur de journée plutôt que les recherches effectuées sur smartphone.
    Cela dit, rien n’empèche d’effectuer les recherches le soir en rentrant chez soi et de profiter de sa journée plutôt que de vouloir immédiatement des réponses à tout.

    Autant Internet me paraît être un formidable outil, autant les smartphones me paraissent plus être des gadgets (quelques utilisations professionnelles mises à part).

    Thomas

  6. C’est curieux de mettre dans la même phrase « internet est un formidable outil » et « les smartphones sont un gadget ». La caractéristique qui définit les smartphones est de donner accès à internet. En dehors de cette fonction, leur intérêt est maigre, voir ci-dessus…

  7. Ca ne me paraît pas si curieux que ça.
    Pour moi, Internet est un peu comme avoir un ami avec une connaissance encyclopédique. C’est très pratique de pouvoir lui poser des questions une fois de temps en temps, mais avoir un monsieur-je-sait-tout avec moi en permanence, ça finit par m’agacer.

    J’ai un iphone depuis 4 ans et au final pour moi c’est surtout un ipod qui, une fois de temps, me permet de téléphoner ou sers de GPS de secours.

    Ensuite, je suis rarement en déplacement, je comprends que ça puisse être plus utile à d’autres personnes.

  8. Quel plaisir de lire enfin un article qui ne vante pas la déconnexion comme retour à un âge d’or ! D’autant plus que ces réflexes documentaires dont vous parlez sont parfaitement vrais et vérifiables par tous.
    Une vraie bouffée d’oxygène.

  9. On comprend bien ce que vous n’avez pas pu faire pendant une semaine, mais cela ne peut être comparé qu’à ce que vous avez pu faire détacher de votre smartphone, et même si la nature de vos activités ont dû être bien différentes, peut être pourrait on se risquer à dire qu’une certaine forme d’ininterruption et d’écoute, voire d’ennui de qualité ont pu vous permettre de passer une semaine reposante?

    Par ailleurs, je ne me souviens pas bien (les ravages d’Internet :-)) mais il me semble qu’à l’époque pré-internet nous n’étions pas moins curieux mais que nous faisions feu de tout bois et que nous lisions tout ce qui nous tombait sous la main. Notre curiosité était du fait des limitations technologiques moins dirigée, elle n’en ouvrait pas moins nos horizons.

  10. @ Phoebos: Pour une semaine de vacances, la dimension du repos, fut-il forcé, était incontestablement appréciable… 😉 Mais à la vérité, c’était le seul contexte qui rendait cette déconnexion acceptable! L’éloge du temps long, de la contemplation de la mer, du retour à la ferme et de la pêche à la ligne qu’on lit chez les déconnexionnistes a les couleurs enviables de l’âge d’or, mais n’appartient en réalité plus qu’à la temporalité des vacances ou de la retraite (le chômage, autre forme de temps vide, est beaucoup trop stressant pour qu’on apprécie de profiter nonchalamment d’un temps moins libre que contraint)…

    Votre remarque sur la quantité respective de curiosité pré- et post-internet touche à ce qui est précisément l’hypothèse de ce billet. Même si c’est évidemment difficile à vérifier, le test de cette fameuse semaine m’a fait réaliser qu’en l’absence d’un outil taillé pour gérer l’interrogation, je diminuais automatiquement mon volume de questions, m’adaptant aux conditions d’un environnement moins riche en informations. Je pense donc, non pas que la curiosité était absente du monde pré-internet, mais qu’elle ne pouvait par définition s’appliquer qu’aux domaines balisés par la connaissance disponible – disons pour simplifier l’aire couverte par les entrées de l’Universalis… Dans mon billet, les exemples de questions auxquelles il était difficile de répondre qui me sont spontanément venues à l’esprit concernent des domaines de la culture populaire – chanson, BD, films… Le web n’a pas seulement apporté plus de connaissances, il a modifié leur nature et leur équilibre global, en privilégiant les ressources issues des cultures industrielles (et le monde des images) – tous les domaines auparavant dépourvus d’outils documentaires structurés.

    C’est fondamentalement ce rééquilibrage, bien visible dans les premiers débats accompagnant l’émergence de Wikipedia, qui alimente aujourd’hui la ligne de fracture entre partisans et adversaires d’internet. Derrière l’antithèse de la lecture et de l’écran, du temps long et de l’instantané, du passé et du présent, se dissimule un éloge de la culture savante et du respect des hiérarchies contre le bric-à-brac des cultures populaires et la remise en cause des autorités.

  11. L’article se focalise sur la « puissance documentaire » d’Internet et donne plusieurs exemples. En fait, avant internet, on pouvait répondre à toutes ces questions… seulement c’était moins immédiat, ça prenait plus de temps. On devait hiérarchiser et laisser tomber certaines questions ou problèmes jugés secondaires. Nombreux services internet existaient déjà sur le Minitel et avant on avait recours aux dictionnaires, encyclopédies, cartes, revues…
    On n’a pas attendu Google maps et mappy pour se déplacer et parcourir le monde.
    On n’a pas attendu accuweather pour savoir le temps du week-end-end.
    On n’a pas attendu Wikipédia pour connaître le nom de l’oiseau du jardin.

    Je ne veux pas dire qu’internet n’apporte rien moi qui suis connecté tout le temps mais le plus remarquable n’est pas la puissance documentaire, c’est qu’on peut faire beaucoup à partir d’une interface (ou un protocole) unique : le web. C’est aussi l’aspect dynamique des informations et la mise en réseau des utilisateurs.
    Il s’agit bien d’une révolution et c’est vrai qu’on oublie comment on faisait avant. Il faudrait faire un musée des usages et traditions populaires pour montrer comment c’était avant.

  12. @ Efpi: Merci pour votre contribution très claire, mais on n’est pas du tout d’accord! En tant que chercheur et qu’habitué de l’archive, c’est précisément l’évolution de mes pratiques professionnelles qui m’ont permis de vérifier que la rapidité et la facilité d’accès à l’information modifient profondément sa géographie et sa gestion (n’oubliez pas que je travaille dans le domaine de l’image, plus sensible que d’autres à certains déséquilibres). L’information était disponible, dites-vous, à condition d’y passer du temps et d’en avoir les compétences – traduisons: à condition d’être archiviste ou documentaliste… 😉 C’est bien pourquoi, pour le vulgum pecus et pour toutes les questions que l’on jugeait secondaires (mais les jugeait-on secondaires parce qu’elles étaient de moindre importance ou parce que l’univers documentaire était structuré de façon différente?), la réponse était: ne cherchez pas…

    La disponibilité n’est pas indépendante des conditions d’accès: elle est au contraire définie par ces conditions. C’est parce qu’internet a rendu certaines informations facilement accessibles qu’il a modifié la nature et la hiérarchie des connaissances. De nombreux spécialistes de la documentation ont très largement participé à la constitution et à la structuration de son énorme mémoire. Mais c’est aussi parce que ses conditions pratiques ont permis à des usagers non spécialisés d’intervenir et de participer à son enrichissement que l’information qui est aujourd’hui disponible n’a plus rien à voir avec celle d’avant le web. La facilité de l’accès à la réponse est évidemment un facteur qui encourage le questionnement.

  13. J’aime bien la fin de l’article :
    « souvenons-nous de tout ce que nous aspirions à savoir, de tout ce que nous étions malheureux de ne pas comprendre, et de tout ce que nous n’osions même pas demander »
    Je l’ai vécu et ça me touche particulièrement. Mais les termes « bête » (cité dans l’article) ou intelligence ne sont ils pas à manier avec précaution ? Un savoir encyclopédique tout azimut ne fait pas (toujours) une intelligence… Il faut du temps, de la maturité, réfléchir sur soi… Internet ne le fera pas à notre place.

  14. Tout à fait d’accord ! (c’est pour André)

    Sinon, on touche ici à un mécanisme de la culture, qui s’autoalimente et gonfle de manière exponentielle lorsqu’elle trouve les conditions. C’est pour ça qu’une étude maintenant lointaine (retrouverais pas…) montrait que les pirates étaient les plus gros acheteurs de produit culturel et donc que les chasser, c’était chasser les clients… Pourquoi ? Parce qu’on achète ce qu’on connait, et que plus on connait, plus on achète (d’où ma facture de livre…).

    N’oublions pas que pendant la presque intégralité de l’histoire humaine, il fallait partir en voyage, s’exiler définitivement souvent, pour juste aller à la bibliothèque. Et tout ça, pour apprendre des choses très approximatives…

    Et il faut le dire clairement, tous ces discours alarmistes ne cachent qu’une tentative de préservation de privilège, et rien d’autre. Mais c’est juste trop tard…

  15. @ Laurent

    Ce que j’ai vécu en devenant actif sur le web (1999), c’est trois choses :

    – Plus d’information, plus de connaissance sur la variété des discours, des idées.
    – Obligation (par les autres) de vérifier les informations et de source (dans les discussions, ça pardonne pas)
    – Obligation de se creuser les méninges, de comprendre l’autre, d’analyser les discours, de chercher à argumenter, etc. Une sorte de stage de rhétorique géant (les forums, les conversations)

    Et en effet, je ne sais pas si je suis intelligent, mais je le suis plus qu’avant.

  16. @ Laurent: Tout à fait d’accord que l’emploi de « bête/intelligent » est une facilité de langage – l’élément que j’interroge plus précisément étant la curiosité… La formule d’Alain: « je ne sais pas si je suis intelligent, mais je le suis plus qu’avant » me paraît une excellente manière de résumer la question!

  17. Je ne pense pas que nous étions « malheureux » lorsque le cinéma était muet ou, pour les plus anciens :-), lorsque la culture n’était qu’orale. Pour qu’il y ait frustration, il faut qu’il y ait conscience du manque, de l’absence.

    La fracture entre partisans et adversaires du net, n’est que l’héritage d’une période de transition. Henri Langlois pensait que le cinéma avait cessé d’être un art avec l’invention du parlant. Aujourd’hui, et alors qu’il ne reste plus beaucoup de contemporains de l’invention du parlant, c’est un point de vue respectable mais incompréhensible pour l’immense majorité de nos contemporains si on ne l’inscrit pas dans sa dimension historique.

  18. @Thierry Dehesdin: Voilà encore une autre façon de prendre position sur la question de la bêtise… L’absence de conscience n’est-elle pas un caractère dont on admet volontiers qu’il y participe? Je peux te dire en tout cas qu’en ce qui me concerne, travaillant sur les images, ça fait bien longtemps que j’étais frustré d’être aussi limité dans mes moyens d’action! Ne pas pouvoir montrer un film, ou si difficilement, ne pas pouvoir vérifier, le plus souvent, une séquence ou un détail, s’en remettre à sa mémoire faute de mieux (et la mienne est mauvaise), tout ça faisait un échafaudage de pis-aller qui n’étaient tolérables que parce que la situation était la même pour tous… Mais dire qu’on en était content serait tout de même plus qu’un euphémisme… 😉

    La fracture entre partisans et adversaires du net est très certainement la marque d’une période de transition, encore ne faut-il pas considérer celle-ci comme un long fleuve tranquille menant inexorablement du passé vers le présent, mais plutôt comme un espace de négociation à vif dont les inflexions, les secousses, les retours en arrière, les victoires et les défaites contribuent à dessiner un horizon qui n’est nullement fixé d’avance. Une période de transition est un moment très intéressant de reconfiguration des hiérarchies, d’où le caractère de crise de ses manifestations. C’est un privilège de pouvoir l’observer aux premiers rangs!

  19. Je rentre d’une semaine de vacances dans la région d’Uzès (département du Gard). Sans smartphone, sans ordinateur portable. Quel bonheur !

    Utilisant fréquemment les outils web, j’essaie maintenant de me discipliner et de m’octroyer des « pauses-déconnexion ». Pas toujours évident mais elles me sont indispensables pour ne pas devenir « un esclave de la cocaïne électronique » http://twitpic.com/amdojt

  20. @Manu Kodeck: Ce n’est pas parce que je m’exprime contre les simplifications des déconnexionnistes qu’il faut me voir comme un furieux de la connexion permanente! Non seulement il est heureux qu’on puisse, en particulier en vacances, prendre du champ avec les contraintes du quotidien (et encore plus dans la région d’Uzès! 😉 mais le gros avantage qu’a apporté le web sur les médias de flux a précisément été la capacité pour chacun d’organiser l’information, sa temporalité et sa gestion. La déconnexion ne doit donc pas être vécue comme le refus d’une pression incontrôlable, mais au contraire comme l’alternative normale d’une connexion maîtrisée.

  21. A quoi bon critiquer les internetophobes si c’est pour inventer une position opposée mais symétrique ? Le problème n’est pas les déconnexionnistes mais le fait qu’ils posent une mauvaise question (mieux vaut donc ne pas la reprendre).

    Personnellement, l’effet premier d’Internet sur mon existence est de me rendre plus dépendant: plus je consulte Internet, moins je réfléchis, et moins je réfléchis plus je consulte Internet. J’en viens à penser que je suis incapable d’écrire un cours sans connexion. L’image de la pensée que m’impose le moteur de recherche, c’est le savoir savant, ce qui du temps de Descartes s’appelait la scolastique: le savoir qui me prééxiste et fait autorité du fait de préexister. Je peux comprendre que cela intéresse les historiens ; mais ceux qui entretiennent un rapport non cumulatif (je pourrais dire: alternatif à l’érudition) au savoir – pour être clair, j’enseigne la philo – peuvent nourrir un rapport très très compliqué aux moteurs de recherche dont la principale qualité est la… quantité.

    Je ne tiens pas à contester le propos d’André Gunthert, seulement à faire remarquer que la question me paraît appeler beaucoup plus de nuances : ne réduisons pas la question à un « pro/contra » ! Les usages et les besoins à l’égard d’Internet sont infiniment variés, ses effets aussi… La constitution du moteur de recherche comme nouvelle autorité du savoir me paraît être un sujet qui vaut la peine d’en parler aussi d’une façon critique.

  22. Je suis ne dans l’Internet il ya pres de 20 ans. Je me suis engage a fond et j’ai vecu de belles experiences. Mais apres un accident de la vie je me suis retrouve sur le bas cote. Et la j’ai constate avec douleur que personne non personne ne vous tendait la main. Et oui grace a tous ces nx moyens technos l’homme occidental a perdu certaines qualites. L’egoisme le plaisir solitaire est devenu roi et si vous critiquez ce systemme vs etes has been intolerant facho. Mais en en moins de 20 ans seulement en France il y a + de 8 millions de pauvres + de 3 millions de chomeurs et les riches sont + riches. Avec un film minable on met a feu et a sang certains regions du globe/ Non le monde ne se porte pas mieux au contraire ouvrez les yeux, on fabrique tjs ds de conditions effroyables vos nx gadgets et vs vs en moquez comme de la personne sur le bas cote/ Je ne vs aime c’est vrai que vs ne m’aimez pas non plus …

  23. @Manu, oui, et pour aller dans le sens, la particularité du Web, c’est que c’est l’utilisateur qui régule, contrairement au téléphone qui impose sa loi. D’ailleurs, je déteste le téléphone parce que je suis habitué à gérer comme je l’entends mes connexions et mes contacts sociaux. Je n’aime pas qu’on me sonne !

    Et je trouve bizarre qu’on n’entende pas plus souvent que le mail est par exemple un moyen de communication incroyablement « pacifié », auquel on répond si on veut et quand on veut.

    De la même manière, les réseaux sociaux sont conçus pour te donner le contrôle sur les sollicitations. Notification, ou pas, affichage, ou pas, jusqu’au mécanisme de rétorsion, etc.

    En gros, moi qui suis un peu ours, j’aime infiniment mieux les relations interpersonnelles actuelles, que je maitrise en douceur (délicatesse, même, vu le perfectionnement des réifications numériques, si j’ose dire…) que celles antérieures, si implicantes, et qui me mettais dans tant de situations désastreuses !

    Et je ne veux pas entendre que ça empêche les relations sociales ! C’est exactement le contraire ! Avec un bon réseau facebook, vous pouvez sortir tous les soirs, si vous avez l’énergie…

    @Salvador vraiment désolé si ça vous empêche de réfléchir… Moi, ça m’a plutôt mille fois obligé à réfléchir, et souvent à changer ou préciser mon avis…

    Viens de découvrir que j’étais un bête cumulatif… 😉

    C’est amusant, mais ce n’est pas la première fois que je vois le commentaire d’un professeur qui ramène ça à un problème « d’autorité », c’est-à-dire une question qui ne s’est jamais posée pour moi… Et cette phrase sur les moteurs de recherche (vraiment désolé) valide la lecture que nous partageons, je crois, avec André, sur les préventions vis-à-vis du Web…

  24. @Astorino Antoine Vous avez parfaitement raison, avant l’internet, les hommes n’étaient pas égoïstes, la paix régnait sur le monde, et tous passaient leur vie en danse, chant et libations ! Je m’en souviens très bien !

  25. L’exemple d’un déconnecté comme Thierry Crouzet (auteur en 2007 d’un « Cinquième pouvoir » qui annonçait une mutation de la démocratie) montre que la déconnexion peut être la conséquence logique de l’espoir déçu… Ceux qui ne pensaient pas que le web rendrait tout le monde beau, intelligent et altruiste ont un joker… 😉

    @Salvador H: L’appel à la nuance ne peut que réjouir mon penchant coloriste… 😉

    Concernant l’autorité des moteurs de recherche, la position d’un blogueur est très différente d’un simple consommateur passif du web, car l’expertise en ligne est réciproque! Un moteur enregistre ma présence en ligne, mais inversement je peux vérifier la qualité de sa mesure. Un billet comme “Environ 2750 résultats” est typique du retournement du pouvoir du moteur, qu’il m’est arrivé plus d’une fois de questionner…

  26. @Alain François
    votre web-délicatesse est moins contrôlée que vous ne le pensez, dommage… J’essaye d’être mesuré et de laisser ouverte la discussion (personne n’a dit que le cumulatif était bête, si ?).
    Pour aller vite, mon souci est que le point essentiel de mon travail commence au moment où j’ai fini de réunir mes documents (textes, commentaires, etc), les mettre en perspective et les problématiser. Or avec Internet je n’ai JAMAIS fini de réunir mes documents. J’entre dans un rapport de dépendance avec ce que d’autres pensent d’autres penseurs citant d’autres commentateurs commentant d’autres auteurs – sans qu’il soit jamais facile de couper le noeud.
    D’autre part, l’autorité dont je parle n’entretient aucun rapport avec l’enseignement; je parle du rapport qui se présente à moi dans la recherche devant l’illimitation d’un savoir qui me déborde (les lacaniens appellent cela « l’impossible », et c’est un effet subjectif vraiment dévastateur, croyez-moi). Pour réfléchir, il me faut cadrer, segmenter, localiser et Internet m’engage au contraire à multiplier les objets et les relations. C’est très bien sans doute, mais pas pour ce que j’ai à faire.
    Enfin, je n’ai jamais prétendu qu’Internet pouvait rendre service voire affiner des positions. Je dis seulement que les problèmes varient selon les domaines de recherche, les attitudes intellectuelles que sollicite chaque territoire. Exemple: je donne en parallèle des cours d’histoire de l’art ; dans ce domaine, Internet m’est positivement profitable (iconographie, documents de toutes sortes et des plus inattendues, et où « cumuler » des matériaux m’est simplement indispensable). Je peux dire sans hésitation que mes cours seraient infiniment plus pauvres sans Internet. Dans ce cas précis.
    Je tiens donc seulement à dire qu’il existe d’autres pratiques pour lesquelles Internet est moins productif, sinon même très emmerdant (bah oui, parce qu’on en a quand même besoin… d’où l’idée d’une dépendance problématique). Comme d’autres l’ont dit ici, du point de vue de mon activité de recherche principale, je dois sans cesse contraindre et sélectionner mes usages d’Internet. Vous ne trouvez pas cela intéressant, comme contrepoint ?

  27. @salvador Oui pas délicat aujourd’hui et ici…

    Je trouve que « se présente à moi dans la recherche devant l’illimitation d’un savoir qui me déborde » est un très beau sentiment. Et qu’à parti de ça, on peut beaucoup.

    Je ne vais pas jouer au vieux… mais j’ai eu un (grand) moment de vertige (et de complexe), en plongeant dans le Web, et l’impression de ne rien savoir, devant l’étendue. Mais il faut apprendre à nager, et surtout, s’émanciper. Je fais le malin maintenant…

    J’ai vraiment eu l’impression que la chose ne serait pas à ma mesure (intellectuelle). C’était donc en 99 d’un autre siècle, et le niveau culturel du Web était supérieur, mais la quantité d’information moindre. Je comprends, mais je ne suis pas sur du rapport avec votre activité… Toute personne s’intéressant aux idées est dans la même situation. Mais peut-on demander au monde d’être plus simple juste parce que notre cerveau ne suit pas ? (j’ai bien dit « notre », hein, pas « votre »)

    Bon, OK, le travail des profs a changé (ou doit) et je n’aimerais pas être à votre place ! Je crois qu’il y a eu un gros débat sur le sujet sur ce site…

  28. @ Alain François
    Merci pour le retour, je comprends mieux aussi depuis quelle histoire vous parlez – c’est assez encourageant de savoir que de l’expérience peut servir dans ce domaine…
    PS: Je ne me plains pas tellement pour l’enseignement ; c’est vraiment l’articulation recherche / ressources qui ne me paraît pas très bien réglé dans le (mon) cas présent.

  29. @Alain Francois, soit vous etes obtus ou dans un autre monde. Je ne dis pas que c etait mieux avant, mais reconnaissez que justement fin des annees 90 on parlait de nouveau monde de nlles conquetes (oui pour une minorite sur les 7 milliards …) Et qu a t il apporte a la communaute. Je trouve qu il y a plus de derives et personne ne souhaite reguler tout ca (comme la finance). La fracture numerique s ‘accelere en France mais apparement ce n’est pas votre cas votre pb, soit. Mais je pensais que ce blog etait d’entendre et d ecouter l autre !

  30. La facilité d’accès à l’information que permet internet diminue aussi la valeur de cette information. On appréhende pas pareil une information qu’on a cherché dans un livre qu’on a attendu une demi-heure à la bibliothèque et une information trouvée en deux minutes avec un moteur de recherche. De même, cette accessibilité et sa permanence augmentent à mon avis l’oubli. C’est l’argument de Socrate à propos de l’écrit dans je ne sais plus lequel de ses dialogues. L’écrit n’aide pas à la mémoire, l’écrit supprime la mémoire, puisqu’avec lui, plus besoin de mémoire.

    Il y a aussi le problème de la transmission. Je ne sais pas si c’est propre à ma personnalité, ou au peu de travail intellectuel que j’ai fourni ma vie durant, mais un savoir transmis de personne à personne, et mieux encore de personne à personne en situation, m’est bien plus profitable qu’un savoir transmis par un livre ou internet. Je m’en souviens mieux, je suis mieux capable de refaire les opérations inhérentes à sa production et tout ça et tout ça.

    C’est flagrant avec les arbres. J’aurais beau regarder tous les livres d’arbre que je voudrais, si personne ne m’a jamais dit « ceci est un frêne » en me montrant un frêne, impossible de le reconnaître.

  31. C’est effectivement l’usage intéressant et constructif d’internet, sans doute parce que la vision qu’on en a vient de personnes curieuses de tout et assoiffées de connaissances, internet est aussi un joyeux bordel, un plein d’inepties et d’informations qu’il faut recouper car les sources sont peu fiables, je pense qu’avant la validité des sources était plus assurée, mais il est vrai plus réduites, limitées aux revues/livres qu’on pouvait acheter ou se faire prêter/louer. Mais à vrai dire on a rien perdu, internet est une couche en plus, car tout ce qui existait avant, existe encore, c’est une évolution par strates.

    Internet c’est aussi une sorte de rêve de science fiction, mettre en commun une somme de mémoires et d’idées pour le plus grand nombre, une sorte de partage universel « gratuit », la plus grande encyclopédie de tout les temps, en perpétuelle évolution.

    @kiiqelik, autant je suis d’accord sur le fait que transmettre de personne à personne à une sorte d’authenticité originale, avec une mise en situation souvent unique, mais ce fait n’a pas disparu (au pire il s’est raréfié, mais justement ce qui est rare est précieux 😉 ), pour ce qui est de la facilité contre l’effort, je ne sais pas, j’ai souvent pesté contre la perte de temps de devoir aller jusqu’à la bibliothèque, payer le transport en commun, attendre, faire la file parfois, ne pas trouver le livre en question (ou le trouver mais ne pas trouver l’info), revenir bredouille, avoir perdu quelques heures. Certes ça peut avoir son charme quand ça arrive de temps en temps, mais la répétition d’un échec n’est jamais agréable. Internet le problème c’est justement la pauvreté de mise en situation, on est toujours au même endroit, assis sur la même chaise devant le même ordi (pour la majorité des cas), il y a une sorte de statisme un peu énervant (mais le smartphone permet d’emporter internet partout, et si avant emporter un ou deux petits dicos avec soi n’avait rien de choquant, tout au contraire, emporter internet avec soi est souvent perçu de façon négative, mais heureusement de moins en moins). Je constate aussi, pour appliquer la citation latine asinus asinum fricat, que l’on s’entoure souvent de nos pairs, pour valider nos actions et nos petites manies, ainsi on échappe un peu plus à la critique 😉

  32. @ Marc Durant

    Il y a plein d’usages proprement techniques d’internet qui sont très utiles et que je renie pas. Savoir dans quelle bibliothèque se trouve tel livre, si il est disponible etc. Le truc du smartphone pour avoir une encyclopédie dans sa poche à la limite pourquoi pas. Moi j’aime bien lire les blogs au parc avec, chacun son truc :).

    D’ailleurs à ce propos, et sur la transmission de personne à personne, quand on consulte des blogs de manière récurrente, c’est comme les auteurs de livre qu’on a beaucoup lu, on construit un rapport presque personnel avec eux (en plus du fait que là, on peut intervenir), on les connais et on finis par intégrer facilement les informations qu’ils fournissent. Personnellement, j’espère qu’on peut en tirer des fruits même si, sûrement, c’est beaucoup plus chronovore que la transmission authentiquement de personne à personne.

    Par contre, je ne comprends pas trop la pertinence de vos trois dernières lignes. Je m’interroge. Et aussi si j’ai vraiment envie de savoir ce que vous voulez dire :/. Tout ce que je peux répondre, vu que je suis légèrement parano, c’est qu’effectivement au détour de tel ou tel commentaire ou billet, souvent très anodin mais qui laisse apparaître un point de vue sur la vie complètement différent du sien, on sent le vent du grand large siffler à ses oreilles ; et que c’est pas désagréable.

  33. @kiiqelik oui on est d’accord 😉

    = ah bon ? la dernière phrase n’est pourtant pas perturbante, je me suis peut-être mal exprimé, je veux dire que par exemple nous tous ici, l’auteur, toi, moi sommes dans le même état d’esprit, on aura tendance à chercher, même inconsciemment des gens qui nous ressemblent pour que notre jugement ne soit pas sans arrêt remis en cause et fasse l’objet de perpétuelles critiques.

    Par exemple, je vais préférer m’entourer de gens cultivés et ayant une approche positive ou du moins ouverte à internet, plutôt que des gens sans (désir de) culture et totalement hostiles à internet. On fond on forme des clans, c’est juste ce que je voulais dire, ce qui n’empêche pas le débat avec des gens ayant un autre avis . Désolé si j’ai manqué de clarté ou de justesse dans mon propos.

  34. Moi je trouve ça génial que la boite aux lettres puisse servir à autre chose qu’à recevoir des factures. 😉

    « La déconnexion ne doit donc pas être vécue comme le refus d’une pression incontrôlable, mais au contraire comme l’alternative normale d’une connexion maîtrisée. » (com. 21) Oui, c’est exactement ça. C’est un problème de maîtrise de la connexion: celle-ci peut devenir une compulsion comme les autres (fumer, boire, etc.), le tout est de connaître ses limites et de rester raisonnable. L’ivresse du savoir peut rendre insupportable ou au contraire génial, selon la manière dont celui-ci est maîtrisé: tout le monde n’est pas Rabelais, et les « faux savants » ne manquent pas, à son époque comme à la nôtre.

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