Buzz appréciable pour la couverture représentant une photo de Christine Lagarde collée sur fond d’arcades de l’avenue Daumesnil, dans la feuille locale UMPiste Les Nouvelles du 12e, manipulation dénoncée sur son blog par le conseiller municipal du Parti de Gauche Alexis Corbière. Au-delà du succès toujours garanti de l’effet « jeu des 7 erreurs », sorte de degré zéro du décryptage visuel, plusieurs points me paraissent dignes d’être relevés.
Il y a deux trucages dans cette couverture: le montage de deux photos, et la retouche qui a effacé les bijoux (voir également le prolongement par Hughes Léglise-Bataille). La deuxième manipulation est moins commentée que la première. Le montage paraît plus significatif, car il est interprété comme un signe de l’absence chronique de la ministre qui est aussi une élue de l’arrondissement («Les habitués de ce blog savent que depuis deux ans, je reproche régulièrement et publiquement à notre Ministre de l’économie et des finances de ne jamais siéger au Conseil d’arrondissement du 12e. (…) Elle est pourtant indemnisée pour cela plus de 4000 euros bruts chaque mois», Alexis Corbiere). Autrement dit, la question n’est pas seulement celle de la retouche: il y a aussi un récit de la manipulation, qui en fait le symbole d’une action politiquement et moralement condamnable.
Aurélien Viers revient quant à lui sur la procédure d’enquête du conseiller municipal, qui a tout simplement eu recours à Google images pour retrouver, sur le site du ministère, l’original qui a servi au montage. Expert en vérification d’images, le rédacteur en chef de Citizenside complète cette recherche en retrouvant par simple clic droit la date de prise de vue. Celle-ci a été effectuée non en février 2010, mais le 12 septembre 2008 – ce qui lui permet d’identifier l’occasion: un sommet Ecofin à Nice.
A la suite d’Alexis Corbière, plusieurs commentateurs attribuent à Christine Lagarde le « bidouillage » de la couverture des Nouvelles du 12e, plutôt qu’à la rédaction du périodique. Libération a eu la curiosité de demander son avis au journal, et la réponse est intéressante: «On avait un dossier sur le viaduc, donc on a voulu le coller en fond. D’ailleurs, on voit que Mme Lagarde n’est pas en situation de parler à des gens. C’est un collage qui n’a aucune signification particulière.»
L’examen de la couverture, avec ses deux titres accolés (« Dossier: Le piéton du faubourg Saint-Antoine »; « Une femme d’excellence au service de la France et du 12e »), semble confirmer cette version, et donc l’absence d’intention maligne (exception faite de la correction des bijoux).
Le montage est toutefois problématique, car au lieu d’avoir été réalisé d’une manière qui reste perceptible (ce qui est la condition pour qu’il soit identifié comme tel), le maquettiste a eu recours à l’option d’un détourage intégral, qui fait réapparaître l’arcade à gauche de la ministre. Un montage qui ne se voit pas (ou pas assez) est interprété comme une retouche…
Paradoxalement, c’est bien la visibilité du caractère artificiel du collage qui a attiré l’attention du conseiller municipal. Montage vertueux ou retouche illégitime? La couverture entretient à tout le moins une certaine ambiguïté – qui s’efface peut-être lorsqu’on lit le contenu du journal. Mais on constate le risque de faire reposer l’interprétation de l’image sur la compétence du lecteur (suite de la discussion ici-même à propos du Journal de Montréal)
Merci André ! Il me semble aussi que l’argument de la visibilité du montage ou de la manipulation est l’un des plus utilisés par les éditeurs contre les accusations de retouche. On retrouve un autre exemple de ce type de justification dans le cas de la couverture de The Economist dont j’avais parlé dans le billet « La retouche en couverture » (http://culturevisuelle.org/metamorphoses/archives/221): la directrice en chef cite toute une série de couvertures pour lesquelles la manipulation pouvait être reconnue facilement par un lecteur hypothétique, et en montrant donc que l’intention de The Economist ce n’est pas de le tromper (« c’est une plaisanterie évidente »). Comme tu soulignes, cela permet à l’éditeur de se débarrasser de la responsabilité des choix effectués, en la livrant à un lecteur qui serait censé reconnaitre la manipulation.
En fait, je me demande depuis un moment pourquoi je me sens en porte-à-faux vis-à-vis de cette histoire de retouche photo. Et en fait, je suis « du côté » des bidouilleurs. J’ai retouché un nombre invraisemblable d’images avec photoshop, et en m’interrogeant sous une lampe, j’avoue, en fait, que le nerf de la chose est dans la qualification morale des photographies : pour moi, et ça depuis mon enfance et mon premier instamatic, la photographie « morceau arraché au réel » n’existe pas. Une photographie est une image, construite par la volonté, comme n’importe quelle image. Et donc, je suis obligé de faire un effort pour simplement comprendre le problème : « les gens » pensent qu’une photographie est un témoignage du réel. Ils ne se demandent pas comment un photographe de guerre a pu déclencher « du côté des ennemies » pour prendre un assaut, par exemple (bien avant l’invention de Photoshop, la gouache existe, et la mise en scène aussi). Et donc, il y a tromperie sur une population « à priori » naïve. Et je me dis, peut-être à mon tour « naïvement », que l’ensemble du problème disparaitrait si seulement l’ensemble de la population était éduqué, et savait donc qu’une photographie est une image construite… et même dans le cas de Lagarde, élément d’un complexe sémantique…
« il y a aussi un récit de la manipulation, qui en fait le symbole d’une action politiquement et moralement condamnable »
N’est-ce pas l’héritage historique de l’argentique?
En argentique, on ne dénonçait que la retouche politique. La disparitions des anciens compagnons de route des clichés historiques, et le cas échéant la disparition des montres (déjà!)récupérées sur l’ennemi par les soldats soviétiques.
La retouche sur négatif ou positif au pinceau par le photographe, ou avec de la colle et un cutter sur la publicité ne posaient pas de problème, sans doute parce que l’on ne pensait pas qu’elles étaient de même nature. D’un coté on avait un mensonge politique, de l’autre c’était considéré comme un travail normal pour le photographe ou le directeur artistique. Mais personne ne remettait en cause le caractère analogique de la reproduction photographique.
Il y a dix ans, ce montage n’aurait sans doute soulevé aucune réaction.
Le numérique a introduit un doute fondamental sur ce caractère analogique.
Et ce doute prend une signification particulière lorsqu’il s’agit d’un acteur de la vie politique, car on pense à toutes ces photos restées célèbres pour avoir tenté de réécrire l’histoire.
En l’occurrence, que son opposant se foute de sa gueule en disant qu’il a fallu que l’on fasse un montage pour réussir à la montrer dans un quartier où elle ne met jamais les pieds, c’est de bonne guerre et plutôt bien vu. Que l’on crie à la manipulation des foules parce que l’on a pas mis en évidence le montage, me semble relever plus du politiquement correct que de la dénonciation d’un véritable danger.
Petite histoire d’une image vraie.
8h30 : On boucle la Bastille, on balise le Viaduc des Arts (« No Tresspassing Crime Scene »).
10h : Le troisième assistant de Philippe Warrin qui a peopolisé le dernier président (en lui ajoutant une grande oreille. Dorée, comme il se doit…) installe flashes, ombrelle blanche, réflecteurs alu, filtres diffuseur (pour la peau) et cross-star (pour l’éclat du regard), fait le cadre avec une doublure lumière.
10h32 : Philippe Warrin s’installe dans le café d’en face.
10h45 : Le convoi officiel arrive. En descend Christine Lagarde. Philippe Warrin se précipite. Poignées de mains, sourires. Les gardes du corps se plantent, jambes écartées, oreillette tendue. Le chef de cabinet recueille boucles et bracelet, la maquilleuse s’approche pour une retouche (tiens…) du maquillage (tiens, tiens,…).
10h 48 mn : « Un tout petit peu plus à droite, Madame la Ministre, je vous prie ».
10h 48 mn et 17 s : Philippe Warrin appuie sur le déclencheur de la télécommande infrarouge. Flash. Une seconde fois, par sécurité.
10h 48 mn et 39 s : Poignées de mains. Christine Lagarde se dirige vers sa voiture.
10h 48 mn et 55 s : Gyrophare, escorte.
Clap de fin.
En fond, on croit entendre le bruit mat du clip d’or blanc qui se referme sur le lobe de l’oreille.
Christine Lagarde a posé le pied dans le XIIe pendant 3 minutes et 55 secondes.
Le Rédac’ chef des Nouvelles du XIIe entonne avec Roland Barthes : « Ça a été !» (« On a gagné!… »).
Et ça n’aurait pas fait une ligne. Pas plus dans Libé que dans Culture visuelle.
Car c’est ainsi que va le monde des images toutes simples et vraies qui écrivent l’Histoire.
Je suppose que le couple Pinçon a écrit sur les signes extérieurs de richesse: quand faut-il les arborer et quand faut-il les dissimuler pour ne pas faire preuve de ce mauvais goût qui trahit l’imposture sociale. Mais avec toutes ces histoires de bagues et de montres qui apparaissent et qui disparaissent, force est de constater qu’il est des situations où l’on peut arborer ses bijoux, mais pas être photographiés avec. :~)
Le fait d’arborer des trophées, comme le fait la ministre au sommet Ecofin, de Nice (dont le maire etc etc…) est simplement un signe de la force de son talent (et de son compte en banque) (quoique peut-être monsieur lvmh-qui veut s’offrir un autre h-a fait passer qu’on pouvait bien prêter à cette femme aux cheveux courts quelques colifichets qu’elle rendrait après le week end (on a les amis qu’on peut) : qu’on les lui ôte dans le 12 prouve seulement qu’on veut la proposer telle qu’en elle-même, populaire et proche des gens. J’aime ça. D’ailleurs, quels sont ces poux qui lui sont recherchés, son lieu de travail se trouve, me semble-t-il dans ce territoire. Cette couverture (comme on dit d’un alibi) est simplement la réalité dont on la perçoit dans son propre entourage. Factice et retouchée, dégradée parce qu’on lui ôte ses plus beaux atours : il y aurait là de quoi se fâcher, madame la Grande Argentière.