Le joli coup d'Eva

Eva Joly: coup médiatique ou coup politique? Daniel Schneidermann juge qu’il s’agit d’un « fumigène », « une proposition-choc sur un sujet définitivement secondaire ». Moi, je trouve que c’est un plutôt un beau coup, de la part d’une petite candidate, d’avoir réussi simultanément à ringardiser le PS et à réveiller le démon xénophobe de la droite (également chatouillé par le boss d’Arrêt sur images, qui conseille à la candidate écolo d’envoyer à François Fillon une bouteille d’Aquavit, alcool traditionnel scandinave, voilà qui est désopilant).

Qu’est-ce qui nous différencie, Schneidermann et moi? Je veux dire, du point de vue de la discussion sur le 14 juillet? DS se revendique « sans opinion radical » sur la question du défilé militaire. Opinion qui implique en effet, c’est (tauto)logique, de considérer la mise en cause jolyesque comme « secondaire ».

Ce qui n’est peut-être pas l’avis de tout le monde, et notamment de ceux qui ont pour la chose militaire un peu moins d’affection – ou de neutralité affichée. Les trémolos dans la voix pour chanter les louanges de l’armée française me laissent de marbre, peut-être parce que je n’ai pas oublié que la dernière fois qu’elle a été mise à contribution pour défendre le territoire, en 1940, ça n’a pas été une totale réussite, et que les activités de police néocoloniale qui ont suivi sont pour la plupart largement discutables.

Qu’on me comprenne bien, je n’espère pas convaincre un fan du hisser des couleurs, en la matière comme en matière de religion, la discussion est vaine, simplement souligner que pour quelqu’un qui se reconnaît dans l’opinion antimilitariste (dont le teuton Cohn-Bendit a rappelé qu’elle était une tradition bien française), chaque 14 juillet est un moment désagréable, où la main-mise de l’uniforme sur la fête nationale m’empêche de me réjouir comme je le voudrais de l’anniversaire de l’insurrection révolutionnaire, qui ne m’appartient pas moins qu’à Ségolène Royal.

N’en déplaise au sans opinion radical Schneidermann, l’irénisme du kaki n’est pas la tasse de thé commune, et l’appréciation de la sortie d’Eva Joly dépend donc bel et bien d’une option politique. Dans le monde médiatique comme il va, fait de petites phrases et de petites polémiques, dont DS fait son pain quotidien, la candidate écolo a réussi à se hisser aux premières loges, ce qui est déjà un exploit. Les responsables socialistes, eux, ont perdu une bonne occasion de se taire avant d’activer les rétrofusées, ce qui montre que le sens politique n’est pas la chose du monde la mieux partagée, et qu’Eva Joly a compris mieux que d’autres où elle mettait les pieds.