C’est probablement parce que le spectacle footballistique n’est pas mon passe-temps favori que je n’ai d’abord accordé qu’une attention distraite à l’affaire Zahia D. Jusqu’au jour où j’ai lu l’article que lui consacrait Vincent Glad sur Slate.fr. Etoile montante du journalisme en ligne, Vincent est un ami dont j’admire le talent et l’esprit. Outre la pertinence de son expertise webistique, ses fans apprécient son ironie volontiers mordante et son art du second degré.
C’est pourquoi j’ai été quelque peu surpris de lire sous sa plume le constat désabusé de la mèmification de Zahia, où semblait se nicher comme un regret de l’emballement médiatique. Etait-ce bien mon Vincent, jamais assez vif contre les contempteurs de l’exposition online et autres adeptes du pour-vivre-heureux-vivons-cachés, qui citait ici Nathalie Kosciusko-Morizet? Comme un remords, plutôt qu’une image de l’accorte jeune femme, l’illustration du billet affichait le « coup de boule » de Zidane – ce qui a certainement détourné bien des lecteurs de Slate de la lecture de l’article.
J’apprendrai ensuite que Vincent, suivant le jeu de piste ouvert par Le Monde.fr, a été vraisemblablement le premier à signaler le 21 avril sur Twitter (ou il avait alors 6.200 followers) l’adresse du compte Facebook de Zahia, où l’on pouvait apercevoir quelques photos avantageuses sur son wall, qui servait évidemment de support promotionnel (le Blog de Lingway propose une chronologie précise de la circulation des images). Interrogé à ce sujet par Guy Birenbaum dans La Ligne jaune d’Arrêt sur images, Vincent répondra qu’il a réagi comme l’aurait fait n’importe quel usager du web de son âge, et qu’il est «internaute avant d’être journaliste».
J’ai déjà eu l’occasion de le dire: la césure web/médias classiques me paraît désormais en grande partie artificielle. C’est pourquoi j’ai mis du temps à admettre la thèse développée dans cette émission, qui s’interroge sur le mélange des genres entre culture du web et caisse de résonance médiatique. Mais un second article de Vincent, cette fois sur BienBienBien, m’a finalement convaincu que cet angle d’analyse était le bon.
Dans une tentative de définition du « journalisme lol », ou journalisme des digital natives (une insulte devenue étendard, comme l’impressionnisme), Vincent revient sur son premier billet sur Zahia, dont il justifie le sérieux étrange par une adaptation au caractère « bas de gamme » du sujet, proposant une courbe explicative de cette curieuse « ligne du lol » (voir ci-dessous).
Un type qui, après avoir écrit sur Slate un billet pour se faire pardonner un tweet malheureux, élabore ensuite une théorie pour s’excuser de son article ne peut pas être complètement mauvais. Le journalisme lol a du cœur, et c’est peut-être ça qui le distingue de l’autre.
Sexe + football + prostitution + mineure + Facebook + photos + gros seins… Comme ont pu le constater les lecteurs de la presse magazine, Zahia est juste une bombe journalistique, un truc pour faire exploser tous les compteurs, un sujet auquel aucun rédac’chef ne peut dire non. Et toi, Vincent, tu es le premier à avoir les photos de la fille que tous les lecteurs mâles veulent épingler sur le mur de l’atelier, et tu fais un article de réflexion janséniste illustré par une photo de Zidane et Materazzi. Johan a dû te détester ce jour-là.
J’ai assez tapé sur Slate pour avoir le droit de le dire: sur ce coup-là, chapeau! Si l’on met côte à côte l’article de Match et le tien, on n’a pas une seconde d’hésitation pour décider de quel côté se trouve l’élégance. Et l’humanité. Oui, tu regrettes, pour la pauvre Zahia, petite fille jetée dans les mâchoires d’une machine dont tu connais la puissance, et tu essaies de lui dessiner un avenir de contes de fées («Un an et demi après avoir été outée par le New York Times, Ashley Alexandra Dupré devient chroniqueuse pour le New York Post»).
Internaute avant d’être journaliste. Un jeune homme de 25 ans, curieux comme un chat, et puis navré de sa boulette. Ce qui fait du journalisme lol un digne héritier du journalisme gonzo. Si le web est aussi ce tam-tam des pratiques des « vrais gens », qui s’échangent des vidéos de chaton parce que c’est tout mignon, un journalisme capable de restituer cette matière, tout en se souvenant d’où il vient, peut devenir un récit précieux. Un journalisme qui a des remords vaudra toujours mieux qu’un journalisme qui n’a que des regrets.
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C’est marrant, je ne peux m’empecher de faire le rapprochement avec un autre article de chez BienBienBien, certes pas par V. Glad mais toujours la même bande, et qui aussi exprime des remords par rapport à la cible d’un LOL… http://bienbienbien.net/2010/05/11/un-geek-en-roux-libre/
Alors, le journalisme LOL… le retour du collégien qui se marre en groupe avant de se réaliser « merde, on est les méchants là maintenant??!! »?
C’est pas mal vu. BienBienBien est le laboratoire d’un journalisme qui ne se cache pas derrière l’hygiaphone, plus répandu aux Etats-Unis que dans l’hexagone. Pas besoin de prendre son casque d’explorateur pour aller rendre compte des us et coutumes des femmes de ménage: ils sont encore parmi nous! Ajoutons que les autres journalistes ne sont pas forcément très différents du groupe de collégiens – mais qu’eux ne réalisent pas qu’ils sont les méchants… 😉
Et pi les remords permettent de se repasser le plat. On en sortira… un jour.
Il ne devrait plus y avoir de distinction entre les différents supports du journalisme – on sait bien, cependant, que certains titres sont plus intéressés par la pipeulisation que d’autres et que certains supports (Internet) offrent une capacité de réaction plus rapide et que les articles, les journalistes sont moins relus.
J’ai confiance en l’avenir ceci dit : on a vu les radios libres se professionnaliser ; on va voir le journalisme internet devenir de plus en plus éthique.
http://davidikus.blogspot.com