Sur Culture Visuelle, nous avons eu maintes fois l’occasion d’examiner les variations signifiantes produites par la combinaison des images, de la titraille et des articles dans le contexte presse.
Il faut aussi savoir reconnaître les occurrences où ces distinctions n’ont aucun effet. La destruction de l’œuvre Piss Christ d’Andres Serrano au musée d’Avignon par des catholistes (équivalent du terme « islamiste » dont la création s’impose par respect de la laïcité) a été répercutée par de nombreux sites de presse hier, dimanche 17 avril. Si la plupart d’entre eux ont fidèlement suivi le canevas fourni par la dépêche AFP qui leur servait de guide, on a pu en revanche observer l’expression de positionnements divers à travers la rédaction des titres.
On pourrait faire une étude précise des variations subtiles induites par ces énoncés. Neutralité apparente du « Une oeuvre d’art controversée vandalisée à Avignon » du Monde, accent mis sur « la photo polémique d’un crucifix » pour Le Parisien, au contraire de Libération qui suppose l’œuvre connue de son lectorat: « Piss Christ détruite par des extrémistes« … Mais toutes ces déclinaisons ne s’appuient que sur une seule illustration: la photo (non attribuée) de l’artiste posant devant son œuvre, diffusée par l’AFP avec son communiqué.
Faut-il se torturer les méninges pour interpréter la signification de tel ou tel cadrage, qui viendrait infléchir le sens de l’image dans l’un ou l’autre contexte? Dans ce cas, cet exercice me parait superflu. Nous n’avons affaire qu’à la combinaison mécanique, sans aucune recherche d’effet, de l’image disponible fournie par l’agence avec le format préétabli de publication. L’association éventuelle d’une option interprétative par le lecteur, quoique toujours possible, est à proprement parler hors champ, non prévue par le dispositif. Cet usage quasi-signalétique d’une image informative, quoique très courant, reste le moins commenté et probablement le moins reconnu. Ce qu’il indique d’une économie modeste de l’image est pourtant essentiel à la compréhension de nos pratiques iconographiques.
Je me demande si dans ce cas, on est pas en présence d’une économie modeste de l’image parce que quelque soit le cadrage, ce n’est pas l’image qui fait sens, mais sa légende. Si on ignore que le crucifix baigne dans du sang et des urines, ses couleurs semblent d’une naïveté qui semblerait plutôt de nature à réjouir les adeptes d’une esthétique Saint Sulpicienne qu’à scandaliser des catholistes.
Ce qui permet d’ailleurs de relire différemment les 2 mises en page que tu as sélectionnées. Libération met dans son titre l’objet du scandale, là où Le Monde fait de la seule destruction de l’oeuvre un objet de scandale. Finalement, l’économie n’est peut-être pas si modeste que ça. 🙂
Mais si on achète l’édition du Monde datée de demain mardi, papier ou électronique, on a la légende de la photo, qui ne concerne ni Avignon, ni dimanche dernier… :
« L’artiste américain Andres Serrano devant sa photographie » Immersion, Piss Christ « , après un acte de vandalisme à la National Gallery of Victoria de Melbourne, en 1997. »
crédit: AFP
Le montage est pourtant des plus gaguesque ! L’artiste, sourire en coin, posant devant son oeuvre vandalisée… la composition tend volontairement à dénaturer l’intention de l’auteur en faisant de « piss christ » non plus une pièce polémique et subversive mais plutôt : une énorme blague !
Un retour au sacro-saint débat Iconoclaste ? L’art contemporain a encore du souci à se faire…
@Enabeyrat: « la composition tend volontairement à dénaturer l’intention de l’auteur » > Une telle lecture, élaborée, rentre dans « l’association éventuelle d’une option interprétative par le lecteur », mais qui reste hors champ, cad pas prise en compte intentionnellement (ou, ce qui revient au même, de manière détectable) par le dispositif narratif.
Je suis plus méfiant sur ce que les titres, liés à l’image, peuvent induire de la lecture de l’œuvre : Libération double son information d’un avis : l’œuvre est détruite, et on peut s’indigner avec Mitterrand ; Le Monde prend de la distance, avec la « controverse » et donc montre qu’il pourrait y avoir des raisons raisonnables à la destruction. Et montre moins de l’œuvre, plus de l’artiste.
Ce qui n’a pas manqué de m’étonner aussi : aucun journaliste, de ce que j’ai lu ou entendu, ne dit s’il existe un ou plusieurs exemplaires de l’image. Je l’avais vue à Lille lors de l’exposition des collections de François Pinault, c’est le même exemplaire ?