«Il faut qu’elle croisse et que je diminue»: le visage géant de Marine Le Pen penché sur le petit président de la république qui fait la couverture de la dernière livraison de l’Obs (n° 2418, 10/03/2011) semble inspiré de la parole biblique (Jean 3, 22, 36).
Un seul hebdo à osé donner figure à la menace brandie par le fameux sondage Harris Interactive (( Sondage Harris Interactive réalisé en ligne du 28 février au 3 mars auprès de 1 618 personnes, publié le 5 mars par Le Parisien, donnant Marine Le Pen 1e à 23%, et Sarkozy et Aubry à égalité à 21%.)) qui a secoué la classe politique cette semaine – les hebdos de droite, Le Point et L’Express, ayant préféré faire l’impasse sur cette actualité un peu trop brûlante…
Montage formé d’une photo récente de Marine Le Pen par Philippe Sautier (Sipa) et d’un portrait plus ancien de Sarkozy par Christophe Guibbaud (Abaca), la composition sur fond noir et le regard douloureux de la présidente du FN donne un aspect dramatique à une confrontation dont on comprend qu’il ne faut pas la prendre à la légère.
Les interprétations de ce sondage ayant été fort divergentes en fonction des sensibilités politiques, on reconnaît ici une lecture proche de celle de la direction du PS, qui attribue aux manipulations électoralistes du locataire de l’Elysée la montée du FN.
Deux remarques au passage. La première sur la question des sondages politiques, souvent comparés à une « photographie » de l’opinion. De la même façon qu’on peut considérer n’importe quelle image éditée comme une proposition narrative, on peut en effet maintenir cette comparaison, à condition d’appliquer la même lecture à l’enquête d’opinion. Dotés d’une autorité a priori que leur confère leur présumée nature « technique » ou « scientifique », la photo ou le sondage ne sont que des propositions de récit sous forme figurale.
Ce qui me paraît également remarquable dans cette couverture, supposée illustrer un tournant de la pré-campagne, est l’absence de diabolisation de la figure de Marine Le Pen.
Ainsi qu’on a pu le constater à partir de l’examen de quelques exemples récents, la diabolisation visuelle qui a caractérisé la figure de Le Pen père, puis s’est appliquée ponctuellement à quelques autres acteurs politiques, caractérise une forme de réprobation morale qui ne s’exprime qu’à partir du constat de dérapages relativement graves.
A titre personnel, je pense que la stratégie politique de la diabolisation, avec son versant visuel, est une option paresseuse qui non seulement n’a jamais donné de résultats probants, mais s’oppose qui plus est au véritable travail de l’argumentation. Quoiqu’il en soit, la diabolisation d’un personnage féminin paraît plus difficile à produire que celle des leaders masculins qui ont jusqu’à présent marqué cette aire politique.
@ André,
Cette comparaison est souvent le fait des sondeurs, et elle est reprise en choeur par nombre de commentateurs pour affirmer à la fois que les sondages sont d’objectives et neutres captures, (prélèvement d’un échantillon) de l’apparence de la réalité et qu’il ne saisissent qu’un instant légèrement antérieur… ils sont vrais et passés >>> « ça a été »… Ils jouent avec l’idée de photographie (son idéal d’objectivité) dont la réalité photographique se distingue, comme on le voit souvent ici.
Si’lon prend la photo uniquement dans sa dimension narrative de représentation iconique ça marche comme tu le montres, mais c’est comme saisie objective et technique (presque sans sujet) du monde qu’elle est mobilisée par les sondeurs dans la comparaison, et à ce niveau, la comparaison est un truc pour crédibiliser les sondages, faire image, alors qu’ils sont complètement orientés par les questions et le contexte… à la manière d’un appareil phot qui ne saisirait que ce qui l’intéresse et serait aveugle à d’autres choses, non désirées…
Les sondages ne sont des photos qu’à la condition de débarrasser les photos de leur propre mythe… mais c’est bien en vertu de ce mythe que les sondeurs et ceux qui croient aux sondages mobilisent la photo comme argument imparable…
Alors ou les sondages sont des photos parce que la photo n’est pas objective
ou ils ne sont pas des photos parce que dans l’esprit des pro-sondages qui l’affirment la photo est la vérité objective même.
« Les sondages sont des photos », donc.
Et si on observe qu’à guère huit jours d’écarts, un sondage donne MLP en tête devant NS puis MA, et un autre DSK en tête, NS deuxième et MLP troisième, on a le droit de penser que ces photos sont mauvaises et bonnes à jeter.
En l’occurrence, pas si mauvaises que ça: c’est toujours le même trio, à quelques point près… Compte tenu des marges d’erreur et de l’imprécision liée à l’éloignement du scrutin, tous ces sondages disent à peu près la même chose. Cela dit, bien sûr qu’il peut y avoir de mauvaises photos, c’est bien le détail qu’on oublie un peu trop facilement… 😉
Pour repréciser ma position: si l’on ne croit pas à l’objectivité de la photo, dire que le sondage est « comme une photo » revient à dire qu’il n’est pas plus objectif qu’une photo. Il est effectivement plus intéressant de se demander: qu’est-ce qu’une « bonne photo », dans le contexte presse? Je pense que c’est juste une image qui raconte bien l’histoire qu’on a envie de raconter. Ni vrai ni faux, le sondage Harris Interactive a ouvert un nouveau chapitre dans le récit de la pré-campagne (qui se résumait jusqu’alors peu ou prou à l’opposition Sarko/DSK), en y faisant apparaître un nouveau personnage-clé. On a pu vérifier la productivité narrative de cette proposition. Quelque soit l’interprétation retenue (et on a vu qu’elles sont diverses), ce nouveau chapitre est désormais intégré au récit politique et médiatique. On peut donc considérer objectivement qu’il s’agit d’une assez « bonne photo »…
@PMB Ou qu’à l’inverse ça marque la différence entre un sondage et une photographie. On s’attend à ce que deux instituts de sondage donne le même résultat à une question identique. Inversement, si la photographie est un mode d’expression, c’est parce que 2 photographes ne feront pas la même image et qu’un même photographe ne fera pas la même image a une semaine d’intervalle. 🙂
@Thierry: Les instituts ne donnent des résultats proches qu’à proximité immédiate d’un scrutin, en fonction d’opinions qui ont été progressivement « fixées » par l’expression des options de campagne. Même dans ce cas, il n’est pas rare de constater des écarts d’un ou deux points entre les instituts. Il n’est donc pas du tout anormal d’observer des écarts plus importants à plus d’un an du vote.
Il n’est pas inutile de préciser que ce sondage « harris interactive » est doté : on participe au sondage parce que on peut être tiré au sort pour gagner une cagnotte (qui veut participer participe : en même temps, dans les « vrais » sondages, on en tient pazs compte des non-réponses, alors…) (même plan que ceux mis en place dans les matchs de football, les élections de miss france, par les télés de m…- les télés de maçons- ce qui rend la photo sans doute extrêmement partiale et partielle) (c’est vrai, on s’en fout que le sondage soit orthodoxe à la méthode des sciences sociales, ou appuyé sur des échantillons scientifiquement établis) (en attendant, l’histoire que raconte celui-là est franchement abjecte) (il n’est pas exactement douteux que la fille de son père soit lancée par le nabot dans les pattes du – pour combien de temps encore ?- directeur général du fmi) (c’est sans doute en cela que « le nouvel observateur » se prend les pieds dans le tapis : il ne fait que poursuivre les mêmes buts que sa majesté nano1© : vendre du papier, quelle belle perspective…)
Le sondage est peut-être une photo, mais (fortement) retouchée, à la mode photoshop. Rappelons qu’en 2002, les résultats bruts (non « redressés ») donnaient en faveur de Le Pen environ 7%. Que donnent-ils aujourd’hui pour sa fille ? Par quel bricolage passe-t-on du résultat brut à 23% ? Quel est l’effet sur les sondés et futurs électeurs de la publication d’un tel chiffre prétendument objectif ? Il me semble qu’entretenir la confusion entre photo et sondage, même en se basant sur une conception savante ou sophistiquée de la photo, et en oubliant donc la signification dominante de cette comparaison, est un exercice dangereux.
@Chalmont: Il n’y a aucune confusion. Il s’agit bien d’un usage métaphorique, mais dont j’affirme qu’il est justifié, quel que soit le sens donné à la comparaison. Que l’on pense l’opération photographique neutre et transparente (ce qui n’était guère contesté autrefois, mais qui devient progressivement une croyance de moins en moins partagée), ou qu’on la considère comme une construction volontaire, photo et sondage se présentent comme des enregistrements du réel, et sont supposés dotés d’une autorité que leur confère leur mode de production particulier. L’idée que je suggère est que cette comparaison classique peut très bien être interprétée à rebours, en fonction de l’idée qu’on se fait de l’autonomie du protocole. Je suis surpris qu’on puisse voir du danger dans ce qui se propose comme un exercice de la réflexion, sur la question cruciale de la transparence des dispositifs. N’est-il pas bien plus dangereux d’admettre sans critique les stéréotypes en usage?
Passé des années à expliquer aux étudiants de sociologie politique que l’emploi de cette comparaison demandait à être soigneusement explicitée et qu’il valait mieux ne pas l’utiliser …
Merci pour toutes les précisions ci-dessus.
reste cependant:
le titre de cette contribution validée par l’image
@C.Restier: Nous avons déjà discuté à plusieurs reprises sur Culture Visuelle de cette fameuse comparaison. Dans ce contexte, le titre de mon billet est évidemment provocateur, mais il constitue la suite logique de mon interrogation précédente sur l’extension de l’interprétation narrative à l’ensemble des contenus éditoriaux.
A vrai dire, compte tenu des commentaires aussi nombreux que contradictoires qu’a suscité le sondage Harris, je crois qu’on tient là une magnifique preuve de la dimension narrative de l’enquête d’opinion. Je suis d’ailleurs en désaccord avec ceux qui voient derrière cette publication de sombres complots destinés à favoriser tel ou tel candidat. Pour l’institut comme pour le journal qui l’a publié, l’intérêt de ce sondage est de constituer un nouveau ressort narratif dans la précampagne. Si l’on est, comme moi, convaincu que le rôle des médias est de fabriquer des histoires dans lesquelles nous pouvons nous projeter, alors ce sondage est un exemple parfait de journalisme politique.