Les recherches sur la question de l’illustration ont suggéré que celle-ci constituait un usage élaboré. D’où l’idée qu’il fallait aussi soumettre des formes plus banales d’éditorialisation à l’observation. J’ai profité de mon séjour à Montréal pour me plonger dans la presse locale, à la recherche d’une imagerie plus directe et plus naïve.
Je croyais avoir trouvé un bon exemple avec le visage franc de cette infirmière (ci-contre, cliquer pour agrandir), heureusement indemne après une sortie de route causée par la somnolence, alors qu’elle rentrait chez elle après avoir travaillé 12 heures d’affilée. N’avais-je pas sous les yeux une photo exempte des artifices d’une narrativisation excessive, dans un style brut de décoffrage typique de la PQR?
C’était oublier la règle que je venais d’exposer à l’UQAM, à savoir la force de l’unité du dispositif et son invisibilité. Ce point de vue avait du reste été très désagréablement contredit par une collègue, convaincue au contraire que celui-ci était toujours et partout des plus apparents.
Je dois être particulièrement idiot, parce qu’il me faut convenir que, dans le cas du Journal de Montréal, l’artifice ne m’avait pas sauté aux yeux. Jusqu’à ce que je me demande ce que Chantale Côté faisait dans sa voiture pour cette photo manifestement postérieure à l’accident relaté.
Bien sûr, le photographe a demandé à l’infirmière de poser dans le décor qui faisait le sujet même du récit, fournissant l’occasion d’une parfaite concordance entre le titre « Elle s’endort au volant » et la conductrice la main posée sur la direction.
On peut estimer qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat dans cette mise en scène bien innocente (comme l’estime par exemple Virginie Spies à propos de la couverture de Match analysée par Olivier Beuvelet).
Mais la question n’est pas tant de pointer un doigt accusateur que de décrire correctement le fonctionnement d’un système. Alors que l’aspect élémentaire du dispositif semble relever de l’univers purement informatif de la photo documentaire, nous sommes en réalité devant une mise en scène qui s’apparente au genre de la reconstitution prisée par les magazines d’enquête télé, et tend à laisser croire au lecteur qu’il aperçoit la jeune femme à un moment et dans des circonstances proches de l’histoire relatée par l’article.
On apprend en lisant ce papier que le véhicule de Mme Côté a subi des «dommages importants». Si la réalisation du reportage est contemporaine de l’accident, on peut se poser la question de savoir si l’infirmière est au volant de sa propre voiture, où si, plus vraisemblablement, elle pose dans un véhicule d’emprunt.
Dans tous les cas, on constate que c’est bien la logique narrative de l’usage illustratif qui est à l’œuvre, fut-ce dans un cas d’apparence si fruste et si banale. Cherche encore, petit scarabée…
Une bonne partie du dispositif narratif dans lequel advient l’image réside dans le hors champ et en dehors même du support, dans l’espace où se tient le spectateur-lecteur… le texte qu’elle illustre qui, il me semble, se replace toujours en deça de l’image, comme son origine et le contexte, le champ signifiant où elle se déploie (l’air du temps selon Morin)…
Ainsi, Virginie Spies, en sémiologue, ne s’intéresse qu’à l’image en soi et oublie le contexte immédiat de la parution de la Une… C’est comme acte (raconter une histoire est un acte ancré dans son temps) que l’image prend son (ou ses) sens et pas seulement comme signe… Fillon en ballade en 2007 ce n’est pas Fillon en ballade au milieu des manifestations d’une fin de règne… A défaut de cette considération on étudie les images ex-nihilo, comme dans une histoire de l’Art ou une esthétique qui coupe les images des regards qui se portent sur elles…
La photo de cette femme au volant, bien éveillée d’ailleurs, (et si le photographe ne lui a pas demandé de faire semblant de dormir comme dans une reconstitution télé, c’est bien pour cacher le dispositif et avoir l’air crédible, comme si on l’avait photographiée au réveil) vient contredire le titre et pose les bornes d’une histoire ; elle s’endort au volant et se réveille, ouf !
Et le contexte est celui d’une prise de conscience du rôle de l’endormissement dans les accidents (article de fond en bas de page…) et sur les conditions de travail… Toute une histoire…
Mais c’est fou comme ces considérations sur le hors champ ou l’implicite, qui rendent les images bien plus vivantes, et plus complexes, entraînent de résistances chez les tenants d’une image sans implicite, d’une image naïve comme tu le dis… Je crois que les gens n’aiment pas qu’on leur montre que des choses ne sont pas visibles dans les images… Ils croient qu’on les dits manipulés ? Je ne connais pas le cas de cette collègue de la belle province, mais j’ai souvent cette réaction chez des personnes qui disent « c’est évident ! » ou « n’importe quoi ! » avec le même ton.
Un élément essentiel du dispositif narratif dans cette photo est le regard dirigé vers le photographe : il est le signe même de l’artificialité, de la pose. Il s’accompagne d’un léger recul de la tête (réflexe de défense bien connu des photographes dont l’objectif s’approche « trop près »* des personnes photographiées). Par ailleurs, la main est mal posée, sur un volant à moitié braqué: tout cela sent effectivement le portrait posé, fait un peu à la va vite, sans le souci du détail, cela sent l’artifice à plein nez.
Mais peut-être n’ai-je pas compris ce qu’est une photo naïve?
* Ce « trop près » est évidemment personnel et différent pour chacun d’entre nous !
Bien vu Olivier! Voici la confirmation de ton propos en forme de Davidikus, qui lui « sent l’artifice à plein nez » (de photographe). Mais je maintiens ici ma position de lecteur obtus, et mon souvenir précis de n’avoir d’abord rien vu dans cette image si visiblement composée. Car c’est bien cela qui m’intéresse dans cet exemple, qui raconte l’attention distraite du grand public et la performance discrète du dispositif.
En vertu de quel présupposé aurais-je accordé une attention particulière à cet article? Si je n’avais pas appliqué un regard analytique à cette image, son caractère artificiel serait passé inaperçu. Si l’on comprend bien que le professionnel est entraîné à repérer toutes les
manipulationslibertés éditoriales qui font partie de son métier, il n’existe pas de lecteur professionnel de la presse, qui consulterait son journal comme Champollion la pierre de Rosette. La lecture de l’information est un acte de divertissement, d’autant moins critique qu’on l’effectue dans son environnement culturel familier, confiant dans l’auto-justification permanente que promeut la profession.Non, le lecteur ne voit pas le même journal que celui qui l’a fabriqué. Cette différence n’a rien d’étonnant: quel usager d’une automobile ou d’un ordinateur serait capable d’en avoir la même perception qu’un mécanicien ou un informaticien? Mais cette séparation est effectivement très difficile à faire admettre aux professionnels de l’information, qui renvoient les ignares à leur ignorance, coupables de ne pas savoir ce qu’on a pris soin de leur dissimuler (je cherche en vain la mention « reconstitution » ou « portrait mis en scène » qu’une présentation rigoureuse devrait faire figurer en légende).
On peut se servir de l’article du Journal de Montréal pour faire le test: quel non-photographe (ou non-journaliste) a perçu dès le premier coup d’oeil que l’image ci-dessus est une fiction ad hoc?
Je crois aussi qu’au-delà de la réaction du professionnel qui veut montrer qu’on ne la lui fait à lui, Môssieur ! , il y a la foi du photographe… le regard franc et direct de l’infirmière et le côté posé de la photo ne dénoncent pas l’artifice, au contraire, ils le renforcent… elle témoigne ouvertement après-coup sur les lieux-mêmes de l’événement… on oublie alors de se demander d’où vient la voiture et pourquoi elle est retournée dans cette voiture… son regard nous interpelle, elle est franche, elle a vraiment vécu ça !
le registre fictionnel est ici celui du faux témoignage après-coup et pas celui de la reconstitution de l’événement comme semble le croire (naïvement) Davidikus. Bien sûr que la photo est posée, mais la voiture est un décor et la scène une « mise en scène »…
La mise en scène du témoignage direct, aussi vieille que la présence de St Jean au pied de la croix, est un moyen d’authentifier l’image et de lui donner une crédibilité… celle du « j’y étais ». C’est peut-être de là (et pas de la ressemblance seule) que vient le mythe de la vérité en photographie…
On a vu comment les regards-caméras joués et affirmés des films des années cinquante et du cinéma direct ont pu renforcer le contrat de confiance entre spectateurs et image filmique en désamorçant le reproche d’artificialité… (Monika, A bout de souffle, les 400 coups et Chronique d’un été…) c’est du vrai !
C’est-y pas un parking derrière ? lignes jaunes se croisant ? la voiture est sagement garée sur un grand parking vide.
Pour ma part, j’ai lu un contrexemple : « elle s’endort » et le visage bien éclairé, les yeux un peu écarquillés, le dos bien droit, la bouche ouverture pour dire quelque chose, contredisent le titre. Je ne connais personne qui ait cette tête quand il s’endort. Je pensais que le journal voulait faire réagir sur l’évident contresens. Vous aurez aussi remarqué qu’il est plus facile de « s’endormir au volant » que de « s’endormir en conduisant ».
Je n’ai pas bien saisi en quoi une image plus directe serait plus naïve. Ni d’ailleurs ce que serait une image naïve.
Je ne connais pas la PQR quèbecquoise. En fait en PQR, je ne connais que Ouest-France. Ce qui me frappe dans cet article, c’est la dimension de la photo, la longueur de l’article et le fait qu’il n’y ait qu’une personne. Avec Ouest-France, on passe tous dans le journal, mais en groupe: les concurrents du tournoi de billes, les anciens combattants, les enfants de la commune etc. Et d’ailleurs, on prend la pose pour le correspondant local. Je ne sais pas si c’est l’expression d’une vision collectiviste du monde rural ou si c’est pour rentabiliser l’espace du journal: plus il y aura de gens photographiés, plus il sera acheté.
Et enfin, bien avant la presse gratuite, Ouest-France ne contenait déjà que de petits articles. Ici on est en présence d’un sujet mieux traité (en nombre de signes et en espace consacré à l’image) que l’actualité nationale ou locale dans Ouest France
Je pense à l’inverse de vous que les lecteurs qui ne sont pas des professionnels perçoivent très bien tout un ensemble d’éléments dont ils ont l’habitude, précisément parce qu’ils en ont l’habitude et qu’ils forment donc un cadre de référence. Les lecteurs, de nos jours, sont abreuvés d’images, et ils sont très forts pour les décrypter immédiatement, *même sans y prêter attention*, notamment en fonction de leur contexte de publication. Je ne connais pas du tout la PQR québécoise donc je ne sais pas comment elle fonctionne pour un québécois mais ce que dit Thierry renforce ma conviction : il saisit bien les codes à l’ouvrage dans Ouest France. Il faudrait être extrêmement naïf pour croire que cette photo n’est pas simplement une illustration posée et rappelant vaguement l’article ! Dans une ère que d’aucuns ont décrite comme post-moderne (même si ce mot est galvaudé), la naïveté n’a pas beaucoup de place, les acteurs comme les spectateurs sont au contraire la plupart du temps bien conscients de ce qu’ils font et de ce qu’ils voient. Évidemment, je peux me tromper mais des années d’observation participative renforcent ma conviction. Évidemment aussi, il faudrait s’entendre sur la définition de la « naïveté » en photo. Ce que l’Anglais appellent « candor » / « candid » ?
C’est vrai que c’est étonnant comme façon de se faire de la pub ! Très innovant (c’est le moins qu’on puisse dire). Je pense surtout à l’idée de détourner un espace qui appartient à autrui pour se faire de la pub!
@Davidikus: Si vous cliquez sur le nom « Thierry » ci-dessus, vous arriverez sur le blog de Thierry Dehesdin, photographe indépendant et lecteur assidu de Culture Visuelle. Comme expression représentative du regard du grand public, on a fait mieux 😉
Vos postulats sur la maîtrise de la culture visuelle sont trop généraux pour être convaincants. A tout le moins, il faudrait commencer par observer que la culture visuelle n’étant pas une culture enseignée, elle suppose par hypothèse des niveaux de compétence extrêmement variés. Comme il est peu probable de pouvoir décrire cette compétence diffuse sans l’aide d’une enquête approfondie, le seul repère vraiment efficace est de tenter de cerner quel est le récepteur postulé par le dispositif, ce que Hubert Damisch appelait le « spectateur transcendantal ». Le lecteur postulé par le Journal de Montréal est-il un spectateur lettré censé comprendre de lui-même le type d’image qui lui est montré, ou bien au contraire un spectateur distrait abusé par la mise en scène? Là encore, le dispositif ne permet pas de trancher, et oblige au minimum à maintenir les deux hypothèses. Dans les versions télévisées de ce type de présentation, en revanche, la mention « reconstitution » nous indique que les producteurs ne pensent pas avoir affaire à des spectateurs éclairés.
@André et Davidikus 🙂
@André Est-ce que ce titre de Montréal n’appartiendrait-il pas plutôt à ce que les américains appellent de l’hyperlocal qu’à ce que nous appelons la PQR ?
Un article d’une journaliste brillante 🙂 sur le sujet: http://blog.slate.fr/le-medialab-de-cecile/2009/11/06/hyperlocal-journalisme-etats-unis-patch-local-dnainfo/
Le concept que je ne connais qu’au travers de cet article reste mystérieux à mes yeux et je n’ai pas la moindre idée du traitement de l’image par ces nouveaux supports.
Développer sur une page un sujet qui aurait été ignoré par la presse nationale et traité sur 3 lignes dans la PQR, suppose-t-il un traitement particulier du visuel? Je suppose que les photographies ne sont ni réalisées spécialement par des professionnels de la photographie, ni achetées sur des fils d’information pour des raisons de coût. Mais c’est également généralement le cas avec la PQR à moins de considérer le correspondant de Ouest-France comme un photographe professionnel.
Le point soulevé par Davidikus, et discuté avec raison par André, est intéressant : l’envahissement de nos espaces de perception par les images (via les médias principalement) a-t-il généré chez les consommateurs que nous sommes une culture de l’image qui nous rendrait apte à décrypter les tours et détours des communicateurs ? Une accoutumance aux images peut-être, probablement même, mais une culture critique, c’est moins sûr et, si c’est le cas, elle a peu de chances d’être également répartie dans la population.
Pour esquisser un parallèle qui a été davantage étudié, le recours de plus en plus fréquent au crédit a nécessairement familiarisé les personnes qui s’endettaient avec un minimum de culture économique. Certaines sont devenues de véritables expertes, capables de tenir tête à leur banque, de les mettre en concurrence pour essayer de tirer le meilleur parti possible du marché des produits financiers. Mais la multiplication des cas de sur-endettement oblige à constater que beaucoup d’autres, au contraire, se retrouvent victimes du système sans avoir acquis la culture économique nécessaire pour s’en sortir.
Qu’en est-il pour le rapport aux images ? Seule une enquête approfondie permettrait de le dire. Mais quelle enquête ? Comment procéder ? Quand on voit les débats byzantins et très versatiles qui mettent aux prises les divers spécialistes de la jeunesse sur la question de savoir si la violence perceptible dans les images de la télévision ou des jeux vidéos a des répercussions notables sur le comportement des jeunes, force est de constater qu’il est très difficile d’observer quel rapport les gens entretiennent avec les images, et donc d’en conclure quoi que ce soit.
Je ne crois pas que la question du savoir du spectateur-lecteur soit ici déterminante… on ne regarde jamais les choses d’une manière équivalente et constante, même un grand historien de l’art peut feuilleter négligemment un magazine people avant de se pencher avec toute sa sagacité sur une annonciation italienne… Le regard est une chose éminemment labile… et il vaut mieux s’intéresser à ce que le dispositif semble attendre de son spectateur pour comprendre comment il fonctionne…
Ici, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une reconstitution à proprement parler, aucun effort n’est fait pour nous faire croire que cette image pourrait avoir été prise sur le moment… or les reconstitutions singent généralement l’événement en précisant l’artifice pour ne pas être accusées de falsification. Ici, il s’agit plus d’un témoignage en contexte, comme une sorte de mime approximatif mais authentique de ce que raconte l’article, comme dans ces dessins animés pédagogiques où la scène racontée dans une langue étrangère apparaît sommairement dans une bulle…
L’ambiguité de l’image est ici féconde, certains y voient la pose et l’artifice de la voiture, d’autres la vraie Chantale Côté à qui cette histoire est vraiment arrivée… si cette image est (un peu) naïve, c’est sûrement parce qu’elle est sommaire, du vite fait comme le dit Davidikus, pour ancrer le témoignage dans un contexte, fût-il reconstitué…
Bon, bon, n’en jetez plus, la néo-québécoise que je suis souhaite partager avec vous sa petite expérience de lectrice/spectatrice néophyte! Exilée volontaire à Montréal depuis quelques années, mon réflexe à l’arrivée était de comparer systématiquement ce que nous donnent à voir les média locaux avec ceux que je connaissais alors : les média de France. Pour résumer, le télé-journal national me semblait en tous points semblable à un journal régional sur France 3 et les unes des quotidiens nationaux de dignes cousins de la presse locale française (en l’occurrence, le Dauphiné-Libéré était ma première référence en matière de rubrique « chiens écrasés »). J’ai eut tôt fait de constater mon erreur : oui, les ficelles sont à peu près les mêmes et les sujets traités avec autant de… profondeur. Mais il me manquait une donnée essentielle : la connaissance du lectorat, des spectateurs. Et constater à quel point les cultures française et québécoise sont différentes m’a alors plongé dans un processus très complexe de compréhension qui dépasse très largement la simple lecture d’image. Mon but n’est pas de commenter ces différences, ni d’argumenter en faveur ou non de la technique utilisée par le Journal de Montréal, mais plus simplement d’émettre des doutes sur la méthode d’analyse : je ne pense pas qu’appliquer des règles de décryptage franco-française à un média étranger soit véritablement pertinent – à moins bien sûr de limiter son utilisation à un lectorat français de France.
NB : Qu’on se le dise : j’adore c’que vous faites!!!
Le postulat « le lecteur est cultivé » n’est ni moins ni plus général que « le lecteur n’est pas cultivé ». Je comprends bien l’exemple d’Olivier sur l’historien de l’art mais je ne parle pas ici d’une culture enseignée et, dans ce contexte (la compréhension d’une image dans une lecture rapide), je ne pense pas qu’un historien de l’art soit mieux équipé que quiconque pour analyser des images. Cette lecture se fait effectivement rapidement & presque inconsciemment. Je parle donc bien de tout ce qui constitue le champ de l’esthétique de la réception au sens large. C’est exactement ce que soulève Céline Thill dans son commentaire : sans connaissance du lectorat, il me paraît difficile d’analyser les images (à moins de postuler « les Québécois sont naïfs, donc leurs images sont naïves »).
On peut aussi s’intéresser à l’esthétique de la production comme le fait Olivier Beuvelet (à moins qu’il préconise une analyse structurelle voire structuraliste, je ne suis pas sûr de comprendre). C’est une autre approche, pas moins valable, juste différente.
Je suis parfaitement d’accord avec l’idée exprimée par Sylvain Maresca, et selon laquelle seule une enquête approfondie pourrait résoudre la question. Le recours aux outils de l’esthétique de la réception est une voie possible (elle a l’intérêt d’être peu coûteuse), le recours à des groupes tests est une autre voie possible, on peut aussi imaginer une étude préliminaire sur une base d’entretiens dits semi-ouverts (ou semi-dirigés) qui formeraient la base d’études à grande échelle sur la base d’entretiens dirigés (voir la méthodologie de Bromberger dans Le Match de Football).
@ Olivier : Même si on prend l’option, plus praticable, de « s’intéresser à ce que le dispositif semble attendre de son spectateur », je ne suis pas sûr que la posture d’interprétation suffise pour comprendre comment ledit dispositif fonctionne. La discussion me semble plus intéressante lorsqu’elle intègre (au besoin en étant allé le chercher) le témoignage des acteurs de ce dispositif, comme par exemple lorsque l’infographiste du Monde répond à Erwan sur sa manière de procéder :
http://culturevisuelle.org/iconique/lemonde-fr-et-le-cercle-des-manifestants-disparus/
Parce que je suis sociologue plutôt que sémiologue, j’ai toujours du mal à savoir quoi penser d’une image dont je ne connais pas les conditions de production – ce qui est loin d’être toujours possible. Savoir ce que ses auteurs ou diffuseurs ont voulu faire avec cette image me semble indispensable pour que le travail d’interprétation ne soit pas déconnecté des faits dont il s’empare. Dans le cas présent, les remarques de Céline Thill sur les décalages culturels entre les médias québécois et français suggèrent combien cette connaissance du contexte est nécessaire.
Pas de querelles de chapelle! Tout est bon lorsqu’il s’agit de comprendre, et Culture Visuelle est précisément un outil qui a été imaginé pour confronter les approches.
Rappelons cependant que la méthode interprétative formaliste de l’histoire de l’art (qui, s’étant forgée sur les oeuvres de l’Antiquité ou de la Renaissance, avait un peu de mal à recourir à l’entretien 😉 n’est pas totalement dépourvue d’avantages. Elle permet notamment de contourner l’écueil des déterminations inconscientes, dont nous savons bien qu’elles constituent une part importante des usages de la culture visuelle, qui oscille entre culture sauvage (pour la majorité de la population) et culture savante (pour le petit nombre qui a bénéficié des filières spécialisées, beaux-arts ou arts appliqués). J’ai été bien souvent confronté à la mutité des acteurs, incapables de formuler une pensée un tant soit peu élaborée à propos de leurs usages de la photo, invisibles à force de routine, dissimulés par l’évidence. L’approche formelle peut également apporter des éléments précieux à l’analyse quand l’archive manque – ce qui est malheureusement le cas le plus fréquent dans les exemples historiques des pratiques médiatiques. En tout état de cause, nous allons de plus en plus vers des méthodes mixtes, qui combinent plusieurs approches, et c’est très bien comme ça.
@ Sylvain,
Je suis bien d’accord, et la multiplication des points de vue et la prise en compte de tous les éléments du contexte, l’étude des conditions sociales et culturelles de production des signes, sont bien sûr essentielles pour comprendre une image et l’enraciner dans son terreau culturel et mettre au jour des homologies de structure.
Tout est bon à prendre pour envisager le mieux possible le dispositif et bien le comprendre. Je ne parlais pas de cet aspect « poïétique » mais de l’idée esquissée par Davidikus au sujet d’une connaissance ou d’une expérience naturelle conférée aux spectateurs par la fréquentation répétée des images… Et ce côté là étant inexplorable, car le regard change en fonction du contexte, du désir du sujet, de ses intentions et d’autres choses encore, comment savoir exactement ce qui passe par la tête de chaque lecteur de ce journal ? Qu’il soit photographe ou non, il est préférable de déduire du dispositif un « spectateur transcendental » pour reprendre l’expression de Damisch citée par André, c’est ce que je trouve passionnant dans cette science sans nom initiée par Warburg et formulée par Panofsky, et les travaux de Michael Fried auxquels on peut penser devant cette image, montrent bien comment l’image place et guide son spectateur. Les images sont certes des objets produits dans une intention plus ou moins consciente dans un contexte économique, social et culturel, mais elles ont aussi une part d’inconscient ou d’impensé, une part involontaire, une signifiance, elle aussi inscrite dans le contexte précis des conditions sociales et culturelles de leur réception mais jouant aussi avec des formes et des motifs inactuels, anachroniques…
Si faire un journal est un métier avec ses codes, le lire est aussi une activité avec ses codes, et il est utile d’analyser aussi ce que l’image dit à un spectateur-lecteur candide qui ignore tout de sa fabrication… les images ont aussi une vie propre dans l’imaginaire… savoir comment Léonard a peint la Joconde en son siècle ne nous éclaire pas forcément sur la manière dont notre époque la sacralise, or cet aspect fait aussi partie de son histoire …
Je suis d’accord qu’il faut bien sûr étudier le contexte québécois pour bien comprendre cette image, mais la dialectique du faux (voiture reconstituée) et du vrai (chantale côté herself), est universellement intéressante, tout comme l’usage de cette frontalité… quelles qu’en soient les justifications contextuelles…
Merci en tout cas pour cette remarque qui m’est très utile…