Le film à l'intérieur de nos têtes

La bande-annonce est un genre. Son miroir sur les plates-formes visuelles est le trailer cut, ou montage de bandes-annonces. Une nouvelle manière de faire du cinéma par intérim, sans enfreindre le sacro-saint copyright.

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Signé Vadoskin, celui-ci se présente comme un tour de force, réalisé avec pas moins de 50 trailers, dont Underworld, 2012, Ninja Assassin, Whiteout,  Inglourious Basterd, The Box, Star Trek, Terminator Salvation, Transformers, Harry Potter and the Half-Blood Prince, Watchmen, District 9, Surrogates, The Day the Earth Stood Still, etc… (illustration sonore: AudioMachine – Akkadian Empire, Groove Addicts – Zero Hour, Audio Network – Mars, AudioMachine – Lachrimae, Wild Rumpus Music – Blame It on the Falling Sky 2.0, John Murphy – The Last House On The Left Score).

Cette remarquable synthèse en images, véritable critique visuelle de l’usine à rêves d’Hollywood, est fascinante par sa triple homogénéité: homogénéité de l’imagerie, homogénéité de la narrativité, homogénéité de l’imaginaire. Oui, presque toutes ces images pourraient se fondre en un seul film. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’elles font? Ce blockbuster ultime, résumé de toutes les catastrophes, c’est le film qui est à l’intérieur de nos têtes (merci à Rémi pour son signalement).

6 réflexions au sujet de « Le film à l'intérieur de nos têtes »

  1. Intéressant. Mais on pourrait le faire avec les films pour enfants, et même avec les films intellos… avec les films à l’eau de rose, etc. Tout est produit de consommation. Surtout vu sous le code narratif de la bande annonce, qui est un genre en soi – très construit, très dirigiste…

  2. (Hubert, j’ai la joie de te signaler que tu es l’auteur du 200e commentaire sur Totem! Tu as donc droit à un cadeau promotionnel offert par la maison, comme une bière à la prochaine occasion – ou un thé si tu préfères. Je t’envoie le bon en pdf par coursier spécial.)

    Je ne sais pas exactement ce que tu veux dire par « films à l’eau de rose » – le fait est que personne n’a jamais songé à remixer leurs BA (et que l’énoncé même de ce programme paraît un peu étrange 😉 Il y a bien une secrète adéquation entre le remix (qui fait violence au contenu), le genre de la bande-annonce (qui fait violence au film), et le blockbuster (qui fait violence à l’imaginaire). Il y a dans cet exercice de réduction par le montage une sorte de joyeuse sauvagerie, que je trouve extrêmement significative de ce qu’est devenue la part (de marché) majoritaire des films d’aujourd’hui.

    Accessoirement, je pense que la vision de ce clip ferait se tire-bouchonner toutes seules les chaussettes de Hubert Damisch (grand théoricien du montage comme essence du cinéma), ce qui, tu l’imagines, m’amuse énormément – quoiqu’in petto.

  3. Pour ma part, ce qui me frappe est que je ne comprends rien à ce trailer cut !

    Contrairement à un vrai trailer, il y manque précisément l' »homogénéité de la narrativité ». Aucun fil narratif n’est perceptible, aucun personnage n’émerge. La seule lisibilité vient de notre culture (on reconnaît Terminator, etc.).
    C’est donc le contraire de la bande-annonce à l’américaine (qui résume tout le film). On se rapproche plutôt des « teasers » (qui contrebalancent ce bavardage en n’utilisant que quelques « séquences-coups de poing »). Sauf que ce trailer cut est fastidieusement long, contrairement aux teasers (qui jouent sur la brièveté, l’allusion, la surprise, et le désir qu’elles suscitent).

    « L’homogénéité de l’imaginaire » n’est pas étonnante, étant donné le filtre du genre (le film d’action, avec un accent sur la SF et le film-catastrophe) et sans doute de l’époque. Hollywood est une production industrielle uniformisée, ce n’est pas un scoop. Comme Hubert Guillaud, je crois qu’un montage semblable pourrait être fait avec des comédies romantiques (films à l’eau de rose) ou avec les films français (famille, grande maison, tout le monde a manqué d’amour dans son enfance, une ou deux gifles). Pourquoi ne l’a-t-on jamais fait ? Parce que Vadoskin est un geek qui regarde beaucoup de films-catastrophes.

    La seule homogénéité de ce montage est en fait son rythme, qui permet de niveler toutes les images au même niveau alors qu’elles me paraissent en réalité assez différentes (et sur la musique).

    Quant à la « violence » de la bande-annonce, je trouve qu’il s’agit d’un jugement injustement sévère sur un genre assez intéressant – et agréable (qui n’est pas déçu de rater les bandes-annonces parce qu’il est arrivé trop tard à sa séance ?). L’équilibre entre « en dire assez » et « ne pas trop en dire » est, allez, je me lance, un art !

  4. @Caillou: « la bande-annonce à l’américaine (qui résume tout le film). » Le cinéma a pas mal évolué depuis les années 1970, retournez-y à l’occasion, vous serez surpris. La bande-annonce-résumé, version historique du genre, a depuis longtemps laissé la place au montage coup de poing énigmatique, entièrement fondé sur le rythme.

    C’est ce qu’a bien compris l’ami Vadoskin, qui reproduit avec beaucoup de précision tous les gimmicks du genre. Vous confondez narration et narrativité: il n’y a évidemment pas d’homogénéité de l’histoire (laquelle?), mais bien des structures narratives, en l’occurrence la sélection de certains moments visuels, ces « effets de choc physique », comme les appelait déjà Benjamin, événements d’image interchangeables qui surjouent systématiquement les caractères dynamiques de l’action.

    Comme l’avait bien vu Bazin, vers le milieu du XXe siècle, le western était « le cinéma américain par excellence ». Aujourd’hui, c’est le blockbuster – et je pense que la mise en scène de la catastrophe au sein de ce genre n’est pas sans rapport avec son installation au centre de la vie politique et imaginaire des sociétés développées. On peut continuer à faire des comédies romantiques, de l’opéra ou du quatuor à cordes, activités patrimoniales d’intérêt public. Mais la culture en action du cinéma, je la vois toute entière concentrée dans ce trailer cut, comme une infusion d’images recueillie goutte à goutte.

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