Adieu Nicolas, bonjour François?

Peut-on transmettre un message caché dans l’image? Cette idée est familière dans les analyses de la publicité depuis The Hidden Persuaders de Vance Packard (1957). Mais le principe de la manipulation subliminale me semble fortement limité par la variabilité de l’interprétation des formes visuelles. Une notion qui me paraît plus robuste est celle de signification implicite, qui repose sur un partage ou une complicité objective entre l’émetteur et le destinataire. Cela dit, il est des cas où l’impression s’impose qu’on joue de l’ambiguïté native de l’image pour délivrer des messages en contrebande, sans qu’il soit toujours possible d’assigner de manière claire leur degré d’intentionnalité.

S’agit-il d’une impression orientée par mes préférences politiques (notoirement anti-sarkozystes)? Le choix de portrait de Nicolas Sarkozy pour le n° du 29 mars de Paris-Match me paraît résonner comme un adieu de l’un de ses plus actifs soutiens. Aucun élément textuel ne me permet d’étayer ce sentiment, uniquement alimenté par des informations visuelles. Le visage particulièrement pâle et l’air fatigué du président, le contraste du costume noir et du décor blanc qui confère une tonalité vaguement funèbre éveillent chez moi des associations avec l’imagerie du vampire… Mais il est évidemment impossible de conférer une quelconque objectivité à ces connotations fugaces, et il paraît peu crédible d’attribuer à Match l’intention de jouer avec des signifiants aussi négatifs.

Une comparaison avec la couverture de cette semaine, qui choisit de donner un air particulièrement favorable à François Hollande (voir ci-dessus) renforce pourtant le soupçon d’une forme de dépréciation visuelle de son concurrent. On peut aller chercher une image plus avenante de Sarkozy, comme celle proposée par le Figaro Magazine du 11 février (voir ci-dessous) pour en déduire, là encore par comparaison, que Match sait parfaitement ce qu’il fait lorsqu’il choisit ses portraits. Il n’en reste pas moins évident que la rédaction niera toute interprétation de cet ordre, et n’aura aucun mal à balayer ces associations, illustrant la difficulté d’établir une démonstration probante en matière visuelle.

13 réflexions au sujet de « Adieu Nicolas, bonjour François? »

  1. « Ah ben tiens… ! », (à la manière d’Apathie..)

    A voir le 1er doublon, et un peu habitué de CV et de Totem, je me disais que c’était le jeux des symboles qui seraient l’objet du papier…

    Tant l’image du Titanic et le titre sur l’abolition des privilèges semblent aussi participer un peu dans la construction du message… Non.. ?

    Où on se dit finalement que le rédac’ chef de PM lit peut-être aussi Culture visuelle…

  2. @Dominique Gauthey: Sauf exception, je ne travaille pas sur les juxtapositions éditoriales des couvertures – dont la fonction de sommaire explique ces rencontres parfois étranges ou cocasses. Leur interprétation au titre de messages intentionnels me parait encore plus difficile à étayer que les connotations visuelles…

  3. Lorsque j’ai vu la Une de PM avec NS, j’ai trouvé que le « style » de la photo était différent de d’habitude, pas très PM en somme.
    Les couleurs désaturées plutôt que des couleurs vives, la tête inclinée, la position du corps m’ont fait penser aux portraits d’intellectuels, typiques de Télérama…ce que j’ai interprété comme la volonté de PM de faire passer NS pour une sorte d’intellectuel, ou du mois pour quelqu’un de sérieux. Lecture, qui je pense, était orientée par le  » je serai différent » du titre.
    Autour de moi, en revanche, comme pour toi, tout le monde a trouvé qu’il avait l’air cadavérique, vieux et malade…
    Je ne sais pas ce que ça signifie (et on ne peut pas me qualifier de sarkosyste…) mais le jeu des connotations a été très différent…
    Bref peut-être un peu d’eau pour ton moulin !

  4. Hors sujet, mais le Canard enchaîné a révélé que la page 2 du numéro de Paris Match où Sarko est en couverture est une double page pour une montre Rolex. « En platine ou en or 18 carats, c’est la montre des personnes influentes […], des fortes personnalités en quête d’excellence ». Son nom ? Le « bracelet président » ! Pas sûr encore que cette association soit favorable au candidat sortant…

  5. D’ailleurs l’interprétation du Canard de la couverture de Paris Match consacrée à Sarkozy est différente de la vôtre. Dans l’article du volatile il est suggéré que cette couverture est censée donner l’image d’un chef d’Etat ayant mûri (exit le joggeur fringant de 2007), « Il doit avoir l’air grave, habité, un brin eprouvé par le poids des responsabilités, sa lutte contre la crise et les cinq ans qu’il vient de passer à trimer pour les Français. Quelques cheveux blancs visibles en prime, et voilà une bonne tête de père de la nation fin prêt à rempiler » écrit le Canard.

  6. En tout cas, les deux prétendants sont dans la même posture : trois quarts, souriants, face caméra regardant leur peuples au fond des yeux, sourire à lak (et même tête à clak à moitié penchée en fin de compte) (je me demandais tout à l’heure si nano1© avait fait l’ENA mais non je ne crois pas, nono si, comme chirac d’ailleurs)… Il faudrait bien voir que cet organe hebdomadaire fît sa une sur le candidat du Front de Gauche (à chaque fois que j’emploie ce terme, ça me fait penser à l’autre front et j’ai quand même envie de vomir) sur fond rouge sang je suppose, le socialiste est un peu plus éloigné de nous que le sortant (je souhaite aussi qu’il sorte sinon le 22 du moins le 6) mais la main dans la poche un peu dégingandé (olé olé???), moins sérieux probablement, dans l’escalier surtout (sans doute prêt à partir)(derrière lui, c’est un ptérodactyle qui s’envole ou bien?)

  7. Je partage en bonne partie l’expérience d’Alexie, en voyant cette image, et considérant peut-être à tort que PM ne pouvait desservir le candidat grand copain de son patron, je n’ai pas d’abord pensé au vampire ni au cadavre, dons au mauvais coup du journal, mais au désir de visualiser le changement, le « président différent » claironné par le titre… Sarkozy n’est pas semblable à lui-même sur cette photographie… le sportif au teint hâlé et aux Ray Ban/Rolex, se montre bien pâle et hâve… Son teint rompt avec les habitudes de couleurs et de maquillage qui régissent ce type de cliché généralement flatteur…

    Il se montre sans fard, à nu… c’est d’ailleurs l’axe de sa campagne qui cherche à supprimer les « corps intermédiaires », le maquillage en est un…

    En allant plus loin, on peut se dire qu’il y a là un aveu inconscient… il cherche à se montrer ostensiblement sans maquillage, il fait d’ailleurs une campagne authentique, sans artifice, c’est-à-dire sans argent caché ? sans l’argent de L’Oréal… 😉
    En tout ca cette absence manifeste de fond de teint constitue la différence… elle est éloquente. Elle pourrait nous dire visuellement que les vivres sont coupées de ce côté là !

    http://bit.ly/HLncdD

    On dit d’ailleurs « maquiller » les comptes de campagne…

  8. Les seuls éléments de contexte « explicite » sont les sous-titres que vous ne commentez pas. Ils sont tout aussi ambigus, mais il me semble que PM souligne (autant qu’il le peut…) la contradiction du président-candidat :
    – qui « nous reçoit à l’Élysée »,
    – pour dire « qu’il sera un président différent »…

    À l’inverse, FH « nous reçoit » (chez lui ? avant une réception plus officielle ?) La préférence (?) de PM viendrait de l’affirmation de « mettre fin aux privilèges » qui a un petit côté Nuit du 4 août.

    Et dans le lointain, il y a JLM qui se prépare à couper des têtes !

  9. Quinze jours avant le choc (sic), la couverture « Hollande » de Paris Match est un signal pour la fuite des capitaux, avec en prime la promesse d’un nouveau Titanic, comme en 81. Du travail de pros, difficile de faire mieux.

  10. Merci à tous pour vos commentaires, qui confirment la difficulté d’une interprétation univoque. En revanche, un consensus se dégage pour exprimer, à la manière d’Alexie, un sentiment d’étrangeté face à la couverture NS.

    On peut s’accorder sur le fait que cette étrangeté est essentiellement due à la pâleur du teint du personnage, qui est un caractère qu’il est facile de corriger d’un point de vue photographique, a priori par l’éclairage ou a posteriori par la retouche.

    L’absence de correction de ce trait peut être soit une erreur (ou un lapsus), soit intentionnelle.

    Le choix interprétatif peut donc se limiter à effectuer une hypothèse sur la compétence de Match en matière visuelle.

    Je ne connais pas beaucoup d' »erreurs » visibles de Match en couverture. Qu’elle porte précisément sur le personnage de Sarkozy me paraît improbable.

    Le deuxième point positif à considérer est que cette couverture fait couple avec celle de Hollande. A ce stade de la compétition, seul un doublet éditorial est journalistiquement correct, et permet d’éviter d’être accusé de prendre parti pour l’un des deux candidats. La lecture du Canard enchaîné ou celles qui réagissent ci-dessus à l’étrangeté de la couverture Sarkozy omettent de prendre en compte le système qu’elle forme avec la proposition Hollande, dont on ne peut pas nier la positivité.

    Le troisième point relève de la présupposition sur le jugement politique de Match. J’ai moi-même suffisamment souligné le soutien apporté par l’hebdomadaire au président. Toutefois, je note également que cela fait longtemps que Match n’a plus fait de couverture avec un beau portrait de Sarkozy, alors que plusieurs portraits très positifs de Hollande ont récemment été mis en Une. Ce qui doit nous rappeler que Match n’est pas sarkozyste, mais plus simplement légitimiste. Si la légitimité change de camp, le journal n’aura aucune difficulté à suivre le mouvement, comme il l’a fait à l’époque de la succession Giscard/Mitterrand (je laisse de côté le fait que la compagne de Hollande soit journaliste de Match).

    Ces trois points permettent de donner plus de solidité à l’hypothèse selon laquelle ce couple de couvertures présenterait justement ce transfert de légitimité qui, Simplicissimus et Didier ont raison de le noter, est également confirmé par l’énoncé « à quinze jours du choc » – choc qui ne peut être que l’élection de Hollande.

  11. J’aimerais m’attarder plus sur certaines caractéristiques des images Je lisais justement sur culture visuelle un article analysant l’impact de la taille d’une image et sa présentation.

    Là, on voit clairement que Sarkozy est plus grand, une carrure plus étayée, une carrure de président? Au contraire de Hollande qui semble plus effacé.

    Plus effacé, il l’est aussi dans l’image, alors que la photo de Sarkozy présente quelque chose de clair, une certaine rigueur, la photo de Hollande présente un contraste mitigé, les tons foncés de son costumes se confondant avec le mobilier à l’arrière alors que les tons clairs du visage ne contrastent pas énormément avec ce qu’on suppose être un écran.

    Finalement l’encart sur le Titanic laisse moins de place à Hollande: là où Nicola Sarkozy est la figure centrale de la page et sans conteste, Hollande semble décalé, plus dans le flou.

    A l’image des candidats selon Paris Match? 😉

  12. J’ai du mal à croire que l’on puisse être légitimiste avant une élection (sauf dans les pays totalitaires). J’ai l’impression que vous réduisez un peu trop l’image communicante à sa dimension… communicante. Même si je partage votre analyse de l’instagram présidentiel qui vise un premier cercle, en revanche ici (pour filer la métaphore du cercle) j’ai le sentiment que vous avez du mal à sortir de votre propre cercle herméneutique. Votre horizon d’attente n’est visiblement pas celui du lectorat de Match. Par comparaison, Hollande a l’air d’un jeunot. En deux mots, dans le portrait présidentiel, j’y vois davantage un miroir aux alouettes… et contrairement à celle de l’instagram plutôt une alouette vieillissante.

  13. @tchamba: Multipliant les points d’interrogation, mon billet questionne l’objectivité de l’interprétation d’une image. C’est avec intérêt que j’accueille les témoignages ci-dessus qui contredisent mes propres impressions, car ils viennent documenter cette question qui m’importe à titre professionnel beaucoup plus que le résultat de l’élection.

    Il est donc donc un peu vache de ramener mon questionnement à une vision univoque, et de me reprocher du coup de ne pas « sortir de (mon) propre cercle herméneutique »… Ce que je recherche sont des points d’appui qui permettraient de ne pas limiter le débat à l’affrontement stérile de visions divergentes (je vois ceci, moi cela…) que rien ne peut départager, avec le soupçon qu’une forme, sinon d’objectivité, à tout le moins de consensualité, représente précisément un enjeu décisif pour un hebdo spécialisé dans l’image comme l’est PM.

    Je suis allé voir la façon dont Match avait géré les affrontements présidentiels précédents. Ce qu’on peut observer est la mise au point progressive d’un système: Unes successives des principaux candidats avant le 1er tour, montages accolant les deux finalistes entre les 2 tours, photo du vainqueur (ou du couple) après le 2e tour. On a donc affaire à une forme relativement ritualisée, qui met en avant le respect de l’équité républicaine (avec des ruptures, comme en 1995 ou en 2002). Il faut attendre la fin de la séquence pour observer l’ensemble des options retenues, mais il me paraît possible de pouvoir en tirer des conclusions positives, au moins dans le contexte de PM.

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