De passage chez des amis, je tombe sur un n° papier de Libé, celui dont j’avais commenté la Une, avec le portrait d’Arnaud Montebourg par Yann Rabanier. Comme l’avait déjà noté Grégory Divoux chez Olivier Beuvelet, l’impression très pâle du quotidien atténue considérablement l’impression sinistre produite par le contraste de l’image sur écran.
En feuilletant le journal, je m’attarde sur les déclarations de l’ex-candidat, pour constater que la discussion qui a eu lieu à propos des images n’a tenu aucun compte de ces contenus. De fait, Olivier comme moi avons découvert les Unes du journal sur notre écran, la veille des parutions, ce qui nous a permis de développer un commentaire iconographique en phase avec la diffusion du quotidien, sans l’avoir eu entre les mains.
Hier soir encore, Sylvain Bourmeau, directeur adjoint de la rédaction de Libé, publiait sur son compte Facebook la Une d’aujourd’hui, ornée d’un portrait en noir et blanc de Claude Guéant, également diffusée un peu plus tard par le fil Twitter officiel de Libération et plusieurs autres sources internes.
Comme chaque fois, les réactions ne tardent pas, et je vois se multiplier les signalements et les commentaires sur les réseaux sociaux. Nul besoin de disposer de l’exemplaire papier: la Une est une composition qui se suffit à elle-même.
Outil de promotion du journal, la diffusion de la Une en avant-première produit une information dont la désirabilité est d’autant plus grande qu’elle est éloignée de l’heure de parution. Sous la forme d’un fichier jpeg en basse définition, ce contenu est également très appropriable et peut être aisément reproduit sans préoccupation de propriété intellectuelle. Il fournit à l’internaute le privilège de la rediffusion d’une information premium ainsi que la possibilité d’un commentaire à chaud ressemblant à ceux des éditorialistes professionnels (pratique courante au sein des rédactions, la mise en circulation anticipée des Unes et couvertures permet la préparation en amont des papiers, revues de presse, et autres réactions).
Si je me réjouis que Libé ait pris conscience de l’extrémisme assumé du ministre (pas trop tôt!), le traitement iconographique reste relativement discret – le portrait pourrait être utilisé dans un autre contexte, sans connotation négative (voir ci-dessous). Si l’on retrouve la contre-plongée et la moue typique de la lepénisation, rendue célèbre par une couverture de The Economist d’avril 2002, le journal n’est pas allé jusqu’au rictus (ou n’en a peut-être pas trouvé dans le matériel disponible). Le noir et blanc est également utilisé pour accentuer la suggestion, mais son interprétation reste liée au titre, qui seul exprime de manière explicite l’association aux thèses frontistes.
L’origine du stéréotype visuel, ce ne serait pas plutôt Mussolini que Le Pen?
C’est en deux temps: la diabolisation de Le Pen s’est d’abord appuyée sur l’allusion aux figures caractéristiques du fascisme ou du nazisme; on assiste maintenant à une diabolisation au second degré qui rapproche X ou Y de Le Pen (ici dénommée lepénisation).
Je suis bien d’accord avec la révélation tardive des œuvres de l’artisan Guéant, petit rouage de la grande machinerie de notre Président, dans le plus en plus tiède quotidien Libération.
Je suis bien d’accord aussi avec le paradigme mussolinien du menton en contre-plongée (il y a bien quelques peintures de David qui peuvent en être les fossiles, mais rien de bien probant, dans le fond), qui est peut-être lié au double menton hitlérien, pas à son avantage. Ni Mao, ni Staline n’ont autant joué que l’italien avec ce point de vue.
Je suis plus partagé sur la contextualisation liée à l’écrit ; je ne trouve pas que cette photo, accompagnée d’autres accroches, soit moins dramatisante : l’impression première reste une grimace un peu méprisante et hautaine(—mais, sûrement, c’est lié à ma vision du personnage !)
Je reste étonné que sur un type aussi controversé (parce que même si Libé a mis du temps, ça fait longtemps qu’il se fait remarquer, le Claude !) il y ait effectivement aussi peu de photo grimaçante sur Google image ! Pudeurs de journalistes ?
Juste une hypothèse. La couv de The Economist était destinée à un public qui dans son immense majorité ne savait pas qui était Le Pen. Sans la grimace et la position un peu ridicule des bras, ce public n’aurait pas nécessairement deviné que Le Pen était un méchant (il aurait pu être celui qui dénonçait les méchants). La grimace était sans doute aussi une contrainte économique. Mettre un inconnu en couverture est toujours risqué commercialement. Libé au contraire n’a pas besoin d’en rajouter dans la grimace. Guéant est très présent dans les médias et immédiatement reconnaissable, même si ce n’est pas une photo habituelle. La contre-plongée, le cadrage en biais, le noir & blanc sont finalement beaucoup plus percutants, en raison du stéréotype visuel, qu’une grimace qui nous emmènerait dans la caricature et enlèverait à l’image son coté inquiétant.
Oui mais le principe de la lepénisation, c’est précisément la caricature. Je suis d’accord que mes versions sous-titrées ne sont pas complètement convaincantes – il a vraiment une sale gueule! 😉 Il n’en reste pas moins que l’image tape moins fort que le titre. Bon, en général, dans ce genre de cas, on fait avec ce qu’on a, et il peu probable que l’archive icono de Guéant, certes connu, mais moins exposé que Sarko, présente une gamme d’expressions aussi large. On dira que c’est l’intention qui compte…
De plus en plus tiède Libération ? Vous ne devez assurément pas lire le journal depuis quelques mois…