Un prénom, une liste de choses que j’aime bien en vue sur un T-shirt (ici de la chaîne KFC): une auto-définition sociale et culturelle, inspirée des informations affichées sur les sites de rencontre ou les réseaux sociaux.
Qu’est-ce qui me définit aux yeux des autres? Le mot important ici est: « j’aime ». Et la structure d’une liste de termes interchangeables, dont seule la totalité est originale. Deux indications simples, qui disent le déclin de la culture dominante au profit de l’acceptation de la polyculturalité, la valorisation de l’appropriation individuelle au détriment de la conformité à la norme, le caractère profondément identitaire de la revendication culturelle. Je suis mes cultures. Mes cultures, c’est moi.
On pourrait presque dire, en renouant avec l’emphase, que « le XXIème siècle sera culturel, ou ne sera pas ». Et pour compléter je dirais même que non seulement le « j’aime » est indicateur d’identité, mais le « j’aime pas » peut également en être un puissant, vu moins comme exclusion de quelque chose que comme rapport précis à un souvenir, une expérience, tel que nous le démontre Jean-Pierre Jeunet dans court-métrage « Foutaises » (1989) : http://www.youtube.com/watch?v=Z2RfTPc6hEc
En même temps la question n’est-elle pas « ce que j’aime définit-il qui je suis » ? Il ne s’agit plus de valeurs, de croyances, de métier, de relations filiales ou sociales, de capital économique, d’environnement géographique et climatique toutes ces caractéristiques qui m’obligent et me déterminent malgré moi (en quelque sorte). Mais je deviens juste ce que j’aime, auto-référencement de mes cultures, auto-valorisation de mon identité puisque de toute façon unique et non soumise à l’objectivation du social. « Des goûts et des couleurs, on ne discute pas ».
Le « personal branding » comme nouvelle forme du cogito?
Même s’ils peuvent contribuer à la définir, les goûts ne se confondent pas avec la revendication culturelle. Dans le contexte social de l’auto-présentation, c’est la sélection des goûts affichés qui fait sens. J’aime ma maman ou j’aime les carottes n’a pas forcément de signification en dehors de mon cercle familial, mais affirmer qu’on aime telle série ou tel groupe de musique connu peut au contraire fournir une indication très précise sur la culture dont on se revendique. Pour fonctionner, ces préférences (qui peuvent être feintes) doivent en réalité être des références culturelles.
A moins que les gouts ne s’affichent comme stéréotypes culturels : le « j’aime maman » tatoué sur le bras d’un gros biker est un classique du détournement de stéréotypes mille fois vu dans des films, dessins animés etc… qui sont fait pour contrecarrer « la première impression » et créer justement le décalage comique. Mais dans ces cas là il est vrai qu’il s’agit d’une fonction affichée comme telle.
La revendication confère un caractère identitaire à toute préférence, quelle qu’elle soit. Il y a des références plus efficaces que d’autres. On peut aussi jouer de l’ambiguïté ou de l’obscurité (ou, comme tu le disais, du « j’aime pas », qui est une préférence négative). Encore une fois, comme dans la composition d’un portrait, tout dépend de l’effet que l’on souhaite obtenir.
@PAV: « A moins que les gouts ne s’affichent comme stéréotypes culturels » … comme dans Les camionneurs.
Du coup, je viens me de rappeler d’un bel exemple de revendication par la négativité qui confère un sacré caractère identitaire! : http://3.bp.blogspot.com/_PQNciwFpy_w/SVTwsriSnQI/AAAAAAAAElg/rbpldcAmAbM/s320/schtroumpf_grognon.jpg
😉
C’est très intéressant et complètement en accord avec la culture « Fast Food », on pourrait dire que j’affiche ma Culture à la façon « fast »,donc en mettant en vitrine ses affinités. En même temps c’est un peu restrictif aussi, car dans ce cas d’interaction face-à-face, le corps, les gestes deviennent passifs.
Alors dans ces cas probablement l’enjeu est d’etre surs de ce qu’on aime ou de ce q’on aime pas…et ne pas se laisser convaincre d’aimer qq chose, notament á travers la pub. Les websites ont bien compris qu’avoir le bouton like dans le site permet et invite aux lecteurs s’identifier et ainsi former partie d’une communauté de ‘likers’.
« déclin de la culture dominante au profit de l’acceptation de la polyculturalité ».
Je ne suis pas convaincu par ce phénomène. En fait l’analyse de Bourdieu dans la distinction (basée d’ailleurs sur des J’aime/J’aime pas) ne fonctionne plus dans le sens où 99% de la population (y compris cadres supérieurs) n’écoutent plus de classique par exemple. En fait il reste un critère distinctif parmi les goûts qui est l’éclectisme. Un jeune qui revendique aimer Radiohead (rock indé), IAM (hip hop) et par exemple Bonnie Tyler fera à coup sûr partie des dominants (en tous les cas dominants culturels).
ce qu’il y a d’à peu près certain c’est que de ne pas porter ce type d’uniforme dans le contexte évoqué ici mènera tout droit la (ou le) réfractaire) (Fatoumata ou Ahmed) à la porte (additionné d’une humiliation, sinon un coup de pied quelque part) (on s’en fout, on vient gagner du fric) (voilà) (c’est pas le sujet : probablement, mais je n’oublie pas et je ne lâche rien)
Dans dix ans, ils porteront un tee-shirt qui indique en temps réel leur nombre de followers sur twitter, le nombre d’amis qu’ils ont sur facebook et qui fera défiler leurs photos de classe de copains d’avant, avec écrit « vous reconnaissez-vous sur cette photo ? » entre deux pubs.
Dans le cadre d’un « uniforme » porté par les employés de chez KFC, il serait intéressant de savoir quel a été le protocole exact de sélection des « J’aime… » et dans quelle mesure il a été ratifié par la direction. Par exemple, il est possible que Fatoumata aime le Coca (MacDo) alors que KFC travaille avec Pepsi… (De la censure de l’individualité affichée – et encadrée…)
J’aime, les autres… ça existe ça ?
NLR : surtout le « twister »…
http://3.bp.blogspot.com/_BIoBL6FGcBw/TI4eeA1StsI/AAAAAAAAAO4/CDcLRejUnqs/s320/twister1.jpg
mais non, c’est pas de la culture dominante 😉
Je suis embarrassé. Il s’agit d’une pure technique marketing : créer de la connivence entre le vendeur et l’acheteur, de manière à mettre le second en de bonnes conditions pour consommer. C’est déjà le principe d’avoir un badge avec son prénom dessus chez Darty ou à la FNAC : je préfère parler à « Franck » qu’à « un vendeur ».
Bref, vous chantez la diversité (et vous m’apprenez à regarder le phénomène de cet œil); je crains la commercialisation des rapports sociaux.
PS : pensez-vous qu’Aminata peut arborer qu’elle aime « le sexe », ou « l’UMP », ou « les filles », ou « mordre », ou « [un groupe particulier pas très connu] »? A priori, la réponse est non. Comme le but est de créer la connivence, les items « aimés » doivent être à la fois particuliers (pour créer un sentiment de complicité) et consensuels (pour permettre le dialogue), à la manière d’un horoscope. Non, définitivement, pour la diversité, on repassera.
@Kart: Tout à fait d’accord, bien sûr, mais puis-je vous faire remarquer que cette création de connivence est aussi ce qui est à la base des sites de rencontre, auxquels le marketing est venu emprunter ce principe. Lorsqu’on veut rencontrer ou séduire quelqu’un, on « se vend » aussi, il n’y a pas contradiction 😉
Oui, la liste est probablement fermée (et comporte, comme l’a noté un de nos Sherlock Holmes ci-dessus, une première entrée imposée à choisir dans la liste des spécialités KFC). Sur Facebook non plus, on n’a pas intérêt à s’écarter trop du consensus si l’on veut rester friendly. Mais même une liste fermée est toujours plus ouverte qu’un item unique. Je vous rappelle que nous avons un ministère de LA culture, ce qui signifie qu’il n’y a qu’une culture officiellement reconnue. Le colonel Sanders est donc légèrement en avance sur Fredo Mitt 😉