Quelle image de la révolution numérique?

En voyant la couverture du dernier Studio, qui titre par-dessus l’affiche du film de Tim Burton, « Alice au pays de la 3D », je me dis: voici une image de l’image numérique. Ces couleurs de boîte à bonbons, d’une saturation irréelle, cette image qui rappelle la photo tout en étant si évidemment onirique, comme surchargée d’artifices, s’inscrit dans la lignée des Une des magazines spécialisés exaltant la révolution Photoshop.

Ecce imago numerica. C’est-à-dire d’abord une image. Une image où ce qui est montré est le travail de la construction de l’image, le travail de l’art. Survendue avec l’appel à la 3D, qui connote la prouesse technologique, le dernier progrès en matière visuelle.

Une image de cinéma. Une image que la photo n’a jamais réussi à inscrire dans sa culture. Comme si la photo avait raté, non sa révolution numérique, mais l’occasion de sa revendication. Alors que la pub et la mode s’artificialisent de plus en plus, courent après le style de la 3D du cinéma, la photo légitime continue à ostraciser Photoshop, et à vouloir faire croire qu’elle balade sur le monde son miroir impartial. Que la révolution numérique ne l’a affectée en rien. Ce n’est pas seulement une hypocrisie. C’est un suicide culturel.

7 réflexions au sujet de « Quelle image de la révolution numérique? »

  1. André, ce que tu appelles « la photo légitime », c’est le discours du photojournalisme uniquement ( qui est dominant en photo effectivement), qui a effectivement besoin de la caution du « réel » pour justifier et supporter sa propre martyrologie : qui voudra mourir pour Photoshop ?

  2. Il n’y a pas que le discours du photojournalisme. Le festival d’Arles vient d’annoncer son programme 2010. Parmi les 6 thématiques retenues: « les esthétiques qui disparaissent avec le numérique ». Pas celles qui apparaissent. Dommage.

    http://bit.ly/bqjexF

  3. une des esthétiques qui disparaît, c’est le noir & blanc… La photographie couleur a déjà eu du mal à s’imposer, alors les couleurs saturées du numérique…

  4. Comme dans les années 1920-1930, les ferments du renouveau sont sous nos yeux: ils peuvent être observés dans le domaine de la publicité, non dans les retraites institutionnelles, toujours en retard d’un train. Il manque encore un Moholy-Nagy pour décrire ces expériences comme une source de renouvellement et une direction choisie.

  5. Je suis on ne peut plus d’accord avec André Gunthert : il est déplorable de constamment se lamenter sur ce qui soit disant disparaît avec le numérique, et de l’accuser de tous les maux , comme entre autres, de tuer « La Vraie Photographie », celle sans retouche et sans reproche.
    Comme si cela avait existé un jour!
    Comme si on en était encore à penser que la photo est détachée/libérée de la main de l’homme (et de son cerveau aussi) et donc un medium « objectif », le négatif se portant garant de cette vérité de l’image!…
    (je pense à certains commentaires ahurissants à la suite du post « le détail fait-il la photographie? http://culturevisuelle.org/icones/447)

    La pratique de la photo ne se réduit pas à une technique. Contrairement au numérique. Et comme toute technique, le numérique nous apporte de nouvelles limites qui sont potentiellement créatives et de nouvelles possibilités que nous n’avons pas encore explorées (loin s’en faut…).
    Ramener et réduire sans cesse la photo à la technique, c’est nier la spécificité de l’auteur de l’image. Or, selon moi, c’est là que tout se joue et tout le reste n’est que détails (techniques).
    Réveillez-nous et cessons de chercher la vérité dans les images (alors qu’on sait bien, maintenant, qu’elle est ailleurs!)

    Peut-être faut-il retourner le problème : le numérique a été développé pour répondre à nos nouvelles demandes, et pas (seulement) pour éradiquer les supports précédents.

    Le noir et blanc meurt depuis longtemps, car plus personne ne veut en publier (même pas réussi à en caser à Télérama la semaine dernière, c’est vous dire!…) : pas vendeur.
    (Et pourtant, c’était du numérique!…)

  6. Je ne souscris pas (encore en tout cas) à ce diagnostic.
    Parce que j’ai une seule question à poser : est on si sur que le suicidé se porte si mal ? Avec son corollaire : qu’est ce vraiment que la photographie légitime ?

    Deux trois noms/exemples pour aller dans mon sens

    Tim Walker, encensé à Arles l’année passé si j’ai bien suivi (en tout cas les anciens d’Arles m’en parlent comme si c’était le messie…) http://www.timwalkerphotography.com/
    David La Chapelle, au musée de la Monnaie, et qui je vous assure qu’il a eu un succès retentissant auprès de mes anciens camarades des gobelins
    Gregor Crewdson et Erwin Olaf, chacun à sa façon, mais toujours aussi populaire auprès d’une population qui entend faire partie des futurs photographes auteurs
    Dans une moindre mesure, mais qui reste néanmoins intéressante et suggestive pour un discours qui articule technique et culture, Thomas Ruff et son livre/expo/projet Jpg

    Pour moi, autant de signes que la photographie, dite « légitime », n’oublie pas, quand elle est intelligente, certains débats. Et aussi, au passage, que certains débats ne font problème que parce qu’ils sont traités par un catégorie donnée (et qui n’est pas majoritaire, d’acteurs. En l’occurence, et pour faire écho au colloque récent, je m’étonne encore que seuls les photo-journalistes soient considérés comme professionnels. Biais qui s’explique, après tout de tous les acteurs de la photographie, ce sont les plus à même de se poser comme interlocuteurs pour les média, biais qui n’en a pas moins quelques effets sur l’analyse de l’image). Ce d’autant qu’aujourd’hui, on constate une annexion/utilisation de plus en plus croissante des « genres », la photographie de mode (et bientot, à mon avis, publicitaire), étant de plus en plus régulièrement utilisée/légitimée/reconnue (les trois à la fois, car le mouvement est complexe mais surtout continu depuis l’ère des Bourdin/Newton etc..) pour sa valeur artistique.

    Au final je trouve que le suicidé se porte bien, pour peu qu’on décentre un peu le regard (et qu’on cesse de considérer le photojournalisme, pratique parmi d’autres, comme étalon Au passage du coup cependant, et en cela je suis en revanche tout à fait d’accord avec vous André, c’est toute une mythologie qui s’effondre…)

  7. @Julien: « Qu’on cesse de considérer le photojournalisme, pratique parmi d’autres, comme étalon »: je n’ai pas dit autre chose hier au colloque du Sénat. Je ne crois malheureusement pas que cette opinion soit majoritaire, ni au sein de la profession, encore moins pour le grand public – et une liste d’exceptions, si fournie soit-elle, n’y change rien. Donc, on est d’accord, le « suicidé » se porte bien – à condition de porter le regard ailleurs que sur le lieu du décès 😉

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