Pour François Hollande, les jeux sont faits: Sarko est cuit, et quelles que soient les péripéties qui nous séparent de mai 2012, ce sera un socialiste qui occupera le fauteuil présidentiel au tour prochain.
La claque qu’a pris l’UMP et la colère qui monte du terrain, que les cantonales ont manifesté de plusieurs manières, semblent conforter cette vision. Mais on peut faire une autre lecture. Politiquement, l’alliance Sarko/Marine a déjà gagné la première manche, en imposant au PS son candidat le plus à droite. Tous les sondages le disent: pour éviter le risque d’un 21 avril, DSK est la meilleure assurance. La précampagne d’Aubry a fait flop, Ségolène est aux fraises, reste Hollande en embuscade, ce qui ne changerait pas grand-chose au scénario selon lequel le candidat gagnant de la gauche serait un centriste très medefo-compatible.
On peut imaginer un scénario encore bien pire: la transformation de l’alliance virtuelle Sarkozy/Le Pen en accord électoral en bonne et due forme. Plus rien ne l’interdit politiquement, car nous savons avec certitude depuis l’été dernier que la France est gouvernée par un président d’extrême-droite, secondé par des Buisson et des Guéant dont on aurait tort de croire qu’ils ne font que gaffer lorsqu’ils expriment leurs vraies convictions.
Médiatiquement, ce scénario paraît aujourd’hui improbable, ce qui constitue un bon paravent, car tant qu’on continuera à sonder l’électorat sur des schémas à trois entrées, on empêchera que se constitue une alternative forte à gauche, tout en barrant la route à l’émergence d’un candidat de centre-droit. Sarkozy, dont c’est la seule porte de sortie, n’hésitera pas une seconde, la seule question qui vaille étant la façon de permettre au FN de sauver la face. On a pu observer que, pendant qu’on laissait Copé se fritter avec Marine, Sarko évitait soigneusement d’injurier l’avenir. En démontrant que la puissance en voix ne se transforme pas nécessairement en victoire électorale, les cantonales ne laissent en réalité guère d’alternative à la présidente du FN. La condition de l’alliance devrait être le renoncement à l’anti-européisme du Front. Une condition qui paraît aujourd’hui difficile à remplir. Mais il est inquiétant de s’apercevoir qu’il n’y en a qu’une.
Compte tenu de la catastrophe qui attend la droite dite républicaine, présenter ce renversement d’alliance ne sera qu’une formalité, appuyé sur deux arguments: le FN a changé, il faut à tout prix contrer la menace socialiste.
On dira qu’un tel arrangement, s’il peut assurer la victoire au premier tour, n’a guère de chances de passer la barre du second. La France n’est pas d’extrême droite. Le problème, c’est que l’abstention déjoue l’arithmétique des équilibres politiques, et donne aux groupes les plus mobilisés le pouvoir de faire l’élection. Si la campagne oppose un DSK donné gagnant à un Sarkozy donné perdant, l’électorat subira un remake de l’affrontement Chirac-Jospin, dont le caractère démobilisateur avait déjà conduit à l’accident nucléaire du 21 avril.
A quatorze mois de l’élection, bien sûr, contrairement à ce que pense François Hollande, les jeux ne sont pas faits. La meilleure façon de s’opposer à la perspective d’une alliance des sarkozistes et des frontistes, c’est d’intégrer dès à présent cette hypothèse aux scénarios, en testant des sondages qui ôtent Marine de la liste des candidats, et en préparant des alliances plus solides à gauche.
Ce scénario pouvait être anticipé dés les régionales, André. Entre temps, il est vrai, le poids des mots s’est ajouté à celui des urnes, et les bons scores d’alors de LV-EE semblent bien loin. On aurait donc tort, comme tu le dis ici, de minimiser le goût du pouvoir de MLP qui sait très bien qu’elle devra faire alliance pour y accéder, ne serait que comme étai du Sarkozysme nouvelle formule.
Il reste peu de temps en effet pour combattre l’inertie à gauche.
Une application de la logique du « Catastrophisme éclairé »de Jean-Pierre Dupuis. Pour contrer le pire, il faut encore être capable de l’imaginer…
Il me semble quand même qu’une partie non-négligeable de l’UMP aura du mal à accepter un accord avec le FN, à moins qu’on n’arrive à les persuader que c’est une alliance purement tactique, que c’est le FN qui se fait rouler dans la farine, etc.
La comparaison est douteuse mais il paraît qu’en 1940, un nombre non-négligeable de juifs croyait mordicus que Philippe Pétain allait les protéger de l’occupant, en grand tacticien qu’il était (Verdun : 300 000 morts dont plus de la moitié du côté français).
En tout cas, passer du RPR/UDF au FN, c’est comme passer du Figaro au courrier des lecteurs du Figaro : pathétique, même si on peut se demander, finalement, si le ver n’était pas dans le fruit – après tout le courrier des lecteurs du Figaro est bien dans le Figaro.
Je ne suis pas trop d’accord avec les conclusions d’Emmanuel Todd qui propose de sortir de l’Euro, mais il a raison sur le fond : ce qui fait voter FN, c’est que les autres partis ne parlent pas de ce qui angoisse véritablement les électeurs, et l’immigration ou la sécurité n’en sont qu’une toute petite partie. La nouveauté de Marine Le Pen, ce n’est pas la séduction (je me verrais mal lui faire la bise en tout cas), c’est qu’elle est sortie de l’obnubilation xénophobe, elle parle par exemple d’écologie avec cent fois plus de conviction que le PS (mais dans des termes parano-FN : les pesticides venus d’ailleurs qui veulent entrer dans notre corps, les OGM américains qui veulent nous dominer, etc.)
Intéressant,
par contre, je trouve la réfutation de l’argument selon lequel cet attelage ne passera jamais le second tour assez légère. La mobilisation jouerait probablement également à gauche. Si certains peuvent croire que DSK==Sarkozy, peu iront jusqu’à croire que DSK==Sarkozy+LePen. Dès lors, un candidat perçu comme crédible et centriste n’aura pas de mal à mobiliser à la fois le centre et l’extrême gauche.
Pourquoi penser qu’il faudrait « des alliances plus solides à gauche » ? Lors des élections présidentielles, nous ne sommes tout de même pas en France dans le cas américain où l’abstention est tellement importante que seule compte la mobilisation de son camp.
Les élections cantonales ont montré que le FN fait toujours figure d’épouvantail (aucun élu dans les Bouches du Rhône par exemple), si cela ne laisse guère d’alternative à Le Pen, cela devrait également refroidir ceux qui ont des velléités d’alliance.
@Jean-no, Smith: « Le FN fait toujours figure d’épouvantail »… Oui, mais de moins en moins. Les lignes bougent actuellement à grande vitesse, et il serait à mon avis imprudent de juger de la place du FN dans les mois à venir en fonction des équilibres dont nous avons pris l’habitude. Pour mémoire, rappelons que Sarko n’a pas hésité en 2007 à pratiquer le renversement d’alliance en faisant un appel explicite aux électeurs du FN. Tout indique (et particulièrement le refus du « front républicain ») qu’il est prêt à passer à l’étape suivante.
Compte tenu de la liste des bourdes et des échecs accumulés par le gouvernement ces derniers mois, de l’affaire Bettencourt au bouclier fiscal en passant par les vacances de MAM, il est en réalité très inquiétant de constater la méforme du PS, qui n’apparaît qu’à peine moins discrédité que le parti au pouvoir. En l’état actuel des hypothèses possibles, je suis convaincu que le bon modèle pour penser l’échéance 2012 risque d’être le précédent Chirac-Jospin, où l’abstention avait atteint 28,4% au 1er tour, soit le taux le plus élevé sous la Ve, suffisant pour provoquer des glissements imprévisibles.
L’argument visant à faire barrage à Le Pen dès le premier tour a une conséquence très importante. Le FN ne disparaîtra pas comme cela ; il est désormais durablement implanté dans le paysage politique français.
Cela signifie que pour les vingt ans à venir (au moins) la consigne sera de « faire barrage au FN » dès le premier tour. C’est la mort des petits partis. C’est la fin d’une alternance crédible, car le candidat de « gauche » devra être centriste pour pouvoir engranger dès le premier tour une partie des voix de droite.
@Carole: « Faire barrage au FN » est un impératif à tout le moins discutable, puisque le parti est légal. Mais depuis que l’UMP a repris les motifs de chasse aux étrangers, il devient de plus en plus difficile de justifier une position de type « front républicain », explicitement abandonnée par le parti gouvernemental lors des cantonales. La perspective d’un arrangement Sarko/Le Pen implique au contraire de revivifier le tissu des alliances à gauche, sur des bases programmatiques et pas seulement électorales ou circonstancielles.
Bonjour,
juste un détail:
« où l’abstention avait atteint 28,4% au 1er tour, soit le taux le plus élevé sous la Ve, suffisant pour provoquer des glissements imprévisibles. »
On répète partout que l’arrivée de Le Pen au deuxième tour a été causée par l’abstention forte. En regardant les chiffres exacts au lieu des pourcentages (on les trouve sur Wikipedia), on voit que cette abstention correspond à environ 2 millions de votes en moins entre 1995 et 2002. Or, ces votes se répartissent en environ 200 000 en moins à gauche pour 1,8 million en moins à droite… En proportion, les votes exprimés étaient donc plus nombreux à gauche en 2002 par rapport à 95. Le problème est donc venu surtout du nombre de candidats et de l’éclatement des votes de gauche pour aller à l’extrême-gauche. Par contre, je vous rejoins pour dire qu’il y a un bien problème en cas de démobilisation autour du candidat « principal » à gauche…
@Bonhomme: Les arguments que vous reprenez sont ceux que Jospin lui-même a exposé pour expliquer sa défaite en 2002. Il s’avère que je me souviens très bien avoir voté au 1er tour (pour Jospin) en me bouchant le nez. Au-delà de l’arithmétique, il y a les dynamiques politiques. Si le candidat de gauche avait fait campagne pour gagner, non seulement il aurait mobilisé son camp, mais il aurait aussi évité la multiplication des candidatures concurrentes. Nouer des alliances, gérer son camp, se donner les moyens de gagner, c’est aussi faire de la politique. Même si je ne m’en réjouis pas, il faut reconnaître que Jospin, qui semblait le dernier à croire à sa candidature, a bien mérité sa fessée.
Oui, oui, je suis bien d’accord qu’il l’a bien mérité. Je ne cherchais pas du tout à défendre Jospin. Au contraire, je voulais justement dire qu’il n’avait pas bien fait campagne et que c’est pour ça que les voix se sont reportées plus à gauche. Je signalais juste que ce n’est finalement pas le désintérêt des gens pour l’élection qui a porté Le Pen au deuxième tour: les gens à gauche se sont au contraire plus mobilisés, et se sont exprimés en pénalisant Jospin. En somme, je voulais plutôt défendre les abstentionnistes qui portent le chapeau ! 🙂
« Vers la préférence nationale? », Obs, 30/03/2011:
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20110330.OBS0538/vers-la-preference-nationale.html