Effet Streisand garanti pour l’Association de la presse d’information politique et générale (IPG), à l’origine du projet de « Lex Google » visant à taxer les liens hypertexte des moteurs de recherche au profit des éditeurs de presse. Au-delà des incohérences intellectuelles et juridiques de cette spéculation, au-delà de l’image désastreuse d’un gouvernement acquis aux thèses d’un lobby rétrograde, on retiendra surtout de cette discussion que l’information « de qualité » a au final moins de valeur réelle que symbolique.
Comme le confirment aussi bien les statistiques de requêtes (voir ci-dessus) que les stratagèmes douteux de co-branding des sites de presse, l’attention des internautes se porte en priorité sur des sources d’informations pratiques (météo, programmes télé, commerce d’occasion…) ou encyclopédiques (Wikipedia, YouTube…), les loisirs (jeux, sports…) ou la conversation des réseaux sociaux.
Que vaut l’information distinguée, celle produite par le travail journalistique, à laquelle ses auteurs attribuent la toute première place? Visiblement peu de chose. Destinée en priorité aux « décideurs » (cible privilégiée des chaînes d’info payantes), l’information politique et générale n’a pu être proposée au grand public qu’à la condition de bénéficier de puissants soutiens externes – hier, celui des industriels à travers la publicité; aujourd’hui, celui de la classe politique à travers les aides publiques, qui ont pris le relais (1,2 milliards de subventions pour l’ensemble de la presse).
Pourquoi soutenir une information dont personne ne voudrait s’il fallait payer son juste prix? Comme le montre clairement la collusion politico-médiatique de l’opération anti-Google, la classe politique est bien la principale bénéficiaire de la représentation du monde structurée par l' »info géné ». Croire à la puissance des décideurs est le résultat d’un long conditionnement culturel. Grâce à la « Lex Google », au moins comprend-on mieux quelle est l’utilité réelle de ce théâtre des privilèges, et pourquoi notre intérêt pour ce spectacle décline chaque jour un peu plus.
- Johan Hufnagel, Christophe Carron, Guillaume Ledit, « Non, ça ne règlerait pas les problèmes de la presse » (tribune), Libération, 26/10/2012.
- Fabrice Boé, « Bataille presse vs Google. Au secours l’Europe!« , Journalism Online Press, 26/10/2012.
- Anon., « Petits meurtres de liens entre amis. La presse, le ministère et Google News« , Signal, 29/10/2012.
- Claire Berthelemy, « Trafics d’audience« , Owni, 02/11/2012.
- Frédéric Filloux, « The Press, Google, its Algorithm, their Scale« , Monday Note, 04/11/2012.
- Aurore Gorius, « Pour Google, la presse ne pèse pas si lourd« , Arrêt sur images, 05/11/2012.
La conclusion très abusive que je fait de cet article, c’est que la presse est à la botte des publicitaires et des politiques ?
Bon, je charrie un peu : d’accord, c’est plus subtil.
Mais je m’interroge sur la réelle différence que cela aurait, in fine, de cesser de subvenir au gros des besoins de la presse écrite, et de laisser les mastodontes googliens prendre le dessus. Le lecteur moyen (moi) y gagnerait-il en réflexivité par rapport à l’actualité ? Ou le lecteur moyen (moi) serait-il encore plus méfiant des collusions entre les sphères économiques, politiques et médiatiques, au point qu’il irait encore plus chercher à mettre cette information en perspective avec des analystes/decrypteurs (vous) ?
Ne pas oublier que certains journaux s’en sortent plutôt bien, hors publicité et hors internet. Mais le Canard n’est pas la règle…
Ce qui est sûr, c’est que la presse écrite court médiocrement après on ne sait quoi !
Je ne suis pas certain que ce soit tellement plus subtil… 😉 Imagine-t-on Le Figaro critiquer les entreprises Dassault? La perte sèche de plusieurs centaines de milliers d’euros suite à la boulette de la Une « riche con » de Libé (on peut être sûr qu’on ne les y reprendra pas de sitôt!) montre comment mesurer l’indépendance des organes qui ont recours aux annonceurs. Vous noterez que ce sont souvent les autres – comme Le Canard ou Mediapart – qui sortent les dossiers qui fâchent…
Si le schéma que je suggère a quelque réalité, il n’y pas à s’inquiéter pour la presse traditionnelle, qui trouvera du soutien auprès de la classe politique aussi longtemps que celle-ci tiendra les cordons du budget.
La question de sa crédibilité est une autre paire de manches. De ce point de vue, le travail de sape du web est une réalité quotidienne. Je ne vais pas faire de dissertation sur Google, mais il ne faut pas oublier que ses réponses sont, pour une large part et pour des raisons strictement mathématiques, le miroir de nos circulations passées. Un miroir certes en partie biaisé – mais tout de même largement moins que celui qui voudrait nous faire croire qu’il y a le moindre intérêt à passer 30 heures de direct à attendre le résultat des élections états-uniennes… 😉
Par ailleurs, le web ne se limite pas à Google: l’une des sources majeures de nos informations est aujourd’hui la recommandation via les réseaux sociaux. L’info que je recueille par ce biais (et dont la liste de références ci-dessus peut donner une idée) est de très loin meilleure, plus variée et plus approfondie, que celle que pourrait m’offrir n’importe lequel des quotidiens généralistes…
C’est très juste, mais alors se pose la question de l’autorité, d’une certaine façon. Quand je lis le Figaro, ou Libération, je sais à l’avance que ce que je vais lire est passé à travers un filtre. D’une façon diffuse, ou plus aiguë, je sais en tant que lecteur que l’objectivité n’existe que dans la bouche des journalistes.
Mais je sais aussi que l’information est plus ou moins vérifiée, alors que sur les sites informatifs je n’en ai pas vraiment de preuve : certains sont sûrs, d’autres, parfois même affiliés à des journaux traditionnels, ne le sont que moyennement.
J’aurais tendance à me fier plus à, mettons, Le Monde qu’à Public. Que j’aie raison ou pas est d’ailleurs accessoire ; cependant, dans le cas des réseaux sociaux, ou des liens informatifs, la personne qui me dirige vers le lien est quelqu’un en qui je peux avoir confiance : j’ai foi en son autorité en la matière.
Parce que l’info que je sélectionne sur internet est certes meilleure (plus complète, avec un spectre plus large) mais aussi, elle est mise en concurrence avec des autres informations diamétralement opposées, en quantité égale. Et si ma capacité à faire le tri venait justement du fait que j’aie appris à lire l’information à travers la presse écrite ?
(C’est une question ouverte, pas une opinion.)