Le site « Photos non contractuelles » a été signalé récemment par plusieurs de mes contacts. Celui-ci déclare recenser «les pires différences que l’on peut observer entre les publicités et la réalité» et appelle ses lecteurs à lui faire parvenir des photos.
«La ruine de la théorie indicielle», commente ironiquement un ami. Ce qui n’est qu’à moitié vrai, car si l’illustration de gauche est en effet supposée menteuse, la photo de droite a bien pour mission de rétablir la vérité en dévoilant l’image réelle du produit.
Pourtant, en parcourant les quelques pages d’un site ouvert en décembre dernier, surprise: on n’aperçoit aucune photo d’automobile, de montre de luxe ou de visage raffermi par un cosmétique. Mais une iconographie presque exclusivement dédiée aux spécialités alimentaires, avec une préférence marquée pour les hamburgers et les plats prêt-à-réchauffer.
Faut-il en conclure que la publicité pour les produits non-alimentaires tient mieux ses promesses? Pourtant, on peut facilement faire l’essai: photographiée au compact avec un bon coup de flash dans l’entrée du garage, l’auto la plus rutilante aura une allure aussi éloignée du dépliant publicitaire que le premier MacDo venu.
Le site « Photos non contractuelles » veut-il vraiment nous alerter sur les excès du marketing? Ou plutôt provoquer un sentiment de dégoût à bon compte? L’efficacité apparente de la démonstration visuelle n’est qu’un leurre. Les photographes spécialisés le savent: donner une image appétissante aux victuailles demande autant d’efforts que la composition d’une nature morte. En revanche, photographier un plat industriel à même la barquette sans éclairage ni apprêt offre la garantie du haut-le-cœur. Là comme ailleurs, la photo ne prouve que ce qu’on veut bien croire.
La photographie de nourriture est un exemple parfait de la distance qui sépare ce qu’on voit de ses yeux (en fait de ses papilles, de ses narines, de ses souvenirs, etc.) de ce que la photographie peut fixer. Souvent, pour qu’un plat ressemble à l’impression que les gens en ont, les photographes spécialisés utilisent d’autres matériaux, d’autres couleurs, des éclairages travaillés, une humidification artificielle, etc.
Je connais des restaurants turcs ou libanais de très haute tenue gustative, où les produits sont idéalement frais, mais dont les propriétaires n’ont pas investi dans de bonnes photographies, et qui affichent en devanture des images qui ne paraissent, du coup, pas très saines : rien de plus moche que la viande cuite, souvent, les sauces, etc. Au minimum il faut reprendre les couleurs, il est bien aussi de contextualiser les images,…
Je pense que « l’ambition » de ce site est moins de nous avertir des dérives de la com’, des dangers de la pub ou des horribles mensonges auxquels nous sommes exposés à longueur de temps que de faire un énième site participatif/collaboratif à la sauce 2.0.
Une espèce de http://failblog.org/ raté.
Il est aussi étonnant de voir que les tags #photoshop ne sont employés que lorsqu’il s’agit de retouche de corps, féminins of course.
J’avais signalé, dans un petit billet de 2008, le site Pundo 3000 dont l’auteur avait réalisé un vrai travail systématique sur le sujet de la bouffe en barquettes. Chez Pundo, pour photographier les articles achetés on s’est donné un peu de peine. Je dirais en tout cas qu’on ne sent pas une intention malveillante qui consisterait à salir particulièrement les objets photographiés. Pas besoin, d’ailleurs… c’est assez parlant comme cela! Le site que tu nous signales, à côté, c’est un peu «n’importe quoi». Un truc pour se bidonner à bon compte avec l’aimable participation des gogos, dans la veine des concours de pets ou des gobeurs de Flamby. (J’y ai aussi repéré une paire de photos piquées sur Pundo!)
Ce qui m’étonnait alors – et ça n’a pas changé – c’est qu’on puisse continuer à vendre cette marchandise, alors que la supercherie saute aux yeux de quiconque la déballe. Cela reste pour moi un grand mystère du comportement humain! Pour beaucoup d’autres objets, dont tu as raison de souligner qu’ils sont tout aussi retouchés, l’effet n’est à mon avis pas comparable. Quand tu achètes une voiture ou une belle montre, tu peux la voir et la toucher avant. Tu peux mesurer par toi-même la différence qu’il y a entre l’objet et sa représentation sur le prospectus. Tu n’as pas à te fier à une unique photo sur un emballage.
@Jean-no: Bien d’accord. Comme le sexe, l’alimentation est un domaine de fort investissement imaginaire, dont l’image peut facilement susciter des émotions fortes.
@Matthieu Giralt: C’est bien ça. Appelons ça la Photoshoploitation.
@Béat: Le problème n’est pas seulement celui de la fidélité de l’illustration au contenu. La photo a aussi dans ce cas une fonction d’identification, à la manière de l’image de la bouteille de vin pour illustrer un cubitainer. L’image doit nous aider à reconnaître rapidement la spécialité proposée, il est donc compréhensible qu’elle recoure à des artifices rituels qui font partie des codes d’identification d’un produit.
Les indications fournies par les quelques photographes spécialisés dans le culinaire qu’il nous a été donné de rencontrer dernièrement font apparaître clairement qu’ils ne réalisent pas toujours, du moins pas complètement, leurs photos à partir des produits que leur proposent les fabricants, particulièrement pour les plats cuisinés. Chacun a ses trucs pour rendre un gratin plus onctueux ou coloré à l’oeil. Ou alors ils débitent des jambons entiers pour trouver la tranche qui ne présente aucun défaut. Certains vont même jusqu’à utiliser leurs propres recettes pour réaliser le plat en question, sans utiliser celui du fabricant. Ces photographes se flattent d’ailleurs d’être autant cuisiniers ou stylistes que photographes. Au bout du compte, il est clair que leurs images n’ont rien à voir avec l’aspect qu’aura le plat en question lorsqu’il sortira de notre four.
Mais elles nous auront donné envie de l’acheter. N’était-ce pas le but recherché ?
Au fond, pour paraphraser Lacan, on pourrait dire qu’il n’y a pas de rapport culinaire… c’est ce que montrent ces comparaisons…
Toutes les pubs n’ont pas le même budget. MacDo va utiliser un photographe vedette qui fera appel à un styliste spécialisé dans la photographie de bouffe pour une campagne nationale ou les transparents qui vont dominer les caisses de tous ses restaurants, un importateur de taboulé vendu en boites de conserve sur un coup unique investira beaucoup moins d’argent dans la photo de son étiquette. Pour avoir fait il y a un certain temps des photos de la deuxième catégorie, le résultat final dépend essentiellement de la lumière et de la présentation. Qui n’a pas détaché au pinceau une à une les cannelures de raviolis en boîte, n’a rien compris aux joies de la photographie alimentaire.
Ce site ne supposerait-il pas implicitement que pour qu’une photo soit documentaire (réaliste), il faudrait jeter en vrac le produit et le photographier avec le flash intégré de son téléphone portable?
En matière de Culture Visuelle, je me suis mis à regarder avec un peu plus d’attention les étiquettes et affichettes présentant des produits alimentaires à la suite de ce billet et j’ai le sentiment que tant la lumière que la façon de présenter les produits ont changé ces dernières années.
Beaucoup plus de produits photographiés crus et des lumières froides (tirant vers le bleu), là où autrefois on travaillait avec des lumières chaudes supposées évoquées la convivialité. Beaucoup moins de mise en scène aussi, comme pour prétendre plus au caractère documentaire de l’image, là où autrefois on évoquait beaucoup plus l’instant du repas en montrant un bout de table, un couvert etc.
En fait, quand j’y repense, je n’ai pas de réels problèmes avec les images de produits retouchées. Souvent le processus de retouche sert surtout à souligner l’intelligibilité de l’objet, à mieux le visualiser. Non, ce qui cloche, chez moi, ce sont les produits eux-mêmes! Mais cela est un tout autre débat…