« Mitterrand est à la Une de Match« , énonce le journaliste d’une émission radiophonique matinale, sur le ton de l’évidence, pour faire réagir son invité. Pour le 15e anniversaire de sa mort, le magazine consacre en effet un dossier fourni à l’ancien président.
Pourtant, dans la façon dont ce choix est décrit, on a l’impression qu’il s’agit d’un fait objectif plutôt que d’une option éditoriale. « Mitterrand est à la Une de Match« , plutôt que « Match met Mitterrand à la Une ». L’implicite que recouvre cette tournure impersonnelle est la conviction que les choix éditoriaux ont en effet vocation à s’imposer comme des faits objectifs.
Si Match est Match, c’est parce que sa rédaction s’efforce de rendre compte de manière impartiale des affaires du monde. Les options retenues au terme du processus éditorial, mystérieuse alchimie collective dont le public ne connaît que le résultat, l’ont été en raison même de leur caractère de généralité et de leur représentativité supposés. En d’autres termes, quand une image s’élève jusqu’à ce sommet de l’énonciation qu’est la Une, l’ensemble du système médiatique la désigne comme dotée d’une valeur éminente et d’une signification supérieure.
Fait aussi indéniable que le constat d’un phénomène naturel, « Mitterrand est à la Une de Match » est un énoncé d’un registre équivalent à « il a neigé » ou « Il y a eu une éclipse de soleil ». Puissance du dispositif (et non de l’image), parfaite circularité du système (où le journalisme entérine ce que le journalisme a produit), génie de l’objectivation.
Si « Match » est « Match » (comme « les affaires sont les affaires ») n’est-il pas, pour autant, un hebdomadaire où le « spectaculaire » le dispute à l’hagiographie ? (je ne lis pas – on ne peut pas tout faire, même chez son dentiste/coiffeur/psychanalyste – mais il me semble qu’un jour il y avait à cette place – en une- le premier ministre qui allait se faire foutre à la porte, comme une sorte d’au revoir nostalgique) : on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, on connaît l’histoire (l’Histoire) (je ne sais pas comment j’y arrive, mais à chaque fois, mon commentaire est hors sujet…) (j’en parlerai une de ces séances).
« A la Une de Match cette semaine… » Combien de fois entend-on cette expression dans la bouche d’un journaliste qui semble en effet constater un phénomène naturel ?
C’est très intéressant pour la position dans laquelle ce mécanisme autoréférentiel des acteurs du système médiatique place le spectateur… Comme témoin, oreille attentive, (analyste?) d’une évocation personnelle de l’instance (qu’on unifie artificiellement mais à juste titre) chargée de raconter le monde et où règne un certain conformisme, comme si cette apparition d’une représentation à la Une de Match avait la valeur d’une réminiscence involontaire, d’un acte inconscient, d’une réaction de la surface de la Une à ce qui revient, ce qui fait retour, ce qui affleure du monde actuel dans une conscience collective, restes diurnes et désirs refoulés… j’ai l’impression que la Une de Match est de manière privilégiée le lieu où fait retour un certain refoulé du système médiatique, où s’inscrivent comme dans le rêve, des désirs et des savoirs plus ou moins volontairement censurés… (le poids des mots le choc des photos, c’est la part du traumatisme dans l’information) … la femme du président et son amant, la catastrophe, le mort qui pèse sur les vivants, le bon plaisir aristocratique des puissants, l’être absent… le news mag est parcouru des histoires et des images de morts et d’amour qui hantent les consciences informées… ou doivent le faire !
D’où peut-être la manière dont on observe et commente ces Unes au sein même du système médiatique, comme un sujet parlant de son rêve… tiens ! Mitterrand est à la Une de Match… qu’est-ce que cela veut dire ?
De manière paradoxale, le spectateur est ainsi, parfois inconsciemment, au contact du sujet (de la subjectivité) et de l’imaginaire qui se cachent derrière l’énnoncé de l’information censée être objective, parce que la transitivité supposée de l’information se retourne d’un coup en autoscopie…
L’image et sa tribune qu’est la Une sont peut-être plus proches du rêve que de l’information qui est parfois (voire souvent) un prétexte pour justifier le retour…
La Une est essentielle pour tous les journaux. C’est sa vision qui doit déclencher l’envie d’acheter chez le lecteur occasionnel.
Le statut particulier de celle de Paris-Match remonte à une époque où la télévision n’existait pas. Par son format et l’utilisation de photographies en pleine page ou en double-page, ce journal était le principal accès aux images de l’actualité pour un grand nombre de français.
Inversement, faire la une, ça signifiait symboliquement que l’on était l’actualité.
Aujourd’hui, l’information visuelle, c’est la télévision et Internet. Mais il continue de bénéficier en partie de cet aura auprès de ses concurrents et d’une partie des lecteurs, sans doute parce qu’il a eu l’intelligence de conserver son format historique qui le distingue des autres titres de la presse people, et parce qu’il attache plus d’importance que ses concurrents à la mise en valeur des photographies. Ainsi, Alain Génestar, viré après l’opérette Cécilia, est un réel homme d’images.
L’équivalent de faire la une de Paris-Match c’est sans doute de faire simultanément la une du Point, de l’Express et du Nouvel Observateur.
@Olivier: Merci pour cette piste suggestive!
Je recopie ici un extrait du commentaire également éclairant laissé par Michel Puech sur Mediapart (où j’ai recopié mon billet, tout le monde suit?):
« Si Match « monte » Mitterrand en Une, c’est – peut-être – également que la Une pour l’anniversaire de la mort du Général de Gaulle a été la meilleure vente de novembre… Les français aiment les « grands hommes » donc les ventes suivent. »
A propos, mais hors sujet, personne n’a évoqué sur Culture Visuelle les unes de Challenges? http://www.madeinpresse.fr/titre/challenges-0572602.html
L’unité visuelle des couvertures me semble être un cas unique dans la presse.
@Thierry: Merci du signalement! J’avoue ne pas être un lecteur assidu de Challenges 😉 Comme stratégie d’identification, ça paraît efficace. Ça pousse jusqu’au bout l’idée que la couv’ est une pure accroche graphique. En galerie, en revanche, ça fait plutôt lugubre…
La pure accroche graphique devrait faciliter l’identification immédiate du titre chez le marchand de journaux.
Mais ça me semble aller à contre-courant de la couv qui fait vendre, celle qui va « accrocher » le passant.
C’est très chic (le noir, le portrait posé), à défaut d’être choc, et je suppose que beaucoup de « décideurs » se damneraient pour faire la couverture. Est-ce que ça fonctionne en termes de diffusion?