Une campagne pour rien

Bilan d’étape. Après un mois passé à faire la campagne de Marine Le Pen, Sarkozy a récupéré de 3 à 4% de voix frontistes (et fait chuter d’autant la candidate FN, privée d’oxygène). Après Toulouse, annoncé comme le nième « tournant » de la campagne, on voit au contraire que la courbe plafonne. Elle ne tardera pas à redescendre, pour rester scotchée aux alentours d’un quart des votants. Tout ça pour ça. En jouant à fond la carte xénophone et sécuritaire, en donnant à la campagne un parfum de cabinets, Sarkozy s’est définitivement fermé les portes du second tour.

Nous aurons donc pour la première fois depuis 1995 un président qui ne sera pas un tricheur et un délinquant électoral. Ça ne peut pas faire de mal à la République. Mais c’est à peu près le seul bénéfice qu’on peut anticiper. Symétrique des vases communicants à droite, la montée en puissance de Mélenchon est le meilleur indicateur de l’absence de désir pour l’hologramme Hollande, qui n’a toujours pas trouvé de meilleur argument de campagne que le vote utile. Quel que soit le score, qui promet d’être moins flamboyant que prévu, il sera élu du bout des lèvres, par un électorat peu nombreux. Remporter le match face à l’hystérie extrême droitière du camp sarkozyste risque d’être aussi peu glorieux que la victoire de Chirac en 2002. La marge de manœuvre du futur président sera inexistante.

2012 aura donc été la campagne la plus détestable de la Cinquième. La plus éloignée des préoccupations des Français, des enjeux politiques de fond, et la plus inutile. Car ce qui frappe, dans l’échec du storytelling des deux principaux candidats, c’est à quel point la chambre d’écho médiatique aura tonitrué à vide, incapable de faire bouger les tendances autrement qu’à la marge. On se souviendra de la croyance solidement ancrée dans les pouvoirs magiques du caïd installé à l’Elysée, qu’un papier énamouré de Philippe Ridet déploie jusqu’au ridicule. Jusqu’au bout, la machine médiatique aura tourné pour la bête de scène. En pure perte.

Much ado about nothing. Les jeux étaient faits il y a un an. La campagne n’a fait qu’accentuer la disgrâce des politiques, incapables de dessiner un avenir, et le discrédit du journalisme, dont le rôle se réduit désormais à la stratégie du choc. Qu’ils s’en aillent tous! disait Mélenchon. Mais tous resteront. Une campagne pour rien.

Toute ressemblance avec des faits réels, etc…

«Le ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue – frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était une gigantesque construction pyramidale de béton d’un blanc éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du Parti:

LA GUERRE C’EST LA PAIX

LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE»

(George Orwell, 1984)

Guéant, ouvrier de l'implicite

Alors, Guéant, raciste ou pas? Le plus intéressant dans cette affaire qui ne fait pas un pli, ce sont les hésitations et les doutes à gauche. Qu’est-ce qu’une civilisation? Vérifions dans le Robert. Ou pire: renvoyons dos à dos Guéant et Letchimy, comme si le point Godwin était devenu l’alpha et l’oméga de la pensée critique.

Si l’on en croit les laborieuses justifications du ministre, encore répétées aux Antilles, celui-ci se bornait à exprimer l’idée que la démocratie, c’est mieux que la tyrannie. Ben voyons. Et pourquoi pas qu’il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade? Du coup, on s’explique mal pourquoi les hiérarques accourus à son secours tenaient tant à préciser que «Claude Guéant n’est pas raciste» ou que «Claude Guéant est un républicain». Ça vous viendrait à l’esprit d’évoquer le racisme à propos d’un éloge des droits de l’homme? Continuer la lecture de Guéant, ouvrier de l'implicite

Portrait de candidat en vainqueur

Un discours peut-il tout changer? Magie des campagnes, ce moment où le verbe semble doté d’un pouvoir performatif sur les choses – si différent du cours habituel de l’exercice politique, où la volonté a tant de mal à se traduire en actes. Cinq ans après le discours du 14 janvier 2007, par lequel Nicolas Sarkozy donnait le coup d’envoi d’une dynamique victorieuse, le discours du Bourget de François Hollande lui répond mot pour mot.

On dit le candidat socialiste calé sur le modèle mitterrandien. Pourtant, son image qui se détachait sur fond bleu, cette combinaison des drapeaux européen et français, les allers-retours de Louma dignes d’une finale de la Nouvelle Star à Baltard, les perspectives sur la houle des banderoles et des fanions rappelaient surtout le précédent des grandes mises en scènes sarkoziennes.

Continuer la lecture de Portrait de candidat en vainqueur

L'aprésident

Ça y est, c’est fini. Le soi-disant président pas encore candidat est en réalité tout entier candidat et déjà plus président. TVA sociale, taxe Tobin, commémoration de Jeanne d’Arc…: avec le mélange typique d’accélération du rythme, de signaux clientélistes et d’effets de contre-pied qui font l’ordinaire du Sarkozy en campagne, le Clausewitz de l’Elysée met clairement les outils de la présidence au service de sa réélection. Plutôt que sur un bilan qu’il sait calamiteux, plutôt que sur l’annonce improbable de projets inexistants, le candidat de la majorité a choisi de tout miser sur un activisme instantané, étrange programme qui a l’avantage de le présenter sous son meilleur jour devant les caméras – mais le gros défaut de postuler un électorat doté d’une mémoire de poisson rouge.

Continuer la lecture de L'aprésident

Jeanne, juste une image…

C’est Michelet qui invente en 1841 la Jeanne d’Arc qui nous est familière. Pour Voltaire, ce personnage de légende n’est que le signe de la crédulité populaire et un objet de moqueries paillardes. Mais au XIXe siècle, la construction du nationalisme puise dans l’histoire le répertoire de ses figures. La Jeanne mère de la France lui fournit une icône de choix, déclinée en d’innombrables produits d’édition. Issue d’un Moyen-Age de pacotille, elle tire en partie son énergie symbolique d’un croisement avec la Marianne révolutionnaire, sa cousine en romantisme. Solliciter aujourd’hui le souvenir lointain de cette figure héroïque, c’est rappeler le temps où l’Etat avait pouvoir sur la marche des choses, et particulièrement celui d’édicter les symboles et les récits d’un peuple. Le branle de ces vieilles icônes ne souligne que plus cruellement la vacuité aujourd’hui du lieu politique, qui n’a plus ni modèle à désigner ni rêve à nourrir, qui a perdu la confiance d’un peuple qu’il a cessé de représenter, qui ne sait plus que jouer avec des images qui ne veulent plus rien dire…

Commenter la Une de Libé

Une Libé 29/11/2011, couverture The Economist, 27/04/2002.

De passage chez des amis, je tombe sur un n° papier de Libé, celui dont j’avais commenté la Une, avec le portrait d’Arnaud Montebourg par Yann Rabanier. Comme l’avait déjà noté Grégory Divoux chez Olivier Beuvelet, l’impression très pâle du quotidien atténue considérablement l’impression sinistre produite par le contraste de l’image sur écran.

En feuilletant le journal, je m’attarde sur les déclarations de l’ex-candidat, pour constater que la discussion qui a eu lieu à propos des images n’a tenu aucun compte de ces contenus. De fait, Olivier comme moi avons découvert les Unes du journal sur notre écran, la veille des parutions, ce qui nous a permis de développer un commentaire iconographique en phase avec la diffusion du quotidien, sans l’avoir eu entre les mains.

Hier soir encore, Sylvain Bourmeau, directeur adjoint de la rédaction de Libé, publiait sur son compte Facebook la Une d’aujourd’hui, ornée d’un portrait en noir et blanc de Claude Guéant, également diffusée un peu plus tard par le fil Twitter officiel de Libération et plusieurs autres sources internes.

Continuer la lecture de Commenter la Une de Libé

Dislike

J’ai toujours voté PS aux présidentielles. Pour la première fois depuis mon entrée dans la vie citoyenne, j’envisage de m’abstenir. Non sans étonnement et mauvaise conscience. Alors que j’évitais de divulguer ce sentiment, plusieurs conversations récentes m’ont montré que je n’étais pas seul à percevoir comme un traquenard la future échéance électorale.

Un second mandat de Sarkozy? Je ne peux pas y croire. Echec sur échec, mensonge sur mensonge, un mandat des coups de mentons et des reniements, comment penser que les Français donneront cinq ans de plus au président le plus détesté de la Cinquième? Mais le souvenir de 2002 montre qu’on peut gagner tout en étant désapprouvé par une majorité de l’électorat (Chirac à 19,88 % au premier tour, plus faible score pour un président sortant). Si au lieu d’un bulletin de vote, on pouvait décerner un dislike, comme sur Youtube, nul doute que les trois principaux finalistes – Sarkozy, Hollande, Le Pen – apparaitraient aussi comme ceux qui totalisent le plus grand nombre de manifestations négatives.

Continuer la lecture de Dislike

C’est quand le bonheur néolibéral?

En ce jour du 5ème anniversaire de la mort de Milton Friedman, des blogueurs ont adressé à des personnes connues pour leur engagement néolibéral une lettre visant à clarifier leur position. Là voici:

« Madame, Monsieur,

Vous vous définissez vous-même comme étant de sensibilité « libérale » sur le plan économique et c’est bien évidemment votre droit le plus strict. Vous ne verrez donc pas d’inconvénients à être sollicité afin de répondre à une simple question.

Nous, blogueurs et citoyens de sensibilité de gauche, sommes depuis une trentaine d’années face à votre discours nous assurant que le libéralisme économique – ou néolibéralisme si vous préférez – ne sera qu’une promesse de bonheur et de liberté pour tout un chacun, humbles comme aisés, et qu’un passage, certes douloureux mais que vous nous assurez « nécessaire », par une période de temps plus ou moins difficile où serait mise en place une sévère mais juste « rigueur » économique, finira, à terme, par porter des fruits dont tout le monde sans exceptions profitera…

Disons le net : nous sommes sceptiques.

Continuer la lecture de C’est quand le bonheur néolibéral?

Un people, c'est quelqu'un

Qu’est-ce qui sépare la notoriété de l’état de « people » – personnage médiatique de plein exercice? Le traitement appliqué par la machine médiatique à François Hollande depuis son investiture comme candidat officiel du parti socialiste permet de préciser ce statut.

Depuis jeudi dernier, les gazettes ont fait apparaître à ses côtés sa compagne, la journaliste Valérie Trierweiler – en images pour Le Point, Match ou Le Monde Magazine, dans les titres pour L’Obs, tandis que L’Express affiche « Hollande intime »…

L’heure n’est plus à l’examen du programme. C’est bien son nouveau statut de présidentiable à part entière (et compte tenu du discrédit élyséen, de quasi-président avant l’heure), qui vaut à Hollande ce traitement de star, cette exposition qui le dote d’une personnalité, d’un statut plus dense que la simple publication de son portrait lorsqu’il n’était que candidat à la candidature.

Un people, c’est quelqu’un: pas seulement une fonction, une silhouette, mais un être au complet, dont on souligne l’épaisseur existentielle de mille manières, à commencer par sa vie familiale. Il est significatif de noter que les magazines d’actualité se rapprochent à ce moment précis du traitement des magazines people, dont cette métamorphose est la spécialité. C’est avec des photos d’album de famille qu’Hollande entame sous nos yeux sa présidentialisation – qui est d’abord une pipolisation.