Voter, la rage au cœur

Je n’ai rien entendu. Rien du souffle nouveau qu’impose à l’évidence la litanie des crises des dernières années. A commencer par la critique du volontarisme, méthodiquement détruit par l’expérience Sarkozy. Comment peut-on encore sérieusement proférer « je serai le/la président/e de ceci ou de cela »? La plus inaudible dans l’incantation restant Ségolène, mais pas un des candidats socialistes n’a résisté à prendre la pose d’un bonapartisme pourtant exsangue. Qui parlait de 6e République? Je n’ai rien entendu.

J’irai voter tout à l’heure à la primaire, pour le plus à gauche des candidats, pour tenter de peser arithmétiquement sur les orientations futures, mais sans enthousiasme et sans illusions. Non, aucun n’a été à la hauteur de mes attentes – pas plus que Mélenchon ou Eva Joly.

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Dominique à confesse

J’avais déjà eu l’occasion de noter l’unanimisme remarquable de la presse dans les différentes étapes du traitement de l’affaire DSK. Encore une fois, après l’entretien sur TF1 diffusé hier soir, les quotidiens réagissent avec un bel ensemble dans leurs choix visuels, au diapason d’une qualification qui tourne autour de la confession, de la contrition, de l’aveu et de la faute morale.

Le sourire, qui manifestait, dans les stations précédentes, la reprise de l’avantage, a disparu, au profit d’un air sérieux (on n’ose dire pénétré), dont les variantes légères sont d’autant plus perceptibles (comme celle du Midi Libre, qui choisit de montrer un personnage plus combatif).

Au total, l’opération de com est parfaitement réussie: on est passé mine de rien du registre judiciaire au registre moral, selon un scénario largement éprouvé par le personnel politique (qui ne reconnaît que les fautes qui n’entraînent aucune suite pénale).

La disparition de Nicolas Sarkozy

J’avais signalé au début de l’été la couverture de Match qui montrait Nicolas Sarkozy en costume de bain, aux côtés de Madame. Il est logique de refermer la page des vacances avec celle des Inrocks qui lui fait écho en affirmant: « Les politiques à poil devant la crise ».

Certes, on voit bien que l’original est moins poilu et moins svelte que le corps rajeuni du magazine. Il n’en reste pas moins que la vision d’un président en costume d’Adam constitue un accroc à sa majesté qui aurait pu valoir en d’autres temps, sinon un procès, du moins le grognement d’un Frédéric Lefebvre ou le rappel à l’ordre d’un membre de la majorité.

C’est le silence qui accueille cette image satirique qui intrigue. A un moment où les héros de la primaire socialiste occupent les colonnes et les ondes, on se demande à vrai dire si Nicolas Sarkozy existe encore comme personnage politique pour l’univers médiatique. Scotché au plancher par les sondages, absent des couvertures (à l’exception de celle du Point du 1er septembre, qui ressemble à un adieu), il semble désormais tenir du meuble dans lequel on se cogne plutôt que du porte-drapeau de l’avenir majoritaire.

Avec le recul, mon interprétation politique de la couverture de Match me paraît s’effriter. La pipolisation de l’image du président en bermuda n’était peut-être que le premier signe de sa disparition comme chef politique, l’avant-goût de la privatisation qui attend le papy et futur papa, qui troquera bientôt son habit présidentiel pour les plaisirs simples de la retraite et de la vie de famille.

Le joli coup d'Eva

Eva Joly: coup médiatique ou coup politique? Daniel Schneidermann juge qu’il s’agit d’un « fumigène », « une proposition-choc sur un sujet définitivement secondaire ». Moi, je trouve que c’est un plutôt un beau coup, de la part d’une petite candidate, d’avoir réussi simultanément à ringardiser le PS et à réveiller le démon xénophobe de la droite (également chatouillé par le boss d’Arrêt sur images, qui conseille à la candidate écolo d’envoyer à François Fillon une bouteille d’Aquavit, alcool traditionnel scandinave, voilà qui est désopilant).

Qu’est-ce qui nous différencie, Schneidermann et moi? Je veux dire, du point de vue de la discussion sur le 14 juillet? DS se revendique « sans opinion radical » sur la question du défilé militaire. Opinion qui implique en effet, c’est (tauto)logique, de considérer la mise en cause jolyesque comme « secondaire ».

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Le charme discret de la bourgeoisie

En se faisant le porte-voix des délires gouvernementaux, le Libération de Joffrin avait atteint son seuil d’incompétence avec la Une « L’ultra-gauche déraille« . On se souviendra que le Libé de Demorand a franchi aujourd’hui le mur du journalisme avec la page de titre: « Not guilty« .

« Not guilty« ? On dira qu’il ne s’agit que du relevé objectif de l’information de la veille: la décision des défenseurs de Strauss-Kahn de plaider non coupable. Mais il faut lire l’article consacré par Mediapart à l’invention de la soubrette, qui raconte comment cette fonction fut intégrée à la sexualité domestique, avec la bénédiction de la maîtresse de maison (( «La domestique n’a pas seulement une fonction sociale, elle occupe fréquemment une fonction sexuelle : elle est à disposition du père de famille et aussi du fils, qu’elle déniaise couramment. De ce fait, son corps appartient à la maisonnée. (…) Pour la maîtresse de maison, qui sait que ces pratiques existent, il s’agit de limiter les dégâts pour ce qui concerne les maladies vénériennes, plus fréquentes avec les prostituées. Cela peut aussi avoir l’avantage de la décharger du contrat sexuel vis-à-vis de son mari, à une époque où la grande majorité des mariages sont encore arrangés. En outre, la domestique n’est pas une figure inquiétante pour la maîtresse de maison, qui peut la renvoyer à tout moment. Elle ne peut lui prendre ni sa place, ni son mari, ni son fils, puisqu’on est dans la situation d’une domination à la fois sexuelle et sociale», Camille Favre, propos recueillis par Joseph Confavreux, « Comment la soubrette fut inventée », Mediapart, 06/06/2011.)), pour comprendre à quel point l’image matrimoniale qui illustre l’énoncé « non coupable » – Strauss-Kahn aux côtés d’Anne Sinclair, une ombre de sourire aux lèvres –, incarne jusqu’à la caricature l’inconscient de la bourgoisie.

Comme dans le lapsus de Jean-François Kahn, qui lève le voile sur un monde ou le « trousseur de domestique » ne fait qu’accomplir les prérogatives dues à son rang, le soutien de l’épouse légitime parachève la figure d’une innocence de classe que les strauss-kahniens brandissent depuis le 15 mai. Le Figaro ne s’y est pas trompé, en choisissant lui aussi une photo du couple – dans une frontalité plus combative. En resserrant le cadre sur l’image touchante du ménage réuni, derrière les sourires un peu peinés de la gentry malmenée, mais sûre de son bon droit, la Une de Libé a choisi son camp. « Not guilty« .

Le retour du Perv?

Dans l’ensemble, le traitement visuel de DSK par la presse française est resté jusqu’à présent plutôt mesuré. Si l’on a pu observer une accentuation progressive de la sévérité des images, l’iconographie n’a pas pour autant versé dans l’irrespect généralisé qui avait affecté la représentation du président de la République l’été dernier suite au discours de Grenoble.

La dernière couverture du Point franchit un pas dans la direction de la caricature, qui manifeste la réprobation morale. On y voit un DSK de profil, courbé et comme vieilli (alors que François Hollande nous est présenté de face, dans un élan vigoureux), arborant une mine défaite qui rappelle la Une du New York Daily News du 16 mai, intitulée « Le Perv », qui avait alors fait scandale.

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Le temps de la réflexion

Comparaison des Unes des quotidiens du lundi 16 mai (en haut) avec celles des hebdos du jeudi 19 mai (en bas). Les deux séries traitent du même événement. Outre la différence de sources (les quotidiens parus le lundi ne disposent encore aucune image d’actualité et piochent dans un choix de portraits antérieurs à l’événement), la maturation du traitement éditorial à quelques jours d’intervalle apparaît clairement à travers le choix des titres et des visuels.

Deux preuves dans cette comparaison: 1) il a fallu du temps à la presse pour interpréter correctement l’événement (cf. « Une consternation française« ). 2) Ce que nous attendons du journalisme est moins la relation des événements que leur qualification.

Le pic DSK

Plus de 6500 vues en 48h pour mon billet « Une consternation française« , un des premiers à réagir à l’insupportable lecture classiste et sexiste de l’affaire DSK par la presse et les politiques, cité notamment par Rezo, Acrimed ou Rue89.

Selon la leçon naguère formulée dans « L’image parasite » qu’un pic de fréquentation en ligne traduit un déficit dans le traitement de l’information par les médias classiques, ce chiffre qui représente un record absolu sur mon blog, dépassant même mes commentaires de l’exécution de Ben Laden, fonctionne comme un sismographe révélateur de l’ampleur du problème DSK.

Quel est le visage de l'actu?

Ci-dessous les portraits de Dominique Strauss-Kahn sélectionnés par l’AFP sur le site ImageForum dimanche matin, après l’annonce de son arrestation pour agression sexuelle. Bon exemple du principe de l’image ventriloque: les photos, toutes antérieures à l’événement (la plupart issues d’une réunion du FMI à Washington le 15 avril dernier), n’ont par définition aucun rapport avec ce qui s’est passé hier. La sélection de grimaces exprimant divers degrés de préoccupation est proposée aux rédactions à des fins illustratives, tout en offrant un choix qui permet de s’adapter aux nuances éventuelles du positionnement éditorial.

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Sarkozy contredit Chomsky

On s’en doute, la panique qui gagne la droite devant la perspective de la déroute aux prochaines présidentielles, obstinément confirmée par les sondages, n’est pas pour m’attrister. Mais cette circonstance électorale me pose un problème théorique. Selon la thèse naguère défendue par Noam Chomsky et Edward Herman dans La Fabrication du consentement (1988/2008, Agone), largement partagée à gauche, les puissants ont la capacité d’imposer au peuple les représentations qu’ils souhaitent par l’intermédiaire des institutions et des médias qu’ils contrôlent. Or, comme la chute du Mur ou les révolutions arabes, en cas de non-réélection, le cas Sarkozy apportera un sérieux démenti à cette thèse.

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