Peut-on voir les dégradations à la Santé?

110 personnes ont été interpellées par la police, dimanche 28 mars à Paris, dont 61 mises en garde à vue, à la suite d’une manifestation anticarcérale aux abords de la prison de la Santé. Une information qui, comme le souligne Arrêt sur images, n’a pas fait la une des journaux lundi.

«Ces personnes ont été interpellées à l’arrivée de la manifestation pour dégradations de biens publics et de biens privés», a détaillé une source policière. Pourtant, d’après un reportage réalisé par Christophe Del Debbio, présent sur les lieux entre 16h30 et 17h15, on n’observe qu’une manifestation banale, sans aucun trouble particulier (visages floutés). Hier matin, il n’y avait pas de dégâts visibles dans le quartier. Le syndicat Sud Etudiant, qui participait à la manifestation, a dénoncé une «opération policière proprement scandaleuse».

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Quelle image de la révolution numérique?

En voyant la couverture du dernier Studio, qui titre par-dessus l’affiche du film de Tim Burton, « Alice au pays de la 3D », je me dis: voici une image de l’image numérique. Ces couleurs de boîte à bonbons, d’une saturation irréelle, cette image qui rappelle la photo tout en étant si évidemment onirique, comme surchargée d’artifices, s’inscrit dans la lignée des Une des magazines spécialisés exaltant la révolution Photoshop.

Ecce imago numerica. C’est-à-dire d’abord une image. Une image où ce qui est montré est le travail de la construction de l’image, le travail de l’art. Survendue avec l’appel à la 3D, qui connote la prouesse technologique, le dernier progrès en matière visuelle.

Une image de cinéma. Une image que la photo n’a jamais réussi à inscrire dans sa culture. Comme si la photo avait raté, non sa révolution numérique, mais l’occasion de sa revendication. Alors que la pub et la mode s’artificialisent de plus en plus, courent après le style de la 3D du cinéma, la photo légitime continue à ostraciser Photoshop, et à vouloir faire croire qu’elle balade sur le monde son miroir impartial. Que la révolution numérique ne l’a affectée en rien. Ce n’est pas seulement une hypocrisie. C’est un suicide culturel.

L'adieu au sarkozysme

Le ressort est cassé. La machine qui avait fait gagner Sarkozy en 2007, changement d’alliance au sein de la droite, le rapt des voix du Front national gagnées en chatouillant leurs réflexes xénophobes, a fait long feu. Il est savoureux de constater que c’est le stratagème qui devait assurer la victoire de l’UMP aux régionales, le fameux débat sur l’identité nationale, catastrophiquement conduit par la marionnette Besson, qui a posé les clous du cercueil.

Cet échec annonce la fin de la parenthèse sarkozyste. Encore une démonstration apportée par les régionales: le vainqueur de 2007 n’a pas de stratégie de rechange. Deux longues années vont s’écouler à zig-zaguer entre diversions attalistes et coups de mentons sécuritaires. Trop tard pour lancer une guerre, comme Bush junior. La foire d’empoigne à droite a commencé. Ca ne va pas être beau à voir.

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#Poubelle bleue

La loi française interdit la publication de sondages et d’estimations avant 20h un jour d’élection. Mais depuis la mi-journée, sur Twitter, un nouveau hashtag se répand à la vitesse de l’éclair. Identifiée par le mot-clé #poubellebleue (variante: #bleuepoubelle), une tripotée de photos réalisées au camphone dans les bureaux électoraux, puis envoyées sur Twitpic, montrent des corbeilles emplies du seul bulletin de vote UMP – celui qui n’a pas été glissé dans l’urne.

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Retrouver la peau

Alexie Geers, qui consacre sa thèse à l’image du corps dans les magazines féminins, a observé le dernier numéro de Marie-Claire, prétendument « 100% sans retouches », et noté avec justesse qu’un certain nombre de biais faussaient l’application du principe revendiqué par la rédaction – à commencer par la forte présence de la pub, qui ne couvre pas moins d’un tiers de la surface du numéro. Faire photographier de superbes jeunes femmes, dont le vêtement ou le maquillage ont fait l’objet des soins de toute une équipe, sous un éclairage impeccable, par des professionnels rompus à l’exercice, n’est sans doute pas la prise de risque la plus téméraire de l’histoire du magazine.

Et pourtant, même dans ces conditions optimales, sur quelques photos, l’absence de la retouche se fait clairement sentir. La jolie Louise Bourgoin prend 5 ans de plus. Et sur l’épiderme parfait d’un mannequin, on aperçoit des effets de matière auxquels nous ne sommes plus habitués – une texture plus marquée, une granulation plus présente, quelques traces de duvet ou de cheveux follets, des veines bleues sous la peau (ci-dessus, cliquer pour agrandir).

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Lady Gaga killed the music star

Du temps du Scopitone, les petits films de variétés n’étaient qu’un produit dérivé de la chanson. Avec MTV, qui installe le format du clip musical, la relation entre ces deux volets de l’industrie du disque devient plus étroite et plus complexe. Mais la diffusion gratuite de Thriller par les chaines de télévision reste un support de promotion étroitement lié à l’album éponyme du King of pop. Musique et spectacle sont dans le même bateau.

En affichant l’ambition d’une superproduction, avec Jonas Akerlund dans le fauteuil de John Landis, « Telephone », la nouvelle vidéo de Lady Gaga, diffusée sur YouTube (12 millions de vues depuis vendredi), propose une nouvelle étape. Ici, il est clair que la chanson n’est plus qu’un support destiné à agrémenter la présentation d’une galerie d’images choc, comme l’illustration musicale d’un défilé de mode.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=GQ95z6ywcBY[/youtube]

Poussant au bout la logique testée par Madonna, le Lady Gaga look and feel met le format du vidéo clip tout entier au service de l’imagerie. Une imagerie constamment au second degré, dont le modèle de référence est moins l’esthétique cinématographique que la permanente recherche d’effets de style des magazines de mode. Un art qui n’est plus celui du montage ni de la citation, mais celui du défilé des images et de la stupéfaction. Un art que Lady Gaga, phénomène pop, incarne à la perfection.

Qui a peur du réchauffement?

walter

Sylvestre Huet s’est amusé à produire une carte météo de prévision du climatoscepticisme. Ca fait déjà un moment que je me dis que l’hiver 2009-2010 – plutôt froid dans les régions où le « réchauffement planétaire » (global warming) figure au top ten de l’agenda médiatique – est le pire ennemi d’un récit qui prédit la montée des températures. Les gens cultivés savent bien qu’il y a une différence entre météorologie et climatologie – que les variations locales n’ont pas de signification à l’échelle des évolutions globales du climat. Mais la carte de Sylvestre Huet montre que cette affirmation scientifique pèse de peu de poids face à la sensibilité la plus immédiate et à la facture du chauffage.

Ainsi qu’en témoigne exemplairement une affiche du concours étudiant du festival de Chaumont (Alice Walter, école des Beaux-arts de Rennes, 2007, voir ci-dessus) qui se voulait au second degré, le problème du réchauffement, c’est qu’il ne fait pas vraiment peur aux habitants des zones tempérées. Il est probable que la plupart d’entre eux (Floride et côte d’Azur mis à part) ne verraient pas d’un mauvais œil leur thermomètre remonter de quelques degrés.

La perspective du réchauffement paraît difficile à transformer en menace tangible. Un téléfilm français (Les Temps changent, Marion Milne, Jean-Christophe de Revière, 2008) a tenté d’illustrer à grand renfort de sauterelles l’assèchement du sud de la France, sans réussir à nourrir l’inquiétude. Le premier blockbuster à exploiter la thématique de la catastrophe climatique (Le jour d’après, Roland Emmerich, 2004), proposait au contraire une inversion du schéma. Plutôt que d’affoler par le chaud, le dérèglement climatique y provoquait une vague d’un froid polaire, plus spectaculaire et plus effrayante qu’une hausse des températures.

C’est idiot, diront les climatoconvaincus – oubliant que le thème du réchauffement ne s’est véritablement installé dans l’agenda médiatique qu’à la faveur d’une série d’étés particulièrement chauds, depuis 2003. Le risque est réel que quelques hivers froids enterrent le sujet – aussi longtemps qu’une meilleure pédagogie des enjeux ne sera pas proposée.

Des images pour salir l'image

De retour de Suisse, où j’ai été confronté pour la première fois aux nouveaux paquets de cigarettes illustrés d’avertissements visuels. L’impression est violente. Comme le notait avec justesse Béat Brüsch sur Mots d’images, le phénomène est sans précédent: «Imaginez un produit à consommer, en vente libre, dont la moitié de la surface de l’emballage vous dit qu’il est mortel!»

Pas le temps d’un billet développé, on y reviendra en séminaire le mois prochain. Mais le cas est passionnant car, dans le long combat (près d’un siècle) contre l’industrie du tabac, l’image n’avait jamais joué un rôle déterminant ((cf. Robert L. Rabin, Stephen D. Sugarman (dir.), Regulating Tobacco, Oxford University Press, 2001.)). La construction imaginaire était plutôt située du côté des cigarettiers – puissamment appuyés par le cinéma. Est-ce à cause de cette forte occupation du terrain iconique que la stratégie des « antis » avait jusque-là privilégié l’information scientifique et le lobbying politique? D’autres campagnes de santé publique, comme celle contre l’alcoolisme en France à la fin du XIXe siècle, ont pourtant utilisé l’image, notamment dans son volet pédagogique ((cf. Michael R. Marrus, « L’alcoolisme social à la Belle Epoque », Recherches, n° 29, décembre 1977, p. 285-314.)). Quoiqu’il en soit, le choix de l’OMS d’imposer des messages visuels sur le corps même du délit constitue un tournant.

Une telle stigmatisation vise moins à propager une information qu’à s’attaquer à ce qui reste de l’image positive de la cigarette, notamment chez les plus jeunes (dont la consommation de tabac aurait augmenté ces dernières années). Salir le geste même de fumer, par association répétée d’une icône repoussante, est une tactique originale qui interroge au plus profond les théories de l’efficacité de l’image. On y revient dès que possible.