L'image ventriloque

Et hop, encore une belle pour ma collection! A la Une du Point du 7 avril 2011, une trogne particulièrement sinistre, emprunt recadré et détouré à Eric Feferberg (AFP), en illustration d’un titre qui semble désigner la descente aux enfers du futur ex-président Sarkozy: « La malédiction ».

Le cas est plus complexe qu’il n’y paraît, puisque cette couverture, qui semble traduire l’ambiance de la semaine écoulée (marquée notamment par la publication du programme socialiste ou le départ de l’UMP de l’ancien ministre centriste Jean-Louis Borloo), constitue en réalité une accroche publicitaire pour présenter les bonnes feuilles du bouquin récemment paru de Franz-Olivier Giesbert (M. Le Président. Scènes de la vie politique, 2005-2011, Flammarion). L’auteur de l’ouvrage étant accessoirement directeur du Point, cette opération d’autopromotion sans vergogne est justement épinglée par Arrêt sur images.

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Politique fiction

Pour François Hollande, les jeux sont faits: Sarko est cuit, et quelles que soient les péripéties qui nous séparent de mai 2012, ce sera un socialiste qui occupera le fauteuil présidentiel au tour prochain.

La claque qu’a pris l’UMP et la colère qui monte du terrain, que les cantonales ont manifesté de plusieurs manières, semblent conforter cette vision. Mais on peut faire une autre lecture. Politiquement, l’alliance Sarko/Marine a déjà gagné la première manche, en imposant au PS son candidat le plus à droite. Tous les sondages le disent: pour éviter le risque d’un 21 avril, DSK est la meilleure assurance. La précampagne d’Aubry a fait flop, Ségolène est aux fraises, reste Hollande en embuscade, ce qui ne changerait pas grand-chose au scénario selon lequel le candidat gagnant de la gauche serait un centriste très medefo-compatible.

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Oui, le sondage est une "photo" de l'opinion

«Il faut qu’elle croisse et que je diminue»: le visage géant de Marine Le Pen penché sur le petit président de la république qui fait la couverture de la dernière livraison de l’Obs (n° 2418, 10/03/2011) semble inspiré de la parole biblique (Jean 3, 22, 36).

Un seul hebdo à osé donner figure à la menace brandie par le fameux sondage Harris Interactive (( Sondage Harris Interactive réalisé en ligne du 28 février au 3 mars auprès de 1 618 personnes, publié le 5 mars par Le Parisien, donnant Marine Le Pen 1e à 23%, et Sarkozy et Aubry à égalité à 21%.)) qui a secoué la classe politique cette semaine – les hebdos de droite, Le Point et L’Express, ayant préféré faire l’impasse sur cette actualité un peu trop brûlante…

Montage formé d’une photo récente de Marine Le Pen par Philippe Sautier (Sipa) et d’un portrait plus ancien de Sarkozy par Christophe Guibbaud (Abaca), la composition sur fond noir et le regard douloureux de la présidente du FN donne un aspect dramatique à une confrontation dont on comprend qu’il ne faut pas la prendre à la légère.

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Comment être clairement ambigu

Buste au regard frontal, sérieux adouci d’un léger sourire monalisant, veste sombre sur fond blanc, bijou discret: le portrait épuré choisi par la rédaction du Monde dans son édition du 3 mars pour mettre en avant l’entretien exclusif avec la première secrétaire du PS joue clairement la carte de la présidentiabilité.

La publication de l’ouvrage collectif Pour changer la civilisation (Odile Jacob), le grand entretien donnant libre cours à une vague vaste réflexion d’ensemble, illustré d’une nouvelle photo spécialement réalisée pour l’occasion par Paolo Verzone (VU): tout concourt à donner à cette intervention de Martine Aubry l’allure d’un lancement de campagne.

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Le populisme expliqué aux enfants

On aurait tort de minimiser l’affaire du dessin de Plantu (paru dans L’Express du 19/01/2011, voir ci-dessus). La lepénisation d’un responsable politique – son assimilation au personnage le plus méprisé de la vie publique française – est le plus sévère châtiment de l’establishment médiatique: elle correspond à une mise au ban dont on ne revient pas indemne.

Comme toujours, c’est une image qui est l’arme du crime. Non que l’association Marine Le Pen/Mélenchon n’ait pas fleuri ici où là, comme l’autre jour chez Demorand, qui sait comment chauffer son animal politique. Mais l’image – et plus encore la caricature – est ce vecteur d’un message à la fois parfaitement lisible et parfaitement hypocrite, car jamais assumé jusqu’au bout, autorisant le retrait derrière l’ambiguïté de l’interprétation ou la distance de l’humour.

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Votez Carla!

Fidèle à sa vocation d’organe de propagande du régime en place, Paris-Match a publié dans sa dernière livraison une magnifique image qui résume la stratégie de la future campagne pour la réélection de Nicolas Sarkozy. Effectuée le 7 janvier à l’occasion du déplacement du couple présidentiel aux Antilles, la photo d’Elodie Grégoire associe habilement le romantisme de Love Story à la connotation de la puissance élyséenne, avec ces deux profils mêlés regardant dans la même direction à travers le hublot d’un hélicoptère (cliquer pour agrandir).

«Le geste de Carla est tendre et protecteur. Le chef de l’Etat sait qu’il pourra compter sur elle dans les moments décisifs. (…) Le président de la République a donc entrepris une opération séduction. Avec Carla comme carte maîtresse», nous explique Virginie Le Guay.

Traduisons. Totalement décrédibilisé dans l’opinion, à court d’idées et de ressort programmatique, l’hôte de l’Elysée n’a plus pour seule ressource politique que l’affichage de Madame, qui par chance est super-canon. Habile calcul: au cas où ce serait Martine qui porterait les couleurs du PS, le cochon qui sommeille en tout électeur mâle n’hésitera pas longtemps. Quant à DSK, l’âge de ses artères ferait peser un sérieux risque d’accident coronarien sur la campagne. Qui ne s’annonce pas triste.

Touche pas à ma banque

Incroyable le peu de commentateurs qui ont compris le sens du défi de Canto. A défaut, on peut lire maintenant des conseils pour changer de banque… Retirer son argent ne visait pourtant la finance qu’à proportion de sa collusion avec le politique. Puisque voter ou descendre dans la rue ne sert visiblement plus à rien, le retrait pouvait apparaître comme un geste concret et peut-être le dernier moyen pour le citoyen de se faire entendre.

Ainsi, tous ceux qui ont traité le footballeur d’imbécile ont surtout révélé leur peu d’intelligence de l’évolution du sentiment politique. Enfoncé avec une violence inouïe par tout ce qui fait profession d’éditorialiste, le bankrun, lui aussi, a échoué. Pas sûr que Christine Lagarde puisse s’en réjouir. Après le bulletin, après la pancarte, si le retrait ne change rien, il ne reste plus guère que la fourche et le piquet…

Nicolas 1er au Congo

La dernière couv’ de L’Express (3 novembre 2010) apporte un cas simple mais flagrant de métamorphose illustrative d’une photographie de reportage. Ayant obtenu les bonnes feuilles du nouveau livre de Dominique de Villepin, L’Esprit de cour (Perrin), l’hebdo met en avant cette exclusivité sous le titre « Sarkozy et sa cour ». Pour figurer ce récit, la rédaction recourt à une photographie d’Eric Feferberg (AFP) réalisée le 26 mars 2009 à Brazzaville, au parlement congolais, alors que le président français attend de prononcer son discours (ci-dessus, source: ImageForum).

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Un montage qui ne se voit pas est une retouche

Buzz appréciable pour la couverture représentant une photo de Christine Lagarde collée sur fond d’arcades de l’avenue Daumesnil, dans la feuille locale UMPiste Les Nouvelles du 12e, manipulation dénoncée sur son blog par le conseiller municipal du Parti de Gauche Alexis Corbière. Au-delà du succès toujours garanti de l’effet « jeu des 7 erreurs », sorte de degré zéro du décryptage visuel, plusieurs points me paraissent dignes d’être relevés.

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L'imaginaire démocratique, meilleur allié de l'autocratie française

Hier, au colloque « Imaginaires du présent« , Natalia Lebedinskaia (Concordia University) analysait les pratiques d’auto-représentation développées par le mouvement d’opposition au régime iranien en 2009. Face à la volonté gouvernementale d’effacer ou de minimiser l’expression de la contestation, l’habitude fut prise de filmer et de photographier les manifestations (voir ci-dessus), puis de faire circuler ces images par l’intermédiaire des grands réseaux sociaux, pour apporter un témoignage direct de l’expérience vécue. Aujourd’hui soigneusement archivée par la bibliothèque du Congrès, cette contre-propagande a permis de prendre conscience de l’ampleur de la protestation à l’échelle internationale.

Au moment où il nous faut consulter le Boston Globe pour apercevoir l’image de ce qui se passe en France, je ne pouvais m’empêcher de penser que la condition du développement de cette stratégie de communication avait été la conscience de s’opposer à un régime dictatorial, dans un contexte d’information manipulée.

J’ai lu les réactions horrifiées de quelques historiens face aux tentatives de nommer le type de dirigisme qui s’exerce aujourd’hui, prompts à nous assurer que la dictature est loin puisque la devise « Liberté, égalité, fraternité » est toujours inscrite au fronton des mairies. J’admire le sens historique de ces collègues et leur robuste foi dans les actes de langage. Pour ma part, je pense que le type de régime dans lequel on vit ne s’évalue pas en fonction des assurances délivrées par le porte-parole de l’UMP, mais à ce qu’on peut constater dans le réel du respect des expressions adverses. La démocratie se juge à ses effets, pas à son architecture institutionnelle. Continuer à penser que la République protège la diversité des opinions est visiblement une erreur d’analyse. Adapter notre compréhension à la réalité que chacun de nous peut observer pourrait en revanche avoir des conséquences utiles.