L'aprésident

Ça y est, c’est fini. Le soi-disant président pas encore candidat est en réalité tout entier candidat et déjà plus président. TVA sociale, taxe Tobin, commémoration de Jeanne d’Arc…: avec le mélange typique d’accélération du rythme, de signaux clientélistes et d’effets de contre-pied qui font l’ordinaire du Sarkozy en campagne, le Clausewitz de l’Elysée met clairement les outils de la présidence au service de sa réélection. Plutôt que sur un bilan qu’il sait calamiteux, plutôt que sur l’annonce improbable de projets inexistants, le candidat de la majorité a choisi de tout miser sur un activisme instantané, étrange programme qui a l’avantage de le présenter sous son meilleur jour devant les caméras – mais le gros défaut de postuler un électorat doté d’une mémoire de poisson rouge.

Cette présidence interrompue avant l’heure n’aura depuis le début existé qu’en pointillés. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir voulu jouer les maîtres du monde. Président de théâtre, président de sommets, toujours attiré par les signes du pouvoir, sans jamais réussir à en comprendre ni à en maîtriser les ressorts, chaque fois un peu plus comédien sur la scène internationale, un peu moins crédible à domicile.

Faut-il que son propre camp ait partagé cette perception pour lui imposer les cures périodiques de « représidentialisation », qui disent assez à quel point l’acteur n’a jamais été à la hauteur de son rôle. Nico-le-petit restera l’homme des talonnettes – tentative de masquer un manque qui est moins celui des centimètres que celui de la grandeur. Jacques Chirac, qui avait débuté à la peine, s’était hissé à la hauteur de sa fonction dès le 16 juillet 1995, à l’occasion du discours commémorant l’anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver, en reconnaissant solennellement la faute de l’Etat français. Sarkozy, à chaque fois qu’il a ouvert la bouche, a creusé un peu plus le fond de la piscine. Chef de clan, oui – jamais président de tous les Français.

Cette aprésidence donne dès maintenant la clé de l’élection. On peut voter pour quelqu’un qui donne l’impression d’avoir très envie de devenir président. Mais à quoi bon réélire celui qui l’a si peu été? Choisi parce qu’il prétendait avoir changé, l’élu est redevenu dès le lendemain du scrutin fidèle au pire de lui-même. Il est peu plausible que les Français aient la patience d’attendre la prochaine métamorphose. Pour tenir la promesse du changement, plutôt qu’une nouvelle volte-face, mieux vaut remplacer le personnage.

(Billet initialement publié sur le blog Les observateurs 2012)

5 réflexions au sujet de « L'aprésident »

  1. Hier, Nadine Morano a lancé un tweet contre François Hollande qui se terminait par : « la France a besoin d’un projet crédible et donc de #Sarkozy ». J’ai trouvé ça intéressant (toujours intéressant les gens qui ne savent pas bien enrober leur pensée de formules réfléchies et/ou convenues), ce n’est plus « L’État c’est moi » mais « Le programme, c’est lui ». Évidemment, ministre, elle ne va pas dire autre chose, mais on voit que rien n’a changé en cinq ans, la seule raison d’élire Nicolas Sarkozy n’a de rapport ni avec ses états de service ni avec ses projets, ni avec ses idées, ni avec sa vision de la France, ni avec son charisme ni avec une quelconque qualité, non, la seule justification à son élection c’est que c’est ce qu’il veut très fort. Les français peuvent-ils s’y laisser prendre deux fois ? Ce sera sûrement difficile mais ça n’est pas impossible, car beaucoup de gens préféreront le rêve absurde (ou le cauchemar déjà commencé et dont on ne parvient pas à sortir) aux promesses tièdes. La seule vraie chance (car nous avons bien besoin de chance) serait que les électeurs se sentent épuisés par ce quinquennat-compte-triple au point d’avoir besoin d’un chef de l’État moins excité et avec qui ce sont surtout les choses désagréables qui semblent arriver de manière accélérée.

  2. Sarkozy ne sait vendre que de la « rupture », c’est la limite de son système, parce que c’est un fusil à un coup, et que l’appel à la rupture ne peut servir que ses adversaires. Oui, les Français sont fatigués par cinq années de lapin Duracell, Hollande l’a bien compris avec son invocation d’une « normalité » qui n’est pas si bête – même si ça fait un programme un peu court…

  3. Ping : Politis.ch
  4. « …un électorat doté d’une mémoire de poisson rouge. »

    Très optimiste: je crois que l’électorat a MOINS de mémoire qu’un poisson rouge. Il n’y a guère que les enseignants et les chercheurs à sans cesse « ruminer » le « passé ». Les autres sont dans « l’action », et vivent dans le « présent ».

    ****

    Et puisqu’on y est, quelques réflexions sur la stratégie de campagne des uns et des autres.

    A. L’un promet

    – 1. la répression des délinquants et un combat contre l’immigration dans toutes ses formes !!

    et en même temps

    2. la compassion pour les pauvres (discours pour le nouvel an) et taxation des transactions boursières !!!

    ……eh bien c’est tout simplement génial : c’est à la fois Jaurès et Maurras. Les électeurs, suivant leurs préférences, ont de quoi être satisfaits du discours…

    B. Pendant ce temps, l’autre se perd dans les détails techniques de ce qu’il présente comme ses mesures centrales : embauche (ou redéploiement ?) d’enseignants, suppression (ou modulation ? ou modification ? ou atténuation ?) du quotient familial, — le tout assorti de débats qui, en vérité, s’imposeraient à coup sûr si par extraordinaire l’homme était élu. Mais dans la phase actuelle, ces discussions et reculades mettent surtout en valeur ce que les médias cherchent de toute manière à montrer chez l’homme : ses hésitations et tergiversations (là où l’autre, à Berlin aujourd’hui, Tblissi demain, cherche à accentuer sa détermination, sa capacité à agir etc.)

    Cherchez l’erreur.

    Peu importe d’ailleurs si la politique moderne relève davantage de l’art de l’hésitation que de l’actionnisme irresponsable. Et, si personnellement je préfère les ??? de l’un aux !!!! de l’autre, je ne suis pas sûr que l’électorat dans son ensemble l’entende de cette oreille.

    PS : une tâche pour les chercheurs en culture visuelle : repérer dans les semaines à venir dans les médias toutes les images textuelles et iconiques censés souligner le côté hésitant, indécis et fallot du candidat que les sondeurs et les médias eux-mêmes ont imposé à l’électorat des « primaires citoyennes ». Je suis sûr que la presse ne manquera pas d’exploiter abondamment ce joli topos/cliché.

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