Dominique à confesse

J’avais déjà eu l’occasion de noter l’unanimisme remarquable de la presse dans les différentes étapes du traitement de l’affaire DSK. Encore une fois, après l’entretien sur TF1 diffusé hier soir, les quotidiens réagissent avec un bel ensemble dans leurs choix visuels, au diapason d’une qualification qui tourne autour de la confession, de la contrition, de l’aveu et de la faute morale.

Le sourire, qui manifestait, dans les stations précédentes, la reprise de l’avantage, a disparu, au profit d’un air sérieux (on n’ose dire pénétré), dont les variantes légères sont d’autant plus perceptibles (comme celle du Midi Libre, qui choisit de montrer un personnage plus combatif).

Au total, l’opération de com est parfaitement réussie: on est passé mine de rien du registre judiciaire au registre moral, selon un scénario largement éprouvé par le personnel politique (qui ne reconnaît que les fautes qui n’entraînent aucune suite pénale).

Le mariage de Kate et William n'a pas eu lieu

Selon une croyance répandue, l’exercice du journalisme est intimement lié à l’événement – phénomène qui peut prendre des contours variés, mais qui suppose à tout le moins d’avoir eu lieu pour qu’on le décrive.

La beauté de la croyance est que le démenti quotidien de la loi ne la contredit d’aucune manière. Soit le mariage de Kate et William, événement qui, à l’heure où j’écris ces lignes, n’a pas encore eu lieu. Ce détail n’a pas empêché notre bonne presse de délivrer à l’avance des kilomètres de teasing – articles, couvertures, dossiers spéciaux voire numéros entiers consacrés à cet épisode mondain de la culture britannique.

On dira qu’un événement de ce type est si prévisible qu’il n’est nul besoin de l’avoir constaté pour en parler. Cette réponse philosophique méconnait grandement l’économie médiatique, qui ne se borne pas à annoncer le rendez-vous, mais dont les efforts pour alimenter le filon peuvent se mesurer à l’inventivité débordante des angles imaginés pour en prolonger le récit. Toujours prompte à se recycler elle-même, la presse va jusqu’à faire de l’évocation de la « frénésie médiatique » une autre façon de rallonger la sauce.

Au contraire de la sémiologie, qui justifie l’affairement médiatique en apercevant au cœur de l’épisode princier quelques leçons de vie fondamentales, je crois que Kate et William nous montrent surtout comment la presse peut faire d’à peu près n’importe quoi un événement d’importance planétaire, par la simple mobilisation de l’appareil médiatique, la répétition et la survalorisation de l’annonce. C’est ce qui est finalement le plus intéressant dans la tradition de couverture de l’événementialité monarchique britannique: qu’elle démontre le fonctionnement « à blanc » de l’œuvre médiatique, machine à focaliser l’attention, pouponnière de l’événement – ou élevage de poussière

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En attendant la catastrophe

Pour traiter de la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima, le Monde.fr a remplacé pendant plusieurs jours sa maquette habituelle de Une par l’association d’un flux live (essentiellement composé de dépêches AFP et de leurs commentaires par les journalistes et les abonnés) et d’un couple titre/illustration régulièrement mis à jour, en fonction de l’évolution de l’actualité (cliquer sur le diaporama pour faire défiler).

Ce traitement de type breaking news, à ma connaissance le plus long du genre, s’est étendu de lundi à jeudi. Quatre longs jours d’attente de la catastrophe, qui ne s’est finalement pas produite – ou en tout cas pas selon le bon tempo. L’urgence s’éloignant, le site a repris ce matin son organisation habituelle.

A noter que ce genre de dispositif ne peut faire l’objet d’une sauvegarde selon les modalités classiques, et s’efface au fur et à mesure de son renouvellement.

Pour une narratologie de l'information

Voilà du titre qui en jette! En tout cas pour un colloque… Mais est-il pertinent pour un petit billet rapidement griffonné? C’est ce qu’on va essayer de vérifier.

Il arrive souvent que des billets rédigés sur Culture Visuelle soient repris sur Owni. Depuis peu, la rédaction, qui comprend des journalistes professionnels, a entrepris de donner un tour un peu plus sexy à nos intitulés qui fleurent bon la craie et le tableau noir. C’est ainsi que le billet « Un Godard, du texte et des images: réflexions autour de l’épisode 2A des “Histoire(s) du Cinéma” de Pier-Alexis Vial est devenu: « Godard, le hackeur du cinéma »

Un toilettage qui ouvre de nombreuses questions. Je ne connais pas de narratologie du titre. Il semble que celui-ci soit généralement considéré comme une sorte de synthèse du contenu, sans que soit interrogé ni ses choix stylistiques ni la nature du rapport supposé lier l’un à l’autre. Pourtant, on voit bien qu’une modification de l’intitulé influe considérablement sur la perception du contenu. Lit-on le même article avec un titre différent?

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Pour la révolution, tapez 1

L’image du jour n’est pas un extrait de la poussive émission présidentielle, mais la capture au Blackberry tweetée hier soir par le journaliste Nicolas Cori d’un brouillon d’éditorial pour Libération, avec cette légende: «Prévoyant, Joffrin avait fait deux éditos sur Moubarak. Voici celui qui va à la poubelle» (voir ci-dessus, cliquer pour agrandir).

On peut y lire l’annonce enthousiaste de ce qui se serait passé si le dictateur avait été démis hier soir: «Et de deux! Avec un courage hors du commun, le peuple égyptien a obtenu en dix-sept jours la chute d’un homme qui avait gardé le pouvoir près de trente ans. Les agressions des nervis, les intrigues de palais, les atermoiments de la nomenklatura militaire n’y ont rien fait. Le tyran a cédé. L’Egypte a gagné. Victoire!»…

La comparaison avec le texte publié ce matin permet de comprendre ce qui fonde l’exercice de l’éditorial, vigie qui surplombe l’actualité et indique les enjeux à venir. Pour le futur ex-directeur Laurent Joffrin, la faculté d’élaborer deux réalités imaginaires opposées résulte des contraintes pratiques du bouclage. Mais on ne peut qu’admirer cette illustration du journalisme comme il se fait, qui sait mettre chiffres et dates au service d’une capacité d’interprétation à proprement parler fabuleuse.

Une photo qui ne veut visiblement rien dire

A Culture Visuelle, nous avons pris la (mauvaise) habitude d’interpréter le surmoi médiatique à partir des messages cachés dans l’illustration. Mais si l’on essaie de décrypter le regard franc et le bon sourire du portrait choisi pour la promotion du nouveau directeur de la rédaction de Libération (ci-dessus, cliquer pour agrandir), ce qui frappe le plus est l’impression de neutralité affichée – également soulignée par les titres.

Au moment où les allées et venues du mercato agitent quotidiens en magazines, la venue de l’ex-animateur de la matinale de France-Inter, dont on sait qu’elle trouble les meilleurs esprits, est visiblement traitée avec des pincettes, sans mot de trop ni sourire qui en dirait trop long. A moins qu’il ne faille interpréter l’origine de la prise de vue reprise par les deux journaux (par Miguel Médina/AFP, le 6 septembre 2009 sur le plateau de C Politique sur France 5) comme le rappel discret de l’ADN audiovisuel du nouveau dirlo.

15 secondes pour France 5

Lorsqu’Andy Warhol énonce en 1968 l’aphorisme fameux selon lequel chacun aura droit à ses 15 minutes de célébrité (« In the future everyone will be famous for 15 minutes« ), la mention d’une durée si brève a pour fonction de ridiculiser cette gloire factice. Quelque quarante ans plus tard, « Médias, le magazine » (France 5) réduit à 15 secondes la durée moyenne d’expression de ses invités. On n’a pas intérêt à bafouiller.[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=G8Izpm_9n_w[/youtube]

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"Mitterrand est à la une de Match"

« Mitterrand est à la Une de Match« , énonce le journaliste d’une émission radiophonique matinale, sur le ton de l’évidence, pour faire réagir son invité. Pour le 15e anniversaire de sa mort, le magazine consacre en effet un dossier fourni à l’ancien président.

Pourtant, dans la façon dont ce choix est décrit, on a l’impression qu’il s’agit d’un fait objectif plutôt que d’une option éditoriale. « Mitterrand est à la Une de Match« , plutôt que « Match met Mitterrand à la Une ». L’implicite que recouvre cette tournure impersonnelle est la conviction que les choix éditoriaux ont en effet vocation à s’imposer comme des faits objectifs.

Si Match est Match, c’est parce que sa rédaction s’efforce de rendre compte de manière impartiale des affaires du monde. Les options retenues au terme du processus éditorial, mystérieuse alchimie collective dont le public ne connaît que le résultat, l’ont été en raison même de leur caractère de généralité et de leur représentativité supposés. En d’autres termes, quand une image s’élève jusqu’à ce sommet de l’énonciation qu’est la Une, l’ensemble du système médiatique la désigne comme dotée d’une valeur éminente et d’une signification supérieure.

Fait aussi indéniable que le constat d’un phénomène naturel, « Mitterrand est à la Une de Match » est un énoncé d’un registre équivalent à « il a neigé » ou « Il y a eu une éclipse de soleil ». Puissance du dispositif (et non de l’image), parfaite circularité du système (où le journalisme entérine ce que le journalisme a produit), génie de l’objectivation.

Création de récit (1): le Salon de l'automobile électrique

La plupart des médias – notamment télévisés – ont décidé d’un commun accord que le Salon de l’automobile 2010 serait décrit comme celui du lancement de la voiture électrique (ci-contre: vignette éditoriale sur LeMonde.fr).

Pourtant, mis à part une poignée d’hybrides, toujours largement plus chers que les thermiques, et quelques projets ou annonces, il n’existe qu’un modèle électrique disponible à la vente: la Citroën C-Zéro, clone de la Mitsubishi-Miev, qui sera commercialisée en décembre. Aux alentours de 34.000 euros pour une petite urbaine, soit plus du triple du prix de son équivalent thermique. Avec une autonomie qui n’atteindrait pas les 100 km, sans clim et sans chauffage, d’après les tests effectués par L’Automobile Magazine, et l’obligation de longues périodes de recharge (6 heures), en l’absence de disponibilité de bornes de charge rapide. Techniquement, ça marche. En termes d’usabilité et d’économie, on est encore loin du compte. Côté coût, les spécialistes espèrent une baisse des prix d’environ 50% des batteries d’ici 6 à 8 ans, et les projections les plus optimistes ne voient pas le marché des électriques dépasser les 5% des ventes avant 2020. Autant dire que le récit l’imminence de la voiture électrique est pour l’instant une pure fiction.

La création de récit par les médias est un exercice aussi banal que difficile à prendre sur le fait. On en a ici un exemple manifeste. Prendre de l’avance par rapport au réel est un choix qui relève de logiques narratives et commerciales, et nullement du régime de l’information.

Test comparatif: Culture Visuelle contre Arrêt sur images

A ma gauche, Olivier Beuvelet: une analyse comparative argumentée, appuyée sur une théorie des usages visuels du journalisme, le 4 juin. A ma droite, Alain Korkos: le rapprochement de deux images, à peine commenté, le 5 juin. L’abonnement au premier site est gratuit, le second est payant. Choisissez votre camp!