15 secondes pour France 5

Lorsqu’Andy Warhol énonce en 1968 l’aphorisme fameux selon lequel chacun aura droit à ses 15 minutes de célébrité (« In the future everyone will be famous for 15 minutes« ), la mention d’une durée si brève a pour fonction de ridiculiser cette gloire factice. Quelque quarante ans plus tard, « Médias, le magazine » (France 5) réduit à 15 secondes la durée moyenne d’expression de ses invités. On n’a pas intérêt à bafouiller.[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=G8Izpm_9n_w[/youtube]


Interviewé mercredi dernier à l’INHA pendant 3/4 d’heure par la charmante Nathalie Gros, j’ai pu expérimenter in vivo quelques-uns des ressorts de ces dispositifs soigneusement élaborés que sont les reportages d’information. Cet entretien est l’un des 6 ((Jean-Yves Salaün, directeur de la communication de la Prévention routière, 14″; Pascal Pennec, rédacteur en chef d’Auto Plus, 15″; Michèle Merli, déléguée interministérielle à la sécurité routière, 21″; ma pomme, 24″ en comptant les plans sur le regard du chercheur; Dominique Chapatte, journaliste et juré de M6, 13″; Philippe Bartolo, gendarme et juré de M6, 15″.)) illustrant une séquence consacrée à la communication de la Sécurité routière, à l’occasion du lancement d’une nouvelle émission de coaching par M6: « Zéro de conduite », réalisée en partenariat avec la Sécurité routière. Diffusée à la 31e minute du magazine, cette séquence dure 4’45 à l’écran.

Cette brève séquence est remarquablement bien faite, efficace, documentée, solidement articulée autour d’un pitch respectant les 3 temps de la thèse/antithèse/synthèse: 1) depuis les premières campagnes de la Sécurité routière en 1979, celles-ci ont tendance à se durcir; 2) Une telle violence est-elle nécessaire? Réponse: non (c’est là que j’interviens). 3) D’où l’intérêt du recours à l’humour et à un ton plus décontracté, avec la nouvelle émission de M6.

Il est intéressant de savoir que j’ignorais participer à une séquence de promotion pour l’émission de M6. Invité à commenter les campagnes de la SR sous l’angle de l’efficacité des images, je n’avais pas été informé de l’actualité qui justifie le reportage. J’ai été en revanche frappé par le haut degré de préparation de la séquence, dont l’énoncé des questions m’a donné un aperçu.

Résumons: loin de venir à la pêche sans savoir où son enquête allait la mener, la journaliste avait déjà la structure de sa démonstration toute prête au moment de me tendre le micro. Ce caractère prédéterminé disparaît complètement à l’écran. L’application stricte des règles du documentaire (la voix off avec mise en retrait de l’auteur, pendant que l’image alterne documents visuels et témoignages, dont le nombre accroît l’effet d’objectivation), tout concourt à faire de la thèse la déduction logique des « faits » rassemblés. Une belle leçon de narration journalistique, qui valait bien les ¾ d’heure donnés à France 5.

30 réflexions au sujet de « 15 secondes pour France 5 »

  1. Personnellement, je trouve préférable de nous refuser à ce genre de sollicitation car nous n’y avons rien à gagner.

  2. Ce type de méthode est tout simplement répugnant : la trahison est à présent (avec les journalistes, les médias, les images) élevée en qualité. Le (ici, la, si je comprends) journaliste qui n’informe pas ses témoins (ou ses experts) des réalités de son reportage, de la manière dont sa « chaîne » (la bien nommée) va s’en servir, ce journaliste-là commet une faute professionnelle grave, et par là, remise son « métier » au rang des intérêts qu’il sert (et qui l’asservissent) : toute démonstration de ce qu’on ne peut plus appeler un documentaire mais un panégyrique écoeurant (quelle que soit la cause qu’il serait censé servir) revêt alors le caractère indigne et faux de son comportement. En même temps, quand on sait que le cyborg qui présente cette émission vient de la première d’entre les entreprises télévisuelles françaises, on trouve cette attitude ignoblement normale (dans le sens où la norme est établie par les pratiques dominantes). Je suis d’accord avec S. Maresca (et aussi, d’ailleurs, avec Jean-No) : qu’alliez-vous faire dans cette galère ?

  3. Voilà des réactions qui me navrent. Pour PCH, qui déteste la télé, je ne suis pas surpris. Mais je suis plus étonné par la réaction de Sylvain, car ce n’est pas à lui que j’apprendrai que la sociologie ne se fait pas que dans les livres (lire également le compte rendu d’Audrey Leblanc du chapitre « La Médiatisation du savoir scientifique et sa diffusion » par Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon).

    Pour ce qui me concerne, il me paraît en tout cas difficile de travailler sur la culture populaire ou mass-médiatique sans saisir toutes les occasions de voir fonctionner en grandeur réelle les mécanismes que nous tentons d’analyser. Aucune des interviews qu’il m’a été donné d’accorder n’a été une « galère », mais toujours une expérience du plus grand intérêt, qui m’a beaucoup appris. C’est aussi l’occasion de rencontres, car il faut faire la différence entre le système et les personnes, qui sont toujours intéressantes. Les voir travailler, discuter de leur travail, est l’occasion de noter une foule d’informations. Un seul exemple au passage: il y a sept ou huit ans, un enregistrement s’effectuait encore à trois, avec un journaliste, un cameraman et un ingénieur du son. Il y a cinq ans, plus que deux: le journaliste et un caméraman-ingénieur du son. Cette fois, la journaliste est venue seule, transportant et installant elle-même son matériel. On peut se satisfaire de lire dans un journal l’expression « JRI » (journaliste-reporter d’images). Constater de visu le détail de ces transformations, avec tous ses petits riens (comment disposer le micro-cravate sans causer de gêne, quand on n’est que deux dans un bureau…), c’est être dans une densité d’expérience que j’aime et à quoi rien ne me fera renoncer.

    Une des choses importantes que j’ai comprises grâce à cet entretien (outre les arguments que m’a fourni l’étude de la documentation des campagnes de la SR pour l’intervention sur le pouvoir des images que j’étais en train de préparer), c’est combien la multiplication des interventions était une arme de l’objectivation. Aurais-je perçu ce point avec autant de clarté s’il n’y avait eu un écart aussi grand entre la durée de l’entretien et les quelques secondes retenues à l’écran?

  4. Pour ma part, j’ai commencé à passer à la télé ou à me faire interviewer par des journaux ou des radios à quinze ans, parce que je faisais des graffitis et parmi les premiers (mais bon, ne croyez pas que j’en sois fier), et puis diverses activités artistiques ou autres ont fait que ça m’est arrivé régulièrement ensuite. J’y ai toujours été très mauvais, très stressé, et toujours horrifié du résultat, des choses qu’on me faisait dire, penser, parfois pendant l’interview, parfois au montage,… Mais le processus, du coup, est effectivement passionnant à observer. Tant qu’on n’a pas des choses vraiment importantes à faire passer – ce qui ne m’est jamais arrivé et ne m’arrivera jamais.

  5. J’admire les réserves inépuisables de curiosité d’André, mais une fois qu’on a vu deux-trois fois fonctionner des journalistes, on a une bonne idée de quoi il retourne et, sauf exception, de ce qu’une interview pourra donner. Ils vous contactent le matin pour le jour-même, vous posent des questions pendant une demi-heure, souvent moins, pour en reprendre une phrase dans leur papier ; ils sont à la recherche non pas de ce que vous faites, mais de quelques jugements définitifs que vos pourriez leur livrer sur l’état du monde, quand ils n’attendent pas des prédictions sur son avenir. Non, franchement, je ne vois pas l’intérêt. Et par ailleurs – je ne crois pas que ce soit un hasard -, les journalistes font partie de ces professions qu’il est difficile d’enquêter, c’est-à-dire d’observer à notre façon. Il n’y a pas souvent de réciprocité dans nos échanges avec eux.

  6. Je ne déteste pas (du tout) la téle, je déteste la mauvaise télé, c’est différent… (et c’est sans doute que je l’aime trop, au contraire, pour me contenter de ces programmes…). Comme le cinéma, elle est le lieu où s’exaltent les tendances les plus crues et les plus politiques du libéralisme (culte de la performance, loi du plus fort, abaissement du sens critique comme vous le montrez tout à fait pertinemment). Pour le reste, les conditions sociales de production de ces sujets demandent à être explicitées : ne devrait-on pas se demander pourquoi on vous a tu la réalité du message qui va être asséné (ou ne le connaît-on tout simplement pas ?)? Et ce mensonge par omission n’est-il pas l’exacte caricature d’une communication qui singe la démocratie ? La fin, enfin, justifie-t-elle ce type de moyens ? J’aimerai avoir la naïveté de croire encore que non.

  7. On peut se dire que tout a été dit à ce sujet une fois pour toutes par Bourdieu (et tout ce que dit Sylvain ci-dessus offre une vue cavalière tout à fait juste). Je crois néanmoins qu’il y a encore beaucoup de pain sur cette planche-là, et j’ai en tout cas la sale manie de préférer vérifier par moi-même des situations le cas échéant bien connues. Prenons le phénomène dit de la « petite phrase », que l’exemple de cet entretien illustre à merveille. Vient-elle de l’imposition d’un format médiatique ou des acteurs eux-mêmes? En me rendant à l’INHA, ce mercredi matin, j’avais pensé à cette formule du « shoot », en me disant qu’elle était bien adaptée à la communication médiatique. J’ai commencé par cette phrase, et c’est finalement tout ce qui a été retenu de l’entretien. Il y a donc construction commune par adaptation préalable de l’interviewé aux règles du média, soit un formatage insidieux de l’ordre de l’auto-censure. Ça n’a rien d’une découverte et ça a déjà été dit par bien des gens, mais expérimenter soi-même l’efficacité et la prédictibilité absolue de ce mécanisme est une démonstration qui m’a personnellement bluffé, et qu’il faut vivre pour en mesurer la puissance.

    L’impression que je retire de cette petite expérience est que ce qui s’oppose à la vocation du reportage est d’abord et avant tout, non la médiocrité, mais la sophistication du produit télévisuel, soumis à des lois d’efficacité narrative que plus aucun locuteur ne peut réaliser dans des conditions naturelles (à part Caroline Fourest et quelques autres perfomers, sorte de lapins Duracell de l’énonciation médiatique survitaminée). Ce qui éloigne la télévision du réel n’est autre que sa peur de voir se dissiper l’attention, dans une course éperdue qui est en réalité la meilleure garantie de la perdre. Oui, Peter Watkins avait déjà dit tout ça, mais là, je l’ai compris, dans la richesse goffmanienne des détails et de l’interaction humaine. Je ne dis pas qu’il faut refaire l’expérience tous les jours, mais j’ai déjà passé des entretiens avec des étudiants moins intéressants que celui-là 😉

  8. RFI m’a invité à débattre avec Pierre Assouline il y a quelques années et j’ai été très impressionné par sa technique de vieux loup de mer des ondes. Il m’a averti avant l’émission qu’il ne fallait surtout pas qu’on parle du sujet, par exemple, sinon… sinon il arriverait ce qui m’est arrivé, à savoir oublier de parler de certaines choses. Mais ce qui m’a frappé, c’est que pendant la durée du débat, il a divisé son QI par deux, il est devenu borné, fermé à tout argument qui ne va pas dans son sens, tandis que je l’ai trouvé charmant et assez raffiné avant comme après l’émission. Très étonnant.

  9. @ André : Je t’accorde volontiers tout ce que tu dis là, mais encore une fois : l’avoir expérimenté une ou deux fois suffit largement. En outre, je crois que je suis aussi agacé par le fait que beaucoup de journalistes ne font pas vraiment leur travail d’investigation. Cela se vérifie en particulier lorsqu’ils sollicitent un « expert » pour les aider à mieux comprendre une situation. Lorsqu’il s’agit d’un universitaire, au lieu de lire par eux-mêmes ce qu’il a écrit sur la question et d’en assurer ensuite la « traduction » pour leurs lecteurs ou spectateurs, ils le sollicitent tout bonnement pour que ça soit lui-même qui le fasse à leur place, alors que ledit universitaire n’a aucunement le métier nécessaire pour. Les journalistes devraient faire fonction de passeurs, de traducteurs, mais ne le font guère, ou pas du tout, parce qu’ils travaillent en permanence dans l’urgence et attendent des autres qu’ils leur procurent des matériaux préalablement ajustés à leurs nécessités médiatiques. La pauvreté de cette interaction et de ses retombées (qu’est-ce que ça apporte, à qui ?) me laisse très réservé sur la nécessité d’y prendre part.

  10. l’avoir expérimenté une ou deux fois suffit largement

    -> pas sûr, car il y a des processus qui sont intéressants dans la durée : une fois qu’un support important t’a cité, tu deviens un spécialiste absolu pour tous les autres qui te réinterviewent sur le même sujet en te faisant caricaturer toujours plus ton propos,… Très intéressant je trouve : les gens qui font les journaux devraient être les derniers à croire qu’une chose est vraie parce qu’elle est dans le journal, puisqu’ils sont bien placés pour en mesurer les limites, mais ils sont eux-mêmes dupes, pourtant (hypothèse : la recherche de la vérité compte moins pour eux que le fait de placer des vérités synchrones – ou légèrement anticipatrices – avec les confrères).

  11. Il y a chez les journalistes et/ou les animateurs de télévision à la connivence gluante le fait de nommer les « experts » ou les « témoins » qui se placent implicitement dans les habits qu’ils leur proposent la qualification de « bon client » qui aborde aussi le fait qu’ils ne se voient eux-mêmes que comme des commerçants (on dirait épiciers si on ne craignait d’indisposer cette dernière corporation, au demeurant tout à fait respectable… :°))) comme les autres…

  12. @PCH : mais finalement, n’est-il pas naïf de s’en étonner? Les journalistes font leur métier, comme tout le monde, et il le font souvent mal, comme tout le monde. J’ai une copine qui écrivait des articles très sérieux, très documentés, pour Libé : sans entrer dans les détails, elle a fini par s’éjecter d’elle-même parce que sa situation était intenable. Elle a retrouvé du boulot aussitôt, mais là aussi, elle était franchement trop sérieuse. Le principe de Peter et autres constats sur l’organisation du travail s’appliquent aussi aux journalistes : ceux qui font trop bien leur travail font peur aux autres !

    … bref, un comportement grégaire et “moyen” s’établit comme norme : les journalistes se défendent les uns les autres, se renvoient l’ascenseur (si 10 journaux disent que x est spécialiste de y, ça devient vrai, aucun ne prend la responsabilité d’avoir vérifié la compétence du spécialiste).
    Ça nous choque parce que ça concerne (en théorie) la recherche de la vérité.

  13. Pour avoir expérimenté plusieurs fois ce qu’a vécu André (dans la position du « journaliste-expert »), j’ai pu observer que ces sollicitations place l’expert dans une situation assez délicate (mais tout à fait passionnante si on s’intéresse au fonctionnement des médias):

    – Dans le cadre d’un reportage comme celui de France 5, l’expert est placé dans le canevas d’un synopsis prédéfini à l’avance. Le journaliste sait souvent en se rendant sur le lieu de l’interview à quel moment il placera cette séquence dans son sujet. Dès lors, l’interview va tourner en un jeu entre le journaliste cherchant à faire dire à l’expert ce qu’il souhaite (ou tout du moins ce qui s’insère efficacement dans sa narration) et l’expert cherchant à répondre aux questions sans simplifier, voire pervertir, sa pensée. Au final, dans une sorte d’intérêt bien compris, l’expert recourt souvent à la petite phrase, souvent préparée à l’avance pour être bien sûr de dire ce qu’il veut dire, et non se faire embarquer par le journaliste. On remarque parfois des formes d’interview très ouvertes dans les 10 premières minutes et qui deviennent de plus en plus directives au fur et à mesure que le journaliste réalise qu’il n’a pas de « phrases » diffusables dans son sujet.

    – Dans le cadre d’une invitation sur un plateau, l’expert est mis dans une position beaucoup plus confortable quand il n’y a pas (ou peu) de montage. Il pourra à peu près dire ce qu’il souhaite pour peu qu’il ne rentre pas trop dans le scénario qu’on lui a pré-établi. Le gros risque de ce genre d’invitation est de se conformer au casting que les journalistes ont imaginé. En général, la télé recherche le clash, y compris dans les émissions les plus sérieuses (comme « Ce soir ou jamais » que j’ai pu expérimenter) et un plateau est construit en fonction d’oppositions idéologiques supposées et forcément schématiques. Les questions du présentateur étant en général orientées vers cette mise en visibilité de l’affrontement, il est difficile de s’en défaire, surtout quand on a affaire en face à des spécialistes de l’exercice. Qui savent provoquer un clash quand le média le demande.

    Après sur la question d’y aller ou pas, je trouve réducteur de le refuser d’un revers de main. Il faut plutôt y aller en connaissance de cause et n’accepter que les demandes qui ont un rapport direct avec ses recherches. Beaucoup se joue lors de l’entretien téléphonique préalable où le journaliste va tester son interlocuteur et voir s’il peut faire l’affaire (cette dimension de test est surtout présente pour le « casting » des plateaux). Si l’on ne simplifie pas trop sa pensée à ce stade de l’exercice, les choses sont facilitées ensuite.

    Pour les journalistes, le refus de certains scientifiques de leur répondre est un énorme problème. Ne connaissant pas les complexités du débat universitaire, ils ne peuvent le plus souvent pas juger quel scientifique est le plus pertinent dans son domaine. Ils s’en limiteront donc à deux critères pour le choix: le côté « bon client » et la disponibilité (qui a pour corollaire qu’on invite plus facilement les mêmes puisqu’on a déjà leurs contacts).

    Pour rebondir sur le commentaire de Sylvain Maresca,
    « Les journalistes devraient faire fonction de passeurs, de traducteurs, mais ne le font guère, ou pas du tout, parce qu’ils travaillent en permanence dans l’urgence et attendent des autres qu’ils leur procurent des matériaux préalablement ajustés à leurs nécessités médiatiques. »
    C’est tout à fait vrai, mais à l’inverse, le monde de la recherche ne fait rien pour proposer des solutions de médiation adaptées aux contraintes des journalistes. A part peut-être Culture Visuelle…

  14. @Vincent Glad : la grosse différence entre les journalistes et le monde de la recherche (qui a ses défauts ceci dit), c’est que les premiers sont d’abord là pour amuser les gens. Enfin distraire, occuper, rassasier en histoires et en faits anecdotiques ou non.

  15. Quant à la question de savoir ce que ça apporte au scientifique, en effet, rien ou pas grand chose (sauf si il a un livre à vendre). Mais on peut estimer que la présence d’un bon chercheur empêche au moins le public d’avoir à subir un Marc Touati.

  16. @Vincent: « le monde de la recherche ne fait rien pour proposer des solutions de médiation adaptées aux contraintes des journalistes »: on pourrait même dire que c’est tout l’inverse! Le mépris qu’il est de bon ton d’afficher pour la télévision ou pour les journalistes et qui est un des réflexes les mieux partagés de la communauté savante, s’étend aujourd’hui plus largement aux activités de vulgarisation, en dépit du fait qu’il s’agit théoriquement d’une exigence fondamentale de notre métier.

    S’il faut chasser les clichés, que les scientifiques balayent d’abord devant leur porte! La rhétorique de l’excellence, qui se diffuse du ministère vers les chercheurs par l’intermédiaire des administrations, est en train de transformer le monde académique en caricature d’une recherche nobélisée ultra-brite qui est le strict pendant des simplifications journalistiques! Une recherche qui n’existe plus que par la bibliométrie des résultats validés et qui ne sait plus valoriser les activités d’enseignement ou de laboratoire est une recherche qui meurt.

    On ne remontera pas la pente d’un coup de reins. Le passif est trop grand, des deux côtés, et le poids du conservatisme académique vaut largement celui des pesanteurs médiatiques. Reste le web, qui est aujourd’hui le seul espace de rencontre. Ce que j’observe des quelques liens qui se tissent me fait résolument militer pour le dialogue entre les éléments les plus avancés des deux communautés. Je crois que les choses ne font que commencer – ou plutôt je l’espère, car dans le cas contraire, nous sommes vraiment mal barrés.

  17. @Jean-no

    Dire que le journalisme ne sert qu’à « distraire, occuper, rassasier en histoires et en faits anecdotiques ou non », ça revient à dire un truc du genre « la recherche ne sert qu’à publier le plus possible dans des revues spécialisées et à s’auto-congratuler en regardant son nombre de reprises sur google scholar ».

    Il ne s’agit que de la perversion du métier qui n’est en général pas perçue par les journalistes eux-même qui continuent souvent de croire que la restitution honnête des faits est leur seul horizon. En ne prenant pas en compte cette dimension là, on passe à côté de beaucoup de choses en rejetant les médias dans une masse uniforme où les acteurs sont pleinement conscients de leur cynisme.

    Les interrogations éthiques et les engueulades au sein des rédactions sont quotidiennes, on ne peut pas complètement l’occulter. Même si au final, le résultat à l’antenne peut paraître comme du pur divertissement.

  18. OH LA LA c’est quoi cette discussion d’intellos qui ont peur de se salir les doigts???

    Moi, comme spectatrice inculte λ je retiens surtout qu’il y a des mecs comme André qui réflechissent à la manière dont la télé choisit de nous montrer des choses et ce n’est pas rien.

  19. Merci Rena, qu’est-ce que tu fais le week-end prochain? 😉

    Sinon, il y a un paragraphe ci-dessus que je ne m’attendais pas à lire si tôt, et qui me met la banane. Les choses vont plus vite qu’on croit: on est déjà passé de la leçon de choses à l’action. Eh bien croyez-moi ou non: c’est une excellente nouvelle! Va falloir suivre le rythme! :-)))

  20. Ça ne rapporte peut être rien au scientifique mais cela permet peut être de familiariser le public avec des problématiques scientifiques. Et dans un second temps, la familiarisation pourrait aider les étudiants à valoriser leur formation auprès des employeurs. Un effet boule de neige serait peut être bénéfique aux étudiants sortant d’une licence ou d’un master de sciences sociales.

  21. @Vincent Glad: Dire que le journalisme ne sert qu’à “distraire, occuper, rassasier en histoires et en faits anecdotiques ou non”, ça revient à dire un truc du genre “la recherche ne sert qu’à publier le plus possible dans des revues spécialisées et à s’auto-congratuler en regardant son nombre de reprises sur google scholar”.

    Je n’étais pas méprisant à propos du journalisme, je veux juste dire que c’est un métier comme un autre, pas un sacerdoce, et que la première mission du JT n’est pas de (faire) comprendre vraiment le monde, mais bien de remplir 1/2 heure de programme à coup de sujets de 3 minutes.
    L’intérêt de la recherche universitaire, c’est le temps universitaire, assez lent, qui permet de ne pas être étranglé par l’urgence – avec comme inconvénient de parfois se laisser aller à ne rien faire du tout, ça s’est déjà vu. Enfin le temps universitaire a un peu changé, avec les évaluations Aeres, shanghai, et autres, qui font que l’important est un peu moins de travailler et un peu plus de faire savoir que l’on travaille. Et ça c’est une perversion.
    Je pense que les défauts du journalisme, de l’université ou de quelque autre domaine ne sont jamais des perversions, c’est une partie de ces domaines. Les journalistes n’ont jamais le temps pour rien d’approfondi, c’est un fait qu’on constate assez vite il me semble. Enfin si on parle des journalistes TV et quotidiens, puisque d’autres formats ont à la fois plus de temps et plus d’ambition.

  22. André. Je trouve ta démarche très intéressante, pas seulement d’accepter une interview en tant qu’expert qui se rend disponible malgré son emploi du temps très chargé, mais de le faire en tant qu’expérimentateur, que chercheur curieux et peut-être un peu joueur, qui raconte honnêtement son expérience du jeu médiatique après coup et en tire des savoirs sans se prendre au jeu plus qu’il ne faut…
    C’est la posture des Pinçon-Charlot aussi, me semble-t-il… jouer au second degré avec son objet d’étude…
    Certes tes constats sont peu surprenants, mais rien ne vaut une expérience physique de ce qu’est l’absorption de sa parole dans la mécanique médiatique… avec son éventuel sentiment d’inquiétante étrangeté et de frustration… Car, je ne sais pas ce que tu en penses mais on se sent facilement étrnager aux propos qu’on tient dès lors qu’ils sont repris et réorientés par un discours qui les utilise à sa guise…
    Le décalage entre l’entretien long et argumenté, ancré dans une pensée singulière, et sa version flash médiatique complétement soumise aux besoins discursifs du « sujet » (terme délicieux ici quand on pense au poids des conformismes), doit être une vraie expérience de la censure… On donne quelque chose à des journalistes qui en font ensuite tout autre chose, selon leurs besoins, n’étant pas dans un rapport de recueil des paroles de l’interviewé mais dans un rapport de production de propos illustrant leur thèse (l’angle)… Et le montage-angle du journaliste est souvent repris et retravaillé par la prod qui doit qualibrer un produit défini à l’avance… L’affirmation devient alors illustration…
    le sujet, objet…
    Le problème ne se pose pas que pour les interventions d’experts ou de scientifiques… toute personne interviewée, qu’elle soit homme politique, savant ou simple passant, voit ainsi ses propos pris dans les rêts des besoins argumentatifs d’une thèse, d’un angle…
    Cela devient plus violent, symboliquement, quand il s’agit d’un discours articulé et complexe qui se retrouve réduit à des formules et quand une autorité scientifique est utilisée pour les cautionner…

    En tout cas, je trouve assez génial de te « voir » dans cette image, nous parler de l’illustration télévisuelle (car il s’agit de cela) depuis l’intérieur de l’illustration télévisuelle… si ça c’est pas de la recherche de terrain ! Et ce qui compte, c’est d’avoir le dernier mot… de retourner le sujet en en faisant un billet original… Cela pose des bases de réciprocité à partir desquelles un échange fructueux peut s’établir entre la science et les médias, et c’est parce que tu es aussi blogueur et dispose d’une aire de réception conséquente, que c’est possible… Au fond internet est le média le plus adapté aux besoins de la recherche, et ce sera à la télé de s’y adapter…

  23. C’est amusant, aujourd’hui une revue libertaire et engagée (Una Città) me propose de m’interviewer à propos de Wikipédia. Ils interviewent des gens de tous genres, pas seulement des habitués de la presse. J’ai pensé à la présente discussion en lisant la description de la philosophie de ces entretiens : Nos interviews sont normalement très longue (45min, un heure minimum) pour permettre à la personne de pouvoir raconter tout ce qui lui tient au coeur, sans pressions. En fait nous on publie presque tout ce qu’on dit perdant l’interview car c’est bien la philosophie du journal.

  24. @Jean-No : c’est peut-être un contre exemple qui illustre les raccourcis auxquels la télé se plie (faire court pour ne pas risquer de « perdre » son auditoire avant la pub…). Pour le principe de Peter, j’abonde (je suis d’une timidité terrible quand il s’agit de demander un entretien à quelqu’un : c’est mon travail, c’est vous dire…) et je ne m’étonne pas; en réalité, le professionnalisme dont font preuve les journalistes de « terrain » est parfois induit par les méthodes de travail de la production qui emploie, régulièrement pour ce faire, des stagiaires (un peu comme partout: on qappelle ça dans notre beau pays « le chômage des jeunes »); l’une d’entre elle me racontait un jour ses difficultés car, stagiaire justement, elle n’avait aucune possibilité d’apprendre sinon en regardant, un peu comme André ce jour-là, même si l’opérateur du son (c’était de la radio) ne voulait pas lui montrer grand chose (les places sont, malgré Peter, chères dans le milieu).

  25. @Audrey Gourd: Si, ça apporte! Relire mes commentaires ci-dessus. Un « euréka » scientifique – la compréhension d’un phénomène – n’est pas quelque chose qui arrive tout cuit d’un coup, comme une pomme tombée sur la tête. Construire une interprétation correcte d’un phénomène se fait au contraire à partir d’un puzzle d’impressions, d’intuitions et d’observations. Chacune de ces petites impressions compte, et va préciser le schéma général. Je l’ai toujours dit: small is beautiful – c’est en faisant attention aux petites choses qu’on finit par comprendre les grandes…

    @Olivier: Tout à fait d’accord. Il y a même un côté assez drôle à être coupé après avoir décrit la brièveté du shoot 😉 Je crois que je n’avais jamais regardé en entier une édition de Médias, le magazine. Et je comprends pourquoi: outre l’absence de personnalité assez dramatique de son animateur vedette, il est terriblement formaté, on sent à chaque seconde son désir d’afficher un professionnalisme qui finit par mettre tout à plat, et rend n’importe quel ingrédient insipide. Bref, on sent tout le temps la forme, et à quel point ces journalistes ont peur de se laisser emporter par le fond. Mais la volonté de maîtriser à toute force le contenu fabrique une soupe froide qui ne se distingue pas du long brouet des chaînes d’info en continu et qui ne donne qu’une envie, après cinq minutes de consommation du produit: zapper.

  26. « Qu’est ce que ça rapporte à un chercheur? »

    Bêtement, il me semblait, en plus de ce que signale André Gunthert (un terrain d’observation supplémentaire) que ça pouvait rapporter la satisfaction de transmettre plus largement. Un chercheur cherche-t-il juste pour le plaisir de chercher, tout seul, cherche-t-il aussi pour transmettre à ses pairs et pour leur faire voir comme il est un bon chercheur, ou son but final est-il d’accroitre les connaissances de tous, y compris le public non spécialiste qui me semble de plus en plus avide de savoir vrai et non plus de savoir paillettes?

    Et ça, c’est une tendance à encourager, en fournissant de la vraie matière, ni un ersatz de savoir (le public devient intelligent, il se dégoûte de ces platitudes), ni un savoir pur mais incompréhensible. Scientifiques, soyez à la hauteur des attentes d’une part de plus en plus importante du « public ».

    Ça demande un effort conséquent, il n’est certes pas simple de rendre accessible sans le dénaturer un savoir de spécialiste. Et c’est sur le terrain qu’on apprend. Y compris en faisant des conneries (c’est ça qui vous fait le plus peur, non? avec les railleries de vos pairs…)

  27. J’abonde dans le sens d’André lorsqu’il recommande un « dialogue entre les éléments les plus avancés des deux communautés » journalistique et universitaire. C’est, me semble-t-il, ce que nous essayons de faire sur Culture visuelle. Il en est déjà sorti plusieurs échanges directs avec des journalistes qui acceptaient de se prêter à des interrogations autres que les leurs. Je trouve ça très positif. Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin dans ce sens en sollicitant plus souvent les journalistes dont nous commentons les productions. En retour, j’estime important pour nous, universitaires, de sortir de nos enceintes réservées. Ce à quoi je ne crois pas, en revanche, c’est à la transposition directe du discours d’analyse dans le contexte médiatique, sous la forme obligée de l’interview en 15 secondes ou de la phrase isolée citée dans un article. C’est un leurre et il n’y a pas grand-chose à y gagner, ni pour nous, ni pour les auditeurs, téléspectateurs ou lecteurs de la presse.

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