L'art, c'est toujours un peu la même chose

Gros buzz sur les surimpressions de photos amateur de sites touristiques par Corinne Vionnet. Dont le principe confirme chacun dans l’idée que le touriste est un abruti dépourvu de toute imagination, qui ne fait que reproduire à l’identique ce qui existe déjà en cartes postales, ce qui est bien bête.

Mais où est la bêtise? Dans le fait d’ignorer que la construction des images du tourisme est un processus commencé il y a quelques siècles par les peintres et les graveurs, qui ont établi avant tout le monde les images de référence des sites? Dans la méconnaissance du mécanisme de l’appropriation qui permet à chacun de nous de transformer en expérience personnelle un spectacle institutionnalisé? Dans l’inconscience du caractère inédit du partage en ligne de ces images, qui crée de nouvelles circulations et de nouveaux usages? Ou bien dans l’oubli du caractère finalement très banal et très paternaliste des opérations de récupération par le Fine Art des productions industrielles ou amateurs, considérées comme un vulgaire matériau transcendé par le regard de l’artiste?

Peut-on vendre sur papier sans s'afficher en ligne?

Confirmation par sondage express à partir de l’échantillon Gunthert: Boulet (Gilles Roussel) est un nouveau grand de la BD! Déjà qu’on ne pouvait pas attendre pour acheter le cinquième volume de Notes, fraîchement paru (« Quelques minutes avant la fin du monde« , éd. Delcourt). Mais depuis qu’on l’a, c’est pire: on n’arrête pas de se le piquer, les gosses et moi, il a fallu instaurer un tour de lecture pour ne pas pourrir le week-end.

L’inventivité, le dessin, l’humour, l’auto-dérision: tout est parfait chez Boulet. Mais à ces qualités classiques s’ajoute un trait qui mérite qu’on s’y attarde: depuis l’origine, l’auteur partage ses Notes graphiques sur son blog, Bouletcorp – c’est là que je les ai découvertes en 2005.

Un tel exemple a de quoi rassurer tous les éditeurs inquiets de la concurrence web/papier. Non, le codex n’est pas redondant avec la lecture sur écran: il redonne du volume à l’œuvre, il en permet une consultation plus souple et une lecture plus confortable, il offre le plaisir de la possession. Les deux médias s’épaulent et se confortent. Ce qu’on a aimé en ligne, on l’aimera plus encore sur papier.

Continuer la lecture de Peut-on vendre sur papier sans s'afficher en ligne?

Le contraire de la photo, c'est encore de la photo

Le photographe Olivier Aubert critiquait récemment sur Acrimed une couverture du magazine Politis, dénonçant le recours aux banques d’images et à la logique du « low cost« . Même s’il ne prenait pas la peine de le préciser, le lecteur comprenait bien que, du haut de la noblesse du reportage et de la photographie d’information, de telles pratiques bassement illustratives ne pouvaient que susciter le mépris.

Voici maintenant une image passionnante: le visage grimaçant de Sylvio Berlusconi, choisi aujourd’hui par LeMonde.fr pour illustrer un nouvel épisode de la déchéance du cavaliere: sa comparution immédiate en procès pour abus de pouvoir et relations sexuelles avec une prostituée mineure (voir ci-dessus). Patrick Peccatte, qui avait déjà étudié  l’étape précédente du calvaire, sous la forme classique du facepalm, me signale que cette photo de l’Associated Press a déjà été utilisée par les Canadiens, plus rapides à la détente.

Continuer la lecture de Le contraire de la photo, c'est encore de la photo

Une photo qui ne veut visiblement rien dire

A Culture Visuelle, nous avons pris la (mauvaise) habitude d’interpréter le surmoi médiatique à partir des messages cachés dans l’illustration. Mais si l’on essaie de décrypter le regard franc et le bon sourire du portrait choisi pour la promotion du nouveau directeur de la rédaction de Libération (ci-dessus, cliquer pour agrandir), ce qui frappe le plus est l’impression de neutralité affichée – également soulignée par les titres.

Au moment où les allées et venues du mercato agitent quotidiens en magazines, la venue de l’ex-animateur de la matinale de France-Inter, dont on sait qu’elle trouble les meilleurs esprits, est visiblement traitée avec des pincettes, sans mot de trop ni sourire qui en dirait trop long. A moins qu’il ne faille interpréter l’origine de la prise de vue reprise par les deux journaux (par Miguel Médina/AFP, le 6 septembre 2009 sur le plateau de C Politique sur France 5) comme le rappel discret de l’ADN audiovisuel du nouveau dirlo.

Mieux vaut être riche et bien portant…

Le site « Photos non contractuelles » a été signalé récemment par plusieurs de mes contacts. Celui-ci déclare recenser «les pires différences que l’on peut observer entre les publicités et la réalité» et appelle ses lecteurs à lui faire parvenir des photos.

«La ruine de la théorie indicielle», commente ironiquement un ami. Ce qui n’est qu’à moitié vrai, car si l’illustration de gauche est en effet supposée menteuse, la photo de droite a bien pour mission de rétablir la vérité en dévoilant l’image réelle du produit.

Continuer la lecture de Mieux vaut être riche et bien portant…

Le populisme expliqué aux enfants

On aurait tort de minimiser l’affaire du dessin de Plantu (paru dans L’Express du 19/01/2011, voir ci-dessus). La lepénisation d’un responsable politique – son assimilation au personnage le plus méprisé de la vie publique française – est le plus sévère châtiment de l’establishment médiatique: elle correspond à une mise au ban dont on ne revient pas indemne.

Comme toujours, c’est une image qui est l’arme du crime. Non que l’association Marine Le Pen/Mélenchon n’ait pas fleuri ici où là, comme l’autre jour chez Demorand, qui sait comment chauffer son animal politique. Mais l’image – et plus encore la caricature – est ce vecteur d’un message à la fois parfaitement lisible et parfaitement hypocrite, car jamais assumé jusqu’au bout, autorisant le retrait derrière l’ambiguïté de l’interprétation ou la distance de l’humour.

Continuer la lecture de Le populisme expliqué aux enfants

Les dégâts du frelon

Gondry est notre meilleur cinéaste actuel, celui qui a le mieux compris l’interaction avec la culture industrielle, tout en gardant sa part d’inventivité. Petit bijou qu’on a immédiatement envie de revoir en sortant de la salle, The Green Hornet fait partie des exercices de relecture au second degré typiques d’une actualité qui n’en finit pas de méditer ses classiques. Sortes de Bouvard et Pécuchet du super-héros, Britt et Kato en dévoilent le fond de sauce, qui est la jobardise. La réjouissante nullité d’ados attardés incapables de séduire ne serait-ce que la Milf du secrétariat est l’équivalent d’un coup de pied au cul à tout l’échafaudage mythologique soigneusement entretenu par Warner Bros. et Christopher Nolan.

Plus intéressant encore, le penchant qu’entretient le film pour la manipulation médiatique, discret fil rouge qui achève de miner les soubassements de l’idéal. Que ce soit du côté du justicier masqué ou du méchant procureur, un journal sert essentiellement à s’essuyer les pieds dessus et à fabriquer des campagnes d’auto-promotion parfaitement mensongères. La sauvegarde de l’honneur du Daily Sentinel passe d’ailleurs par une destruction physique quasi totale de l’immeuble (tout ça pour copier un fichier d’une clé USB finalement vide).

Continuer la lecture de Les dégâts du frelon

Votez Carla!

Fidèle à sa vocation d’organe de propagande du régime en place, Paris-Match a publié dans sa dernière livraison une magnifique image qui résume la stratégie de la future campagne pour la réélection de Nicolas Sarkozy. Effectuée le 7 janvier à l’occasion du déplacement du couple présidentiel aux Antilles, la photo d’Elodie Grégoire associe habilement le romantisme de Love Story à la connotation de la puissance élyséenne, avec ces deux profils mêlés regardant dans la même direction à travers le hublot d’un hélicoptère (cliquer pour agrandir).

«Le geste de Carla est tendre et protecteur. Le chef de l’Etat sait qu’il pourra compter sur elle dans les moments décisifs. (…) Le président de la République a donc entrepris une opération séduction. Avec Carla comme carte maîtresse», nous explique Virginie Le Guay.

Traduisons. Totalement décrédibilisé dans l’opinion, à court d’idées et de ressort programmatique, l’hôte de l’Elysée n’a plus pour seule ressource politique que l’affichage de Madame, qui par chance est super-canon. Habile calcul: au cas où ce serait Martine qui porterait les couleurs du PS, le cochon qui sommeille en tout électeur mâle n’hésitera pas longtemps. Quant à DSK, l’âge de ses artères ferait peser un sérieux risque d’accident coronarien sur la campagne. Qui ne s’annonce pas triste.

Ce qui ne va pas avec la culture

Une association de développement culturel me fait parvenir un courrier invitant à une journée de réflexion sur les liens unissant adolescents et culture dans le contexte scolaire.

L’argument est libellé comme suit:

«Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils brouillés avec la culture? Les adolescents ont-ils de nouvelles façons de se cultiver? Comment faire naître le désir de culture et de découverte artistique chez les adolescents? Comment les amener à croiser la matière culturelle? Y-a-t-il des oeuvres spécifiques pour les adolescents?»

Malgré le caractère bien intentionné de l’initiative, quelque chose me gêne profondément dans cette manière d’aborder la relation au fait culturel. La formule: «Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils brouillés avec la culture?» ne semble pas envisager une seule seconde que les « jeunes » possèdent déjà un bagage culturel qui leur est propre, construit par leur expérience cinématographique, télévisuelle, vidéoludique ou web, qui structure leurs échanges et génère des postures d’expertise ou des mécanismes d’apprentissages et de transmission complexes.

Continuer la lecture de Ce qui ne va pas avec la culture