L'attente du cinéma, c'est déjà du cinéma

Sur le périphérique parisien, à proximité de la porte d’Italie, on peut voir cette publicité sous forme de peinture murale pour le prochain épisode de Harry Potter (Harry Potter et les reliques de la mort, 2e partie), assortie d’un afficheur qui annonce le décompte avant la sortie du film: – 40 jours, 6 heures, 23 minutes (photo prise le 3 juin).

On peut éprouver des émotions intenses au cinéma. Mais le meilleur film est toujours celui qu’on n’a pas encore vu, celui qu’on attend, celui qu’on rêve. L’installation de cette attente est devenue l’un des principaux volets de l’œuvre cinématographique, une œuvre parallèle parfois aussi importante que le film, du point de vue de son organisation, de son budget, mais aussi de son pouvoir imaginaire. On ne va pas voir le même film selon la qualité de l’attente qui a précédé sa sortie. L’attente du cinéma est déjà du cinéma. Il est regrettable que la recherche accorde si peu d’attention à cette dimension constitutive de la construction culturelle.

Le bruit disparu de l'instrumentation

Un blog peut servir à noter des questions ou des observations. Il sert souvent à enregistrer des agacements. Pourquoi est-ce que m’arrête la question du bruit de l’instrumentation chez Ridley Scott? A vrai dire, je n’en sais rien. Mais ça m’agace.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=wL96XnTwJsU[/youtube]

Dans Alien (1979) ou dans Blade Runner (1982), on peut constater que Scott donne vie à divers outils électroniques en les dotant d’une activité sonore paradoxale (voir ci-dessus). Un trait qui n’est pas si fréquent en SF. Il y faut d’abord le goût du silence. Star Wars (1977) est un film bien trop bruyant (dialogues, musique, combats…) pour qu’on y discerne le clic d’un bouton. Dans 2001 (1968), l’interaction avec la machine qui forme le fil rouge du scénario ne laisse que peu de place à la commande manuelle, dont la dimension sonore reste discrète.

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L'autre moitié du cinéma

«Toute l’histoire de l’art, toute l’histoire de la philosophie de l’art, nous a habitué à considérer qu’une œuvre vaut par ce qu’elle signifie, ou par ce qu’elle exprime, ou par la qualité d’émotion qu’elle suscite en nous, ou par les pensées qu’elle produit – et non par son aspect luxueux, par la richesse de ses matériaux, par le travail de celui qui l’a faite» (Jacques Aumont, De l’esthétique au présent, De Boeck, 1998, p. 15).

L’autre soir, expérience mille fois refaite, on passe en revue avec les mômes la collec’ de DVD pour décider ce qu’on va regarder. Collec’ qui comprend évidemment une brochette des plus grands succès des quinze dernières années, des films qu’on s’est précipité pour aller voir à leur sortie. Et comme toujours, le choix est difficile. Les arguments sont rationnels, il y a les préférences des différents membres de la famille, l’élimination des films récemment revus. Le désir est comme éteint. Toute la machine qui l’a éveillé et entretenu au moment de sa sortie est loin derrière. On a vu le film, l’inconnu a disparu, reste le souvenir objectif d’un degré de plaisir. Une connaissance, pas une excitation.

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Self-made nécro

28 février. Apprendre la mort d’Annie Girardot par un signalement sur Facebook. Aller sur Wikipédia pour se remémorer sa filmographie, redécouvrir des pans inconnus de sa carrière. Visionner quelques extraits de films et interviews sur YouTube, tomber sur une chanson très société du spectacle. Search et ressources encyclopédiques font mieux que le sujet du JT du soir. Souvenirs en forme d’hommage, nécro self-made en 2011.

Les dégâts du frelon

Gondry est notre meilleur cinéaste actuel, celui qui a le mieux compris l’interaction avec la culture industrielle, tout en gardant sa part d’inventivité. Petit bijou qu’on a immédiatement envie de revoir en sortant de la salle, The Green Hornet fait partie des exercices de relecture au second degré typiques d’une actualité qui n’en finit pas de méditer ses classiques. Sortes de Bouvard et Pécuchet du super-héros, Britt et Kato en dévoilent le fond de sauce, qui est la jobardise. La réjouissante nullité d’ados attardés incapables de séduire ne serait-ce que la Milf du secrétariat est l’équivalent d’un coup de pied au cul à tout l’échafaudage mythologique soigneusement entretenu par Warner Bros. et Christopher Nolan.

Plus intéressant encore, le penchant qu’entretient le film pour la manipulation médiatique, discret fil rouge qui achève de miner les soubassements de l’idéal. Que ce soit du côté du justicier masqué ou du méchant procureur, un journal sert essentiellement à s’essuyer les pieds dessus et à fabriquer des campagnes d’auto-promotion parfaitement mensongères. La sauvegarde de l’honneur du Daily Sentinel passe d’ailleurs par une destruction physique quasi totale de l’immeuble (tout ça pour copier un fichier d’une clé USB finalement vide).

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Ecologie du cinéma, vérification par l'échec

Quelqu’un à la rédaction de Studio Ciné Live a l’œil vif et l’esprit avisé. Le magazine est le premier à avoir pensé à gratifier Culture Visuelle d’un abonnement gratuit (adresse: André Gunthert, Culture Visuelle, INHA, 2 rue Vivienne, 75002 Paris). Ce qui, compte tenu du nombre d’étudiants qui se consacrent cette année aux études cinématographiques, est une excellente idée. Ces exemplaires seront mis à leur disposition dans la bibliothèque du Lhivic.

Je ne lis pas régulièrement les magazines de cinéma. C’est un tort. Ces objets passionnants participent depuis le début du XXe siècle à l’écriture d’une de nos principales mythologies, celle de l’homme imaginaire – pour reprendre la formule par laquelle Edgar Morin caractérisait le cinéma. Feuilleter SCL fournit à chaque page la démonstration que cette mythologie est plus vivace que jamais.

On reviendra sur le prochain Harry Potter, auquel SCL consacre sa couverture. Un article a particulièrement attiré mon attention, qui tente d’expliquer pourquoi le film Scott Pilgrim (Edgar Wright, 2010), qui aurait dû faire un carton cet été, a finalement été un bide. Alors que l’attention se concentre habituellement sur les films à succès, la question de l’échec est une excellente façon de tester les présupposés de la fabrique de blockbusters.

Denis Rossano retient plusieurs motifs. En premier lieu, un rôle titre confié à un comédien « doué mais peu charismatique » (Michael Cera). Mais aussi la surévaluation par le studio du succès de la BD de Bryan Lee O’Malley à l’origine du film, une publicité qui n’a pas réussi à « refléter le concept et l’univers visuel du film », ou encore la concurrence d’Expandables. Soit un ensemble de traits qui concernent moins les qualités intrinsèques du film que le système de valorisation dont il est partie prenante. En quelques mots se dessinent les ressorts réels de la construction de l’imaginaire cinématographique, qui font regretter d’avoir consacré tant de pages aux films eux-mêmes, et si peu à leur écologie.

Iron Man, homo faber

Mes fils m’ont prêté hier le DVD Iron Man 2. Fascinante introduction de Vanko en forgeron. IM organise la confrontation de deux technologies fondamentales et opposées. Celle de la machine, à l’ancienne, qui se voit et se martèle, celle de l’homme fort: la technologie de l’armure, qui a besoin d’énergie (un cœur), et qui se rattache par l’imagerie à la bagnole (montage/démontage par les robots assembleurs). Celle de l’ordinateur, moderniste, fluide et évanescente, qui se résume à de l’imagerie 3D manipulable, technologie assez évidemment féminine (même si mise en voix par un masculin « Jarvis »), en son service essentiellement auxiliaire. L’homme de fer vs l’image servante, la fusée vs l’ordinateur, l’Audi vs l’iPhone, autrefois vs demain. Je vais me faire écharper par les Ironophiles si je parle d’une ode zemmourienne à la nostalgie de la bagnole (et à la puissance perdue du Stars and Stripes). Pourtant, comme le montre le papa de Tony Stark, le mot « technologie » ne peut se prononcer qu’au passé. L’enjeu du contemporain, c’est sa disparition.

La beauté parfaite, ou le dernier rêve

Pocahontas était un conte de la mixité raciale. Malgré la proximité des scénarios, Avatar n’a que peu à voir avec cette mythologie. Ce n’est pas le problème de la race qui fonde le film, mais celui de l’évasion vers un corps idéal – c’est précisément le programme énoncé par son titre. L’écologie, les indiens, ne sont que des éléments de décor. Le film ne joue pas avec le récit, réduit à la portion congrue, il joue avec les images. Ces images qui n’ont pas besoin de légende sont celles de ces corps si beaux.

D’une beauté si familière. C’est ce film qui m’a fait comprendre que le motif de la beauté parfaite n’est pas simplement un détail décoratif des magazines féminins, mais un paradigme omniprésent de l’industrie culturelle, qui se décline de la mythologie de la retouche au personnage sublimé de Michael Jackson. Peut-être le rêve le plus puissant de notre société, qui n’en n’a plus guère.

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Le film à l'intérieur de nos têtes

La bande-annonce est un genre. Son miroir sur les plates-formes visuelles est le trailer cut, ou montage de bandes-annonces. Une nouvelle manière de faire du cinéma par intérim, sans enfreindre le sacro-saint copyright.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=tZaTFmEL-l0[/youtube]

Signé Vadoskin, celui-ci se présente comme un tour de force, réalisé avec pas moins de 50 trailers, dont Underworld, 2012, Ninja Assassin, Whiteout,  Inglourious Basterd, The Box, Star Trek, Terminator Salvation, Transformers, Harry Potter and the Half-Blood Prince, Watchmen, District 9, Surrogates, The Day the Earth Stood Still, etc… (illustration sonore: AudioMachine – Akkadian Empire, Groove Addicts – Zero Hour, Audio Network – Mars, AudioMachine – Lachrimae, Wild Rumpus Music – Blame It on the Falling Sky 2.0, John Murphy – The Last House On The Left Score).

Cette remarquable synthèse en images, véritable critique visuelle de l’usine à rêves d’Hollywood, est fascinante par sa triple homogénéité: homogénéité de l’imagerie, homogénéité de la narrativité, homogénéité de l’imaginaire. Oui, presque toutes ces images pourraient se fondre en un seul film. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’elles font? Ce blockbuster ultime, résumé de toutes les catastrophes, c’est le film qui est à l’intérieur de nos têtes (merci à Rémi pour son signalement).

La 3D sauvera-t-elle le cinéma?

3D-GlassesDepuis quelques années, le marketing cinématographique nous annonce pour demain l’arrivée de la 3D intégrale, supposée révolutionner l’expérience de vision. Elle intéresse surtout les majors pour éradiquer le piratage sous toutes ses formes – copies de films en salle ou téléchargements gratuits.

Les dégâts de ce programme ne se sont pas fait attendre. Hier, James Cameron venait présenter sur France 2 sa dernière oeuvre, Avatar, dont la bande-annonce donne plutôt l’impression qu’il a enfin réussi à faire un film de Luc Besson.

Pourtant, les lunettes en carton sont aussi vieilles que les drive-in. L’industrie les ressort à chaque fois que les recettes flageolent – la dernière fois, c’était dans les années 1950, pour contrer la télévision.

Cette stratégie est deux fois idiote. Parce qu’une barrière technologique ne fait que reculer d’un an ou deux des adaptations qui progressent à la même allure. Et surtout parce que la 3D a toujours été un échec cinématographique. Filmer pour l’effet fait systématiquement oublier l’histoire. Et rien n’est plus lassant que l’effet de surgissement censé représenter le comble du réalisme visuel. La première fois, on sursaute, la troisième, on baille, et à la sortie du film, on a mal à la tête.

Ce n’est pas avec les yeux qu’on fabrique de l’imaginaire, mais avec le cerveau. Ce n’est pas avec de l’optique qu’on crée des images, mais avec des histoires. Plus vite les majors se rappelleront de ces règles immuables, plus vite elles retrouveront le chemin du cinéma.