Prosécogénie du mystère à deux balles

Rien compris. Je devrais me méfier des films annoncés comme l’attraction de l’année, mais comme tout le monde, je suis tombé dans le piège une fois de plus. Prometheus, produit dérivé du génial Alien par son créateur même, arrivait précédé d’un long buzz, que même les premières critiques (négatives) n’ont pas réussi à désarmer. Las, alors qu’Alien tirait toute sa puissance de l’extrême dépouillement d’une intrigue transformée en machine à happer le regard, la pile des fausses pistes issues des brainstormings que les scénaristes ont omis d’effacer pèse sur l’estomac du spectateur de tout son poids d’incohérences et de contradictions.

Pourquoi l’espèce de demi-dieu, blanc et musclé comme Superman, dernier représentant de son espèce (qui est par ailleurs supposée, par un incompréhensible tour de passe-passe biologique, avoir donné naissance à la vie sur notre planète, qui aurait donc passé par tous les stades de l’évolution, de l’amibe au rongeur en passant par le ver ou le poisson, pour revenir in fine à la forme parfaite de l’acteur mâle casté pour un rôle de super-héros à Hollywood), pourquoi, dis-je, cet Hercule d’une civilisation supérieure n’a-t-il rien de plus pressé que d’accueillir ses descendants (les héros humains du film) en tentant de les massacrer comme le plus vulgaire des monstres de foire?

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Se faire un film

A l’occasion de la sortie du film Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat, qui suscite des avis divergents, je remarque cette introduction par Guillaume Defare sur le Plus. Qu’un film soit rêvé avant d’être vu est un ressort crucial de sa prosécogénie, mais il est rare qu’on raconte sa représentation intime, effacée par la confrontation avec l’œuvre. La formule de clôture résume magnifiquement le but du travail imaginaire de la promotion cinématographique. Accessoirement, ce témoignage montre l’inadéquation du terme de « réception », puisqu’il s’agit bien ici d’anticipation, et plus encore, de participation au travail du film (tout ce à côté de quoi Jacques Aumont est systématiquement passé).

«Ça fait longtemps que j’attendais ce « Marsupilami » par Alain Chabat. J’en ai pensé un peu tout et son contraire avant sa sortie: d’abord, j’ai eu peur du syndrome « Astérix au jeux Olympiques », puis je me suis rassuré en me disant que Chabat avait tout de même réalisé la meilleur adaptation de BD franco-belge avec « Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre » (le « Tintin » de Spielberg ne compte pas, n’étant pas vraiment un film live).

Puis, j’ai frémi d’angoisse en repensant à « Rrrrrrr » qui était quand même sacrément nul, et je me suis rassuré en me disant que ce n’était qu’un accident de parcours. Ensuite, je me suis demandé pourquoi ne pas plutôt adapter « Spirou et Fantasio », la BD d’origine du Marsupilami. Enfin, j’ai eu peur pour le visuel du Marsupilami en lui-même, avant d’être rassuré par les petits génies de BUF, la société qui a pris en charge les effets spéciaux du film. Bref, je ne savais pas trop ce que j’allais voir, mais j’avais sacrément envie de le voir.»

Guillaume Defare, « Sur la piste du Marsupilami: à laisser aux tout petits! » 07/04/2012.

Sarkozy est-il bon pour le cinéma?

Reprenant une photo déjà utilisée en couverture de Télé 2 semaines le 3 décembre, Paris-Match sacre à son tour Intouchables comme « phénomène ». Ayant dépassé la barre des 13 millions d’entrées en 6e semaine, le film tutoie désormais les plus grands succès du box-office français (Bienvenue chez les Ch’tis: 20 millions; La Grande Vadrouille: 17 millions; Astérix et Obélix, mission Cléopâtre: 14 millions; Les Visiteurs: 13 millions).

A noter que, dans les films récents, ni le succès des Visiteurs ni celui d’Asterix et Obélix n’avaient fait l’objet de tentatives d’interprétation à caractère sociétal. En revanche, la solidarité surlignée des Ch’tis avait permis de le décrire comme un exutoire à l’égoïsme sarkozyste. L’éloge de la « fraternité » d’Intouchables s’inscrit dans la même veine d’une fiction venue racheter la brutalité du monde contemporain. Une lecture que pourrait confirmer le classement final en 2e ou 3e position du film, venant renforcer le constat que les années Sarkozy auront été plutôt fastes pour les comédies à prétexte social.

Cette interprétation est-elle pertinente? Difficile de dire si Les Neiges du Kilimandjaro auraient fait moins d’entrées (près de 500.000 en 4 semaines) sous Chirac. On peut par contre en déduire que le consensus est acquis sur le caractère barbare du régime.

Influence de la fréquentation sur le consensus critique

Discussion l’autre jour à La Grande Table (France-Culture) avec Alain Kruger et Pascal Ory, consacrée au succès d’Intouchables. La comparaison avec le Tintin de Spielberg, diffusé simultanément, s’impose d’elle même dans la conversation. Sans qu’aucun des participants ne s’appesantisse sur le sujet, il me semble que le consensus critique sur Le Secret de la Licorne, qui ne me paraissait pas encore établi il y a 3 semaines, est maintenant fixé – de façon négative.

Les mêmes intervenants ayant participé à une émission de commentaire du Spielberg peu après son lancement, on pourra utilement comparer les avis exprimés. Quoique cet échantillon n’ait aucune valeur représentative, il paraît logique de déduire de l’évolution du jugement critique l’influence primordiale de la fréquentation du film – qui s’est définitivement effondrée en 5e semaine, tombant à 138.000 spectateurs, chute spectaculaire pour un film ayant débuté à 3.158.318 entrées (927.520 en 2e semaine, 650.052 en 3e semaine, 271.343 en 4e semaine). L’hypothèse conclusive peut donc être formulée comme suit: pour un film populaire, le consensus critique s’établit principalement à partir de l’observation a posteriori de sa réception publique. L’évolution de la discussion critique à propos d’Intouchables, dont la courbe de fréquentation est inverse, corrobore d’une autre façon le même constat (lire à ce sujet la réflexion développée d’Olivier Beuvelet).

Morceaux choisis

J’apprends l’autre jour par un signalement d’Alexis Hyaumet la préparation d’une nouvelle adaptation de Blanche-Neige, version blockbuster (Snow White and the Huntsman, dir.: Rupert Sanders, 2012). La discussion sur Facebook moque, à partir du trailer, les stéréotypes issus de la tradition récente du cinéma à effets: méga-bataille à la Robin des bois de Ridley Scott, monstre et effets spéciaux façon Harry Potter, guerrier costaud «qui agite des haches en faisant des moulinets avec ses bras et en criant: « raaaaaaaaaaaaah! »», et autres citations plus ou moins appuyées.

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Est-ce parce que l’histoire de Blanche-neige fait partie du patrimoine commun que cette série d’emprunts ou d’allusions, pas vraiment raccord avec le scénario des frères Grimm, apparaît comme autant de pièces rapportées? Est-ce parce que n’importe quel film à gros budget d’Hollywood comporte maintenant le passage obligé par un certain nombre de gimmicks comme une liste de courses? Toujours est-il que le projet n’a pas l’air de convaincre le petit groupe de cinéphiles, pourtant amateurs de films d’action.

On sait le désarroi qui frappe Hollywood et contraint à la surenchère de scènes à effets, qui dénature aujourd’hui n’importe quel projet cinématographique grand public. Mais ce qui me frappe, c’est la vitesse de constitution de ce répertoire de syntagmes, tous issus de productions récentes, et d’autant plus identifiables. Ne faudrait-il pas essayer de fixer les points de repère et la chronologie de ce vocabulaire? Par exemple la scène de baston, qui ne devient un must qu’après Matrix (1999), qui en réécrit profondément les codes, sous la forme d’impossibles chorégraphies, à partir du modèle des jeux vidéos.

Accessoirement (et question à Alexis), n’est-ce pas précisément cette narrativité de répertoire, caractérisée par le collage de morceaux choisis, qui constitue l’emprunt le plus significatif à la forme du jeu vidéo au cinéma?

Tintin s'effondre en 2e semaine

Ouch! La claque! Après une 1e semaine où Le Secret de la Licorne avait cassé la baraque avec 3,158 millions d’entrées, chiffre record (sur 850 écrans), Tintin s’effondre en 2e semaine en passant sous la barre du million de spectateurs, ce qui le place deuxième derrière Intouchables.

Si on compare avec Avatar, qui avait débuté à 2,648 millions d’entrées en 1e semaine sur 726 écrans, mais grimpait à 2,925 en 2e semaine, l’échec est patent. Certes, la concurrence d’Intouchables a contribué à creuser l’écart, mais une division par trois de la fréquentation est à ce niveau une contre-performance sans précédent. Continuer la lecture de Tintin s'effondre en 2e semaine

Tintin pas encore général

Une note rapide. A 10 jours de la projection du Tintin de Spielberg, je suis plutôt surpris de la modération de la pression marketing.

En conservant à ma veille sur cet objet une dimension généraliste, j’ai essayé d’éviter l’écueil d’une spécialisation qui aurait fait loupe, pour demeurer autant que possible sur le terrain d’une réception grand public. C’est ainsi que je n’ai appris qu’hier (via le très généraliste Google News) que la première projection de presse avait eu lieu le mercredi 12 octobre. Les premières critiques semblent enthousiastes (comme pour Cannes, je ressens une gêne face au décalage d’un spectateur professionnel qui a déjà eu accès à un contenu qui m’est pour l’instant interdit).

Pour le reste, une couverture du Figaro Magazine par ci, une pile de coffrets à la librairie du MK2 par là (voir ci-dessus), des affiches bien sûr, mais l’impression reste celle d’une empreinte globalement plus modeste que ce à quoi je m’attendais, d’une présence moins insistante que, mettons, celle du dernier Harry Potter.

En même temps, je me demande quelle balance me permet de formuler un tel jugement. A l’évidence, je réagis de manière très globale en collectionnant un ensemble de signaux éparpillés. L’empreinte de Tintin reste confinée pour l’essentiel au monde culturel et se manifeste par des produits d’édition. La lecture du billet de Rémy Besson sur la promotion de The Artist me fait prendre conscience que je n’ai pas encore aperçu de présentation télévisée du futur film. Tintin est une information culturelle, pas encore une information générale. C’est visiblement cette caractérisation, et tout particulièrement le passage au journal télévisé du soir, qui fait effet de seuil et envoie le signal décisif.

A signaler le livre de Philippe Lombard, Tintin, Hergé et le cinéma (Democratic books, 2011), synthèse bien informée quoiqu’un peu pédestre. La conversation de la Grande Table du vendredi 28 octobre sera consacrée à la sortie du Secret de la Licorne.

Les Aliens sont fatigués

Depuis ce début septembre, je me suis fait embrigader par Caroline Broué pour son émission La Grande Table sur France-Culture (voir ma rubrique « radio« ). Ce qui fait que l’on me demande de temps à autres mon avis sur l’actualité culturelle. Ma dernière perplexité a été mise au menu de l’émission de vendredi prochain (12h55-13h30, avec Ollivier Pourriol et Mathieu Potte-Bonneville): les « aliens » du cinéma ont-ils encore quelque chose à nous dire?

La période récente a été particulièrement nourrie en films d’aliens et de soucoupes: de World Invasion. Battle Los Angeles (Jonathan Liebesman, mars) à Cowboys et Envahisseurs (Jon Favreau, août) en passant par Paul (Greg Mottola, mars), Transformers 3 (Michael Bay, juin) et surtout le très commenté Super 8 (J. J. Abrams, août). On attend également un remake de The Thing (Rob Bottin) en octobre et un The Darkest Hour (Chris Gorak) en décembre.

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Aliénante fiction (retour sur entretien)

Entretien productif hier avec Martin Quenehen, qui a juré depuis longtemps de me réveiller aux aurores en plein mois d’août pour discuter de blockbusters sur France Culture. Une invitation formulée au début de l’été, qui m’aura incité à accentuer ma consommation de films commerciaux US (je n’aurais sans doute pas été voir Transformers 3 sans cette opportunité).

Les Matins d’été, 16/08/2011 (19 min.).

C’est donc à Martin que je dois deux petites illuminations récentes: 1) la prise de conscience de la relativité de la fiction comme produit parmi d’autres de l’offre culturelle (un point important pour moi qui ait jusqu’à présent articulé mon investigation du phénomène culturel autour de la notion de récit), débouchant notamment sur l’opposition symétrique divertissement/culture et sur l’idée d’une (sur)valorisation de la signification en régime culturel; 2) la découverte (via l’expérience d’une exposition sur Rue89) que la virulence des commentaires des fans de blockbuster, et particulièrement leur disqualification de la signification, correspond à une véritable revendication culturelle, une opération de distinction paradoxale. Qui a dit que les circulations médiatiques n’étaient pas profitables?

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Columbo, du grand art

«Le grand public le connaît surtout pour le rôle de l’inspecteur Columbo, mais l’acteur avait joué dans de nombreux films», écrit 20Minutes.fr pour saluer la disparition de Peter Falk, faisant écho à de nombreuses nécros pareillement balancées. Traduction: star de la télé, ça ne vaut pas une cacahouette; pour prouver qu’on a été un grand acteur, rien ne vaut Cassavetes…

A-t-on besoin de la bénédiction de la culture légitime pour reconnaître le talent? On peut aimer Cassavettes et trouver que Columbo a été un formidable rôle, incarné à la perfection par un comédien surdoué.

Comme souvent, Umberto Eco n’est pas tombé loin quand il décrit Columbo comme la nouvelle manifestation du petit homme, héros au rabais de la modernité télévisée (De Superman au surhomme, Grasset, 1993). Mais l’auteur du Nom de la Rose était déjà trop star lui-même pour être encore sensible à la part de revanche de classe que comporte le feuilleton.

En promenant son imper crade et ses manières de beauf dans les salons de grands bourgeois convaincus de leur impunité, l’inspecteur venge les prolos du monde entier, qui n’aimeraient rien tant que secouer la cendre de leur cigare à deux balles sur le tapis angora et faire trembler les puissants d’un «encore un p’tit détail» (« just one more thing« )…

Oui, la télé peut parfois venger les pauvres, et Columbo a été un de ces feuilletons universels qui a signé la montée en puissance de la culture télévisuelle, l’envers satirique du personnage incarné au cinéma par James Bond, avec épouse légitime invisible et moyens riquiqui, quand le grand écran affichait ses pin-up et ses dollars. Une création d’époque, un rôle comme il n’y en a que quelques-uns par génération, que Peter Falk incarnait visiblement avec un plaisir gourmand. Salut, l’artiste!

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=yuevpFTS_po[/youtube]