Que veut dire le sourire d'Allègre?

Grâce à des électrodes savamment disposées, Duchenne de Boulogne pouvait provoquer artificiellement le dessin d’une émotion sur le visage de ses sujets. Grâce au Point, pourra-t-on démontrer l’existence d’une intention éditoriale?

Le magazine consacre cette semaine sa une au « procès Allègre », et l’illustre par un portrait de l’ancien ministre par Frédéric Souloy (Gamma/Eyedea). Cette photo est-elle neutre et innocente? Ou peut-on au contraire, sans avoir lu les articles, deviner à partir de cette image le parti-pris du magazine? C’est le jeu auquel je propose de participer, en indiquant ci-dessous votre interprétation de ce sourire jovial (cliquer pour agrandir).

19 réflexions au sujet de « Que veut dire le sourire d'Allègre? »

  1. – Et où elle est la joue ?
    – Là !
    – Quels progrès ! Demain on passe aux notions de chaud et de froid…

  2. Le fait de le montrer si souriant, voire triomphant, n’est pas si anodin si on s’attache à décrypter les deux sens possibles du texte suivant le gros titre. Le thème du procès, ces derniers temps, a pris un connotation très négative dans les médias si l’on se réfère à celui qui a fait le plus de bruit ces derniers temps : le procès Villepin.
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    Cependant ici la photo semble donner un caractère ambigu à ce titre. On voit là un sourire franchement appuyé qui semble dire que quoi que l’on puisse dire sur lui, il aura le dernier mot. Un rictus du genre « rira bien qui rira le dernier ».
    A ce moment, les sous-titres nous apparaissent un peu différemment :

    -Les dessous de la polémique de l’année » : on croirait une remise de prix, Le procès Allègre serait double, puisque qu’on peut comprendre le procès que lui font les experts du climat qui le traitent d’affabulateur, ou bien le procès qu’Allègre fait aux écologistes en les faisant rentrer dans une espèce de théorie du complot. Et donc la palme de la polémique de l’année revient à… (par Le Point qui pourra reprendre exactement le même sous-titre au Festival de Cannes pour peu qu’un film arrive à y faire polémique. Sauf que pas de chance, il n’y aura pas Lars von Trier cette année…)

    « Peut-il avoir raison seul contre tous? » : Déjà on se pose la question, ça laisse le bénéfice du doute. Mais le seul contre tous, c’est aussi un peu la position « héroïque » et valorisé de celui qui en France, pays ou la haine des experts et des intellectuels ne cesse de grandir, s’oppose à une pensée dominante pour rétablir une pseudo-vérité. On ne parle pas d’individu isolé, de voix discordante, ni même d’une nouvelle théorie, on nous fait pénétrer directement dans un espace narratif : seul contre tous, cela ferait presque passer Claude Allègre pour Erin Brockovich

    Enfin « Enquête sur un provocateur », le mot est lâché, un peu facile certes, mais tellement expressif. Polémiste de l’année, seul contre tous, provocateur, c’est presque Claude Allègre superstar! Mais il rentre à merveille dans le rôle du trublion qui vient bousculer les technocrates et leurs certitudes. Et c’est précisément ce qui fait l’ambiguïté de cette couverture du Point : Allègre veut faire sa « révolution tranquille » de l’écologie.
    Cette couverte nous donne de lui une image finalement bien française : Taquin (pour rester poli), pas d’accord avec tout ce qu’on dit (est-il en accord avec quelque chose d’ailleurs?) et sur de lui.

    Après on peut peut-être voir de l’ironie dans cette couverture. Mais rien n’est moins sur…

  3. @ Pier-Alexis : et que fais-tu du « Retraites les 10 plus gros mensonges » du bandeau qui soutient l’ensemble de la couv’ par le bas? Après CarlaetNicolas et le climat, les retraites sont le 3ème thème, récit (?), menace etc. le plus médiatisé.
    + celui du haut « enquête sur les nuits parisiennes »?
    => enquête, nuit, réchauffement, dessous, procès, polémique, enquête, provocateur, mensonge => ça fait quelle histoire?
    (j’ai oublié les superlatifs : de l’année, seul contre tous, les 10 plus).

  4. @Audrey : c’est pour ça que j’esquisse l’hypothèse de l’ironie… Je doute seulement de cette profondeur de vue du Point. L’emploi de superlatif est une constante dans ce genre d’enquête.
    Pour ce qui est des bandeaux, je ne suis pas un expert du Point, si tu peux m’indiquer des images ou les bandeaux permettent de donner un à priori inconsciemment positif à un sujet, je veux bien réétudier le phénomène.

  5. Bah, l’ensemble donne un côté assez sombre et plutôt trouble à l’affaire, tu ne trouves pas…? Sans compter les impressions de complot, roman policier dans les « hautes » sphères… chan chan chan… ? bon et puis après on peut écrire un roman, quoi! c’est ça qui est bien 😉

  6. Bon, trèves de plaisanteries, Pier-Alexis a bien décrypté le message. Les articles du dossier proposent une véritable réhabilitation d’Allègre – ce qui n’était pas une entreprise facile, compte tenu des bourdes énormes du personnage 😉

    Le choix du portrait dévoile ce parti-prix par avance, alors que les titres, qui conservent une neutralité journalistique de bon aloi, permettent de maintenir le mythe de l’objectivité de l' »enquête ». Une option négative aurait dû nécessairement se traduire par un choix différent: un Allègre soucieux, ou faisant la grimace. Ici, le sourire est celui d’un sage apaisé, sorte de Victor Hugo de la science, qui porte tranquillement la vérité au-delà des polémiques et des affrontements du présent… Un tel homme ne peut pas avoir tort, nous dit cette photo… En d’autres termes, même si cette image ne choque personne, n’est ni outrageusement retouchée ni mal légendée, il s’agit pourtant d’une vraie manipulation éditoriale, digne de la pire des propagandes, comme la presse en produit tous les jours, la main sur le coeur…

  7. Je pense qu’un éthologue se régalerait devant une expression aussi complexe. Il y a un sourire mais sans dents. Les yeux (la sincérité du sourire) semblent se forcer. Le caractère légèrement dominateur du menton et de la main manque à mon sens d’assurance. Je vois pas mal d’incertitudes dans cette photo.
    A-t-elle été choisie en intelligence avec le sujet, comme c’est souvent le cas ? J’y lis (subjectivement) une fausse assurance, pour ma part.

  8. La satisfaction bonhomme d’être encore et toujours celui dont les médias parlent – malgré toutes les conneries qu’il raconte. C’est à lui qu’on donne la parole. Il est le provocateur, le justicier (seul contre tous). Et c’est encore et toujours lui qu’on invite sur les plateaux de télé ou qui fait la Une pour répondre (seul) aux accusations qu’il balaye d’un revers de la main. Tout cela pourquoi ? Parce que comme beaucoup de ses semblables, c’est un animal médiatique et télévisuel : il en a l’habitude, il est à l’aise… Il a parfaitement muté pour s’adapter au cirque médiatique : ce qui n’est pas le cas forcément de ses détracteurs. A l’image des images retouchées, des maquillages, des éclairages, des montages… Les médias nous vendent des mutants taillés pour eux, qui ont su s’adapter à l’environnement médiatique. Ce qu’il dit n’a pas d’importance : l’important c’est sa façon de se mouler dans le média.

  9. J’ai une question peut-être un peu naïve. D’un côté, ce post et d’autres avant lui montrent comment l’image est utilisée comme illustration non seulement d’une actualité mais aussi d’une intention éditoriale… la propagande montrant le bout de son nez. De l’autre des commentaires qui montrent que personne n’est dupe, au moins ceux qui les ont rédigés, et selon moi, bien d’autres encore. L’effet d’ une une comme celle du Point, avec une pose d’Allègre qui pour ma part me rappelle certains rappeurs, semble donc avoir chez certain un effet contraire à celui de l’intention éditorial (réhabiliter le personnage Allègre). Au contraire l’effet direct serait plutôt une défiance à l’égard du journal. Ma question est donc celle-ci : jusqu’à quel point craindre cette intention éditorial si son effet ne marche pas? S’il n’y a pas de ligne direct entre la cause et l’effet de cette intention, faut-il consommer de l’énergie à la combattre ou se tourner directement vers d’autres sources plus claires d’information? Dans quelle(s) mesure(s) une telle pratique éditoriale creuse-t-elle sa propre tombe? Dans quelle(s) mesure(s) assure-t-elle son avenir?

  10. @Aurélien Mazeau: C’est une bonne question. Mais que vous n’achetiez pas un coca-cola chaque fois que vous voyez une pub n’empêche pas cette pub d’être diffusée, ni que ses commanditaires puissent la juger globalement efficace. Cela n’empêche pas non plus cette pub de relever d’un système que l’on peut décrire et observer. En d’autres termes, il n’y a pas contradiction entre la pragmatique de la réception dont relève son effet et la critique de la production dont relève mon observation.

    Il y en a d’autant moins, à mon avis, que l’usage courant de la photo n’est habituellement pas décrit comme appartenant à l’aire de l’influence ou de la suggestion (mais plutôt du témoignage objectif et neutre). C’est pourquoi il me paraît intéressant, non de dénoncer la pub coca-cola, mais de montrer comment l’usage d’une image banale participe de ce travail. La photo est habituellement décrite comme un enregistrement fidèle. Tel est également le cas du portrait ci-dessus, qui a capté fidèlement l’image bienveillante et joviale qu’on voulait qu’il enregistre. Le problème ne se situe donc pas au niveau de l’outil, mais bien au niveau des intentions et des usages de ceux qui le manipulent.

  11. Le sourire sans dents… Cela me rappelle un conseil que je donnais à mes élèves avant de passer à la photo scolaire : quand on vous demande de sourire, faites-le en desserrant vos lèvres, sinon ce sera une grimace.

    Oui mais voilà, desserrer les lèvres c’est ouvrir la bouche, donc s’ouvrir, se livrer.

    Comptez le nombre d’enfant suffisamment sûrs d’eux pour faire ça !

    D’accord, Allègre n’est plus un enfant malgré son visage un rien poupin (ou alors, un sale gosse, narcissique, colérique, ne supportant pas d’être contredit) et est suffisamment suffisant et sûr de lui.

    Mais enfin, on peut être troublé par ce diable niché dans un détail…

  12. André Gunthert Says : avril 28th, 2010 at 19:52

    Sauf qu’au Point il pose avec étude, alors que là il s’oppose sans étude : pris sur le vif, notre mammouth !

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