Le secret de l'oeuvre d'art

Le système narratif de Dan Brown est désespérant. Sous le lourd appareil ésotérique qui forme décor, il n’y a qu’un vulgaire jeu de piste. La mécanique du détective novel réduite à sa plus simple expression – litanie d’énigmes comme un clou chassant l’autre.

Mais pour le visualiste, ses romans présentent une particularité non dénuée d’intérêt: celle de mettre en scène, au cœur de ce dispositif de quasi-jeu vidéo, quelques icônes fameuses. Le Da Vinci Code (2004) situait dans La Cène et La Joconde quelques-unes des clés essentielles à la révélation de l’union de Jésus avec Marie-Madeleine. Le Symbole Perdu (2009) va chercher dans la Mélancolie de Dürer le carré magique qui permettra de décrypter le message caché.

Faire jouer à Léonard ou à Dürer le rôle de guide dans une saga à la Indiana Jones peut faire sourire. Le recours à ces figures relève sans doute d’un effet de couleur locale, où la mobilisation d’un référent ultra-connu produit une impression de « culture ressentie » particulièrement gratifiante pour le lecteur.

Un roman qui invite à relire Arasse ou Panofsky ne peut pas être complètement mauvais. Mais au-delà de l’usage très fonctionnel qu’il fait des œuvres, je trouve intéressant de voir comment de vieux points de repère de la culture lettrée peuvent être repris et partiellement revitalisés par l’industrie culturelle. Après tout, l’idée que les chefs d’œuvres les plus célèbres abritent des secrets, à la manière de la lettre volée de Poe, n’est pas qu’un truc de roman-feuilleton: c’est le moteur de l’histoire de l’art, qui carbure au décryptage toujours recommencé des œuvres. A se demander pourquoi cet art de l’interprétation n’est pas plus populaire aujourd’hui.

9 réflexions au sujet de « Le secret de l'oeuvre d'art »

  1. Ping : Topsy.com
  2. Bien vu André… Comme tu le soulignes à la fin, je n’ai pas l’impression, non plus, que ces livres soient l’occasion d’une réelle appropriation des fleurons de la culture lettrée par la sensualité populaire, au contraire, ces livres en font des énigmes à un seul « message », mettant les images aux ordres d’un contenu informatif ésotérique, réservé à une élite de « sachants », à la façon des interprétations « classiques » qui refusent les ambivalences, les anachronismes, et les contradictions des images pour les réduire souvent aux intentions retrouvées de l’auteur…
    Finalement, ce passage d’oeuvres (déjà très touristiques) dans les « savoirs sociaux moyens » (merci pour le direct) ne fait que renforcer l’idée que la jouissance pleine et consciente des oeuvres de l’Art consiste à comprendre un message intentionnel dont la compréhension suppose une grande érudition. Voilà peut-être pourquoi l’art de l’interprétation n’est pas plus populaire… Interpréter est encore considéré comme une activité d’expert s’appuyant uniquement sur une somme d’informations (iconographie classique, ésotérisme) sans tenir compte des usages et des formes symboliques qui constituent les oeuvres…
    Les livres de Dam Brown me semblent renforcer cette conception populaire du discours sur l’Art comme signe de distinction des élites initiées… c’est une pub pour la pire des histoires de l’art… celle qui se limite à l’iconographie et oublie la « signifiance ».

  3. J’aimerais me tromper mais je ne suis pas sûr que les livres de Daniel Arasse ou d’Erwin Panofsky risquent de devenir des succès de librairie comparables au Da Vinci Code 🙂
    Pour ma part il m’a surtout donné envie de relire « Le pendule de Foucault » d’Umberto Eco, qui est l’anti « Da Vinci Code » par excellence : chez Dan Brown la question est « n’y aurait-il pas un complot millénaire ? » tandis que chez Eco c’est « pourquoi essaie-t-on de me convaincre de l’existence d’un complot millénaire ? »

    Le discours du personnage d’iconologue/sémioticien/symbolisticien interprété par Tim Robins au début du film est assez hilarant (encore plus que dans le roman), la manière de considérer l’étude des images qui est évoquée est vraiment bête et ras-les-pâquerettes : je me demande ce qu’en retient le grand public.

    Cette littérature me rappelle une amie américaine de mes parents avec qui j’ai visité le Louvre et qui essayait de me convaincre que s’il y avait des tas de femmes nues sur les peintures, c’était du fait d’une ancienne tradition, que les peintres auraient sûrement aimé habiller plus décemment leurs figures mais qu’ils n’avaient pas le choix. Toute autre explication l’aurait trop embarrassée.
    C’est une forme de rationalisme (trouver une raison claire et précise aux choses) irrationnel qui m’étonne mais que j’ai déjà trouvé plusieurs fois dans la civilisation protestante. Ma mère est scandinave, je me rappelle qu’en Norvège la campagne anti adhésion à l’union européenne s’est faite à coup de tracts photocopiés qui prouvaient par les chiffres et l’iconographie que le pape (qui ne dirige pas l’union européenne mais passons) ne peut être que l’antéchrist prévu par l’apocalypse de Jean.

  4. @Olivier: Content de constater l’appropriativité du NVCV (nouveau vocabulaire de la culture visuelle 😉 « Pub pour la pire des histoires de l’art »: sans aucun doute, mais Eco a effectivement montré, avec plus de talent, le lien possible entre érudition savante et roman policier. On imagine bien que les archéologues, paléontologues ou anthropologues, respectivement représentés par Indiana Jones, Alan Grant (Jurassic Park) ou Bones, pouffent de rire devant leur incarnation médiatique. La représentation populaire ne peut s’effectuer sans caricature. Mais cette représentation est tout de même une forme de présence culturelle, dont les bénéfices ne me paraissent pas négligeables, dans une période marquée par l’anti-intellectualisme.

    @Patrick, Jean-no: Oui, la dimension complotiste, sous une forme assagie, est à l’évidence l’un des principaux ressorts de l’intérêt que suscite Dan Brown, proche de celui rencontré en son temps par une série comme X-Files. Il y a là un travail en sourdine qui me paraît du plus grand intérêt pour les observateurs que nous sommes.

  5. Salut André,
    Petite note sur le succès populaire de cette pire des histoires de l’art, en passant:

    Cet art de l’interprétation est aussi à voir, avant le Da Vinci Code, dans les romans de Iain Pears, qui en une dizaine d’années avait déjà « décrypté » en polars une petite poignée de chefs d’oeuvres de la Renaissance, principalement (je dois pourtant bien avouer que « décrypter », même dans la plus basique intention d’une lecture unilatérale et simplifiée, me paraît un terme un peu fort dans le cas de ces romans. L’oeuvre servant ici quasiment uniquement de « carte au trésor »). Et je me souviens aussi d’autre tentatives autour de lui (Le Testament du Titien, et autres.).
    Il y avait aussi le Tableau du maître Flamand, de Perez-Reverte…

  6. petite remarque au ras des pâquerette, mais c’est Tom Hanks (acteur très « populaire ») qui joue dans le film Da Vinci code… scène en effet hilarante de ridicule, d’ailleurs je n’ai pas été beaucoup plus loin dans ce navet absolu.

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