Comment entendons-nous le non-dit?

Il l’a dit. Enfin non, il ne l’a pas dit. Il l’a dit ou il l’a pas dit? Il a dit: « l’indicible ». Un terme qui renvoie à un implicite informulé mais présent à l’esprit de tous – sans quoi son emploi ne pourrait se justifier. Le dire sans le dire, le dire et ne pas le dire. Ça pourrait être une bonne définition de l’usage de l’image dans de nombreuses situations d’illustration, où le message principal ne peut être assumé explicitement, et où il est remplacé par cette forme de clin d’œil, de signe de connivence bien étudié par les spécialistes du lepénisme – où tout ce qui est indicible est entendu sans avoir été dit, avec la complicité des destinataires du message, qui procèdent à sa reconstitution in petto. Ce transfert de la responsabilité de la signification de l’émetteur au destinataire donne au premier la capacité de nier avoir formulé ce qui ne devait pas être énoncé. On peut donc comprendre le recours à l’implicite comme la construction sociale d’une fiction dont le bon fonctionnement repose sur la collaboration de tous les participants de la situation d’énonciation. (Merci à Céline pour son lien.)

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Votez Carla!

Fidèle à sa vocation d’organe de propagande du régime en place, Paris-Match a publié dans sa dernière livraison une magnifique image qui résume la stratégie de la future campagne pour la réélection de Nicolas Sarkozy. Effectuée le 7 janvier à l’occasion du déplacement du couple présidentiel aux Antilles, la photo d’Elodie Grégoire associe habilement le romantisme de Love Story à la connotation de la puissance élyséenne, avec ces deux profils mêlés regardant dans la même direction à travers le hublot d’un hélicoptère (cliquer pour agrandir).

«Le geste de Carla est tendre et protecteur. Le chef de l’Etat sait qu’il pourra compter sur elle dans les moments décisifs. (…) Le président de la République a donc entrepris une opération séduction. Avec Carla comme carte maîtresse», nous explique Virginie Le Guay.

Traduisons. Totalement décrédibilisé dans l’opinion, à court d’idées et de ressort programmatique, l’hôte de l’Elysée n’a plus pour seule ressource politique que l’affichage de Madame, qui par chance est super-canon. Habile calcul: au cas où ce serait Martine qui porterait les couleurs du PS, le cochon qui sommeille en tout électeur mâle n’hésitera pas longtemps. Quant à DSK, l’âge de ses artères ferait peser un sérieux risque d’accident coronarien sur la campagne. Qui ne s’annonce pas triste.

Le signe de la pensée

On peut s’appeler Sébastien Fontenelle et n’en être pas moins sensible à la contrefaçon. Accueillant avec ironie la Une du dernier numéro d’Alternatives économiques, composée de portraits encadrés sur fond blanc,  Sébastien la rapproche de la couverture des Editocrates, en laissant entendre que le magazine a puisé son inspiration dans le réjouissant pamphlet qu’il a co-écrit avec Mona Chollet, Olivier Cyran et Mathias Reymond.

Je laisse de côté le débat classique en histoire de l’art des sources et des influences (non sans noter toutefois que l’interprétation du motif de la galerie des ancêtres par AE, avec sa légère ombre portée et ses noms propres disposés dans des cartouches, est plus réussie que celle des éditions Press Pocket).

Ce que le rapprochement des couvertures manifeste, c’est une légère différence de posture entre les deux catégories de modèles. Alors que les capitaines d’industrie affichent la sereine frontalité (le cas échéant soulignée par des bras croisés) de ceux qui affrontent les tempêtes sans sourciller, la majorité des éditorialistes (6 sur 9) se caractérise par un appui ou un geste de la main, poncif qui s’interprète dans le portrait classique comme la connotation de l’activité intellectuelle, typique des écrivains, des savants ou des peintres (cliquer pour agrandir).

A l’orée du XXIe siècle, les vielles conventions du portrait peint n’ont pas disparu. Elles perpétuent les distinctions de classe, d’activité ou de statut que nous savons reconnaître d’un seul coup d’œil. Ce qui donne une solide raison pour les encadrer de bois doré.

Investissement visuel

On avait déjà pu observer que l’affaire Bettencourt donnait lieu à un travail iconographique inhabituel. Dans son numéro du 4 novembre 2010, Le Point, qui consacre à nouveau sa Une à l’affaire, réunit en un photomontage les principaux protagonistes de la saga (montage Christophe Thognard à partir de: Hurn/Magnum, Bureau/AFP, Warrin/Sipa; Stevens/Sipa, Witt/Sipa, SAget/AFP, Medina/AFP, voir ci-dessus, cliquer pour agrandir). Plus courant dans la publicité (ou dans les colonnes du journal à sensations Détective), le recours au photomontage pour traiter un événement d’actualité me semble plutôt rare.

Contrairement au collage ambigu de Christine Lagarde, celui-ci, clairement identifié en légende, ne pose aucun problème de légitimité. Il n’en reste pas moins un symptôme intéressant. J’avais évoqué au début de l’affaire un problème de rareté du matériel iconographique. Dans le cas présent, la recherche manifestée me semble indiquer une dimension supplémentaire. Outre la reconstitution d’une impossible réunion de famille, le photomontage (composé de pas moins de 7 photographies) rend visible l’investissement de l’hebdomadaire dans cet événement. A affaire exceptionnelle, traitement sensationnel (et budget en conséquence), semble nous dire cette image.

Une remarque au passage. Pourrait-on observer semblable investissement en ligne? J’en doute. La spatialité de la double-page est nécessaire à la lisibilité du montage. Et on n’a pas l’impression que les moyens alloués à l’iconographie par les rédactions web soit susceptible de faire face à une telle dépense. Le papier reste pour l’instant l’espace privilégié d’un travail visuel approfondi.

Nicolas 1er au Congo

La dernière couv’ de L’Express (3 novembre 2010) apporte un cas simple mais flagrant de métamorphose illustrative d’une photographie de reportage. Ayant obtenu les bonnes feuilles du nouveau livre de Dominique de Villepin, L’Esprit de cour (Perrin), l’hebdo met en avant cette exclusivité sous le titre « Sarkozy et sa cour ». Pour figurer ce récit, la rédaction recourt à une photographie d’Eric Feferberg (AFP) réalisée le 26 mars 2009 à Brazzaville, au parlement congolais, alors que le président français attend de prononcer son discours (ci-dessus, source: ImageForum).

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Un montage qui ne se voit pas est une retouche

Buzz appréciable pour la couverture représentant une photo de Christine Lagarde collée sur fond d’arcades de l’avenue Daumesnil, dans la feuille locale UMPiste Les Nouvelles du 12e, manipulation dénoncée sur son blog par le conseiller municipal du Parti de Gauche Alexis Corbière. Au-delà du succès toujours garanti de l’effet « jeu des 7 erreurs », sorte de degré zéro du décryptage visuel, plusieurs points me paraissent dignes d’être relevés.

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A la recherche de l'image naïve

Les recherches sur la question de l’illustration ont suggéré que celle-ci constituait un usage élaboré. D’où l’idée qu’il fallait aussi soumettre des formes plus banales d’éditorialisation à l’observation. J’ai profité de mon séjour à Montréal pour me plonger dans la presse locale, à la recherche d’une imagerie plus directe et plus naïve.

Je croyais avoir trouvé un bon exemple avec le visage franc de cette infirmière (ci-contre, cliquer pour agrandir), heureusement indemne après une sortie de route causée par la somnolence, alors qu’elle rentrait chez elle après avoir travaillé 12 heures d’affilée. N’avais-je pas sous les yeux une photo exempte des artifices d’une narrativisation excessive, dans un style brut de décoffrage typique de la PQR?

C’était oublier la règle que je venais d’exposer à l’UQAM, à savoir la force de l’unité du dispositif et son invisibilité. Ce point de vue avait du reste été très désagréablement contredit par une collègue, convaincue au contraire que celui-ci était toujours et partout des plus apparents.

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Création de récit (2): Le Point sonne la fin de la lepénisation visuelle

Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Sarkozy souriant – du moins en couverture des magazines. Avec son n° du 7 octobre, Le Point sonne la fin de la séquence de « lepénisation visuelle » du président. Une belle image de couverture, composée par un portrait choisi avec soin pour son sourire teinté de gravité, qui fait ressortir les rides et les cheveux gris d’un président qu’on peut imaginer prématurément vieilli par les soubresauts de l’été (une image réalisée par Jean-Baptiste Vernier (JBV News) à l’occasion de la réception de Benjamin Natanyahou à l’Elysée le 27 mai 2010), mais qui présente la particularité d’avoir été détouré et collé sur un fond dont le dégradé automnal est une création du graphiste. Une retouche inhabituelle pour un portrait d’homme politique, qui apporte la preuve du caractère progagandiste de l’exercice.

Pas le temps de me lancer dans l’analyse iconographique de l’article « Comment il prépare sa revanche », co-signé Anna Caban, Saïd Mahrane et Sylvie-Pierre Brossolette, qui a visiblement beaucoup à se faire pardonner, mais il s’agit d’un cas d’école de construction éditoriale, dont l’iconographie n’est composée que d’images « positives » d’un président souriant, au travail, au contact des Français, etc. Une création de récit digne de l’ancienne RDA, qui manifeste que l’Elysée a décidé de refermer la longue parenthèse de l’été sécuritaire, pour repêcher un président enfoncé au plus bas des sondages par ce choix désastreux. Mais qui confirme aussi à quel point un récit se construit avec des images – ou plus exactement: des suggestions visuelles.

Newsweek: tout est dans l'image

Gros buzz autour de la couverture de la dernière livraison de Newsweek (datée du 04/10/2010), signalée notamment par Le Monde.fr. Une interprétation graphique par le couple d’illustrateurs Gluekit à partir d’une photo très recadrée d’Olivier Hoslet (EPA) donne un petit air de dictateur roumain au visage du président français, qui illustre le titre: «Le nouvel extrémisme européen. Sarkozy et la montée de la droite dure» («Europe’s New extrême. Sarkozy and the rise of the hard right»).

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Au secours (catholique) de l'illustration

Le site du Secours catholique a utilisé récemment une de mes photos pour illustrer un billet, comme l’y autorise la licence Creative Commons sous laquelle cette image est enregistrée.

Comme toutes les images que je télécharge sur mon compte Flickr, celle-ci servait d’abord un but personnel (en l’occurrence, faire savoir discrètement à quelques amis, lecteurs de mon flux, que je passais par un moment de cafard), et n’avait pas vocation à fournir un matériel illustratif dans un contexte médiatique externe.

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