Newsweek: tout est dans l'image

Gros buzz autour de la couverture de la dernière livraison de Newsweek (datée du 04/10/2010), signalée notamment par Le Monde.fr. Une interprétation graphique par le couple d’illustrateurs Gluekit à partir d’une photo très recadrée d’Olivier Hoslet (EPA) donne un petit air de dictateur roumain au visage du président français, qui illustre le titre: «Le nouvel extrémisme européen. Sarkozy et la montée de la droite dure» («Europe’s New extrême. Sarkozy and the rise of the hard right»).

Comme le note Gilles Klein, après cette entrée en matière, la lecture de l’article de Denis MacShane, intitulé « Rise of the Right« , auquel renvoie cette couverture, est pour le moins décevant. Réflexion globale sur le destin politique de l’union européenne, construit sur la base de l’entrée de 20 députés d’extrême-droite au parlement suédois, puis sur une collection de symptômes divers à l’échelon du continent, cet article à la conclusion très mesurée ne mentionne le président français qu’au passage.

Quelle que soit la pertinence qu’on accorde au diagnostic de McShane, on ne peut que constater l’écart considérable entre le message exprimé par la couverture et le contenu de l’article. La commande d’une illustration spécifique tout autant que le titre retenu pour la Une prouvent l’intention éditoriale de désigner la personne de Sarkozy comme le symptôme majeur de la dérive européenne vers l’extrême-droite – un promesse de récit qui ne renvoie qu’à une seule phrase d’un article de quatre pages: «Il n’est pas douteux que le spectacle d’un centriste comme Sarkozy jouant avec les extrêmes est un présage qui en annonce d’autres» («But there is no question that the spectacle of a centrist like Sarkozy playing to the fringe is a harbinger of more to come»).

La réception de cette manipulation délibérée confirme la valeur d’orientation fondamentale accordée au titre ou à l’illustration de Une. Une couverture représentant le parlement suédois aurait-elle suscité un tel écho? On peut en douter. En revanche, le coup médiatique qui consiste à lepéniser le président français, dans le contexte surdéterminé du débat sur l’expulsion des Roms, assure une publicité avantageuse au numéro. Ce qu’on en retiendra est le symbole de la dénonciation par un grand journal de la dérive extrémiste de Sarkozy, c’est à dire essentiellement le produit du dispositif image/titre – le résultat d’une proposition graphique plutôt que d’une analyse journalistique documentée.

5 réflexions au sujet de « Newsweek: tout est dans l'image »

  1. Je ne suis pas convaincu par la comparaison avec le portrait de Ceausescu. Ce dernier sourit, Sarkosy a l’air d’être sur le point de nous faire un nouveau malaise vagal. Ceausescu a la tête inclinée vers le bas, notre président vers le haut. Le seul point commun c’est le portrait cadré serré. C’est le texte qui donne son sens à l’image.

  2. @Thierry: Le portrait du timbre n’est évidemment pas la source de l’interprétation de Gluekit, puisque ceux-ci repartent d’une photographie. Je le cite pour synthétiser l’empreinte graphique du dictateur roumain, qui est visiblement loin d’être négligeable. Alors que la photo de Hoslet est relativement anodine, suggérant tout au plus une certaine fatigue, la version de Newsweek a considérablement modifié l’image, par augmentation du contraste, assombrissement du côté droit du visage, retouche de certains traits, ajout de trame visible, recadrage, etc. C’est le résultat de cet ensemble de transformations qui construit la ressemblance avec Ceaucescu, allusion qu’on peut imaginer suscitée par le contexte de la chasse aux Roms.

    « C’est le texte qui donne son sens à l’image » – C’est ce que je n’arrête pas de répéter, merci d’avoir entendu le message 😉

  3. La référence pour moi, ça reste quand même Mussolini. Avec le menton en avant pour montrer son caractère décidé et probablement cacher un double-menton gênant…
    http://www.britannica.com/EBchecked/topic-art/297474/13145/Benito-Mussolini
    La ressemblance entre notre double menton à nous et Mussolini à d’ailleurs été beaucoup plus exploitée dans la presse dans le passé:
    http://jeunes.dlr06.org/images/le%20pen%20honte.jpg
    En fait, je me demande même s’il n’y a pas eu dans le temps une photo de campagne où il exploitait lui-même cette ressemblance consciemment ou non. Après tout la mise en scène de ses meetings à une époque, avec l’avancée lente dans la salle, tout son public debout formant une double haie, vers une estrade bleue blanc rouge m’avait fait déjà penser à la scénographie de Léni Riefenstahl.
    Le texte donne son sens à l’image, mais parfois la ressemblance physique aide. 🙂

  4. @Thierry: Là comme ailleurs, le jeu interprétatif est ouvert. Mais si l’image renvoyait à Mussolini, pourquoi un tel traitement graphique? Celui-ci est très appuyé, et sa gamme chromatique comme l’effet de trame m’évoquent plutôt les années 1970 que les années 1930, et le culte de la personnalité des régimes de l’Est plutôt que la propagande fasciste.

  5. Je suis d’accord avec toi que dans le cas de Newsweek, l’image ne renvoie pas à Mussolini.
    Ce que je voulais dire, c’est qu’en termes de « culture visuelle », les images de Mussolini sont beaucoup plus présentes dans notre inconscient. Les références sont plus aisément identifiables parce que les procédés utilisés pour la mise en scène du personnage sont beaucoup plus appuyés et surtout quasi constant dans son iconographie, contrairement aux régimes de l’Est.

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