MegaUpload: comment se perdent les guerres culturelles

Mégaramdam autour de la fermeture manu militari d’une plate-forme d’échange de fichiers coupable du délit de contrefaçon. Comme l’explique Jérémie Zimmermann, on peut n’avoir aucune sympathie pour ces pratiques et s’étonner de la disproportion de la réaction judiciaire (et j’ajoute: de la réponse médiatique).

Cette disproportion été interprétée comme un signal adressé aux industries du copyright. Elle est aussi la manifestation la plus tangible d’une guerre culturelle perdue.

Dans ses réflexions sur la formation de l’imaginaire des sociétés modernes (Imagined Communities, 1983), Benedict Anderson rappelle le rôle joué par l’imprimerie à la Renaissance dans la reconfiguration des hiérarchies culturelles. En favorisant une « révolution du vernaculaire », cette nouvelle technologie devient le canal privilégié de la diffusion des idées de la Réforme.

«Dans cette bataille de titan « pour l’esprit des hommes », le protestantisme se montra toujours foncièrement offensif, précisément parce qu’il sut exploiter le marché en expansion de l’imprimé en langue vulgaire créé par le capitalisme, cependant que la Contre-Réforme défendait la citadelle du latin. (…) Rien ne donne une meilleure idée de cette mentalité de siège que la décision prise en 1535 par un François Ier paniqué, d’interdire toute impression de livres dans son royaume – sous peine d’être pendu haut et court! L’interdit et l’impossibilité de l’appliquer s’expliquent tous deux par le fait que les frontières orientales de son royaume étaient bordées d’Etats et de cités protestants produisant une avalanche d’imprimés de contrebande (( Benedict Anderson, L’Imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme (1983, trad. de l’américain par P.-E. Dauzat), Paris, La Découverte, 2002, p. 51-52.)).»

Inutile de pleurer MegaUpload. Des centaines de sites semblables ont déjà pris le relais, qui tirent leur utilité et leur profit des interdictions mêmes qu’édictent les pouvoirs sous influence des lobbies du copyright. Mais la démesure de la contre-attaque est la preuve de la profonde faiblesse de ceux qui ont déjà perdu la guerre. Merci à eux de nous le signaler avec autant de clarté.

6 réflexions au sujet de « MegaUpload: comment se perdent les guerres culturelles »

  1. « pas eu mon message facebook ds tes messages ? » Non, tout le monde écrit ça, c’est de la pensée automatique.
    Ce que je vois c’est que des archives entières ont disparu et que ceux qui le tenaient jettent l’éponge les uns après les autres.

  2. Ping : politis.ch
  3. Droit d’auteur et valeur marchande ne s’intéressent qu’à l’objet, comme moyen physique d’incarner une valeur. S’il y a aujourd’hui convergence entre œuvre d’art et monétisation, sans doute est-ce qu’on a oublié que l’art portait également, intrinsèquement, sa propre dimension humaine, capable de dialoguer avec autrui. Le numérique a dématérialisé cet objet étrange, perturbant la capacité des uns à se l’accaparer, révélant avec force qu’une émotion n’est pas négociable, surtout avec de l’argent.

    Bien sûr, il a le disque, la pochette ; bien sûr, il y a le support, le tirage papier, le format ; bien sûr, il y a l’odeur des pages tournées ; bien sûr…, il n’empêche, l’original peut ajouter certes une émotion fétichiste, idolâtre pour l’objet unique, historique, mais ce n’est pas là franchement ce qui fait spécifiquement sa puissance artistique. La preuve : comment feraient les artistes et les amateurs pour aimer ce qu’ils font, s’il fallait à tout prix, posséder des œuvres d’art ? Comment enseignerait-on l’art si l’on avait accès qu’à un nombre très restreint d’œuvres physiquement présentes ?

    La possibilité de copier et de diffuser massivement à révéler implicitement cet écart entre l’économie de l’art, hypercapitalisée, et la réception de l’art, universelle et gratuite. Mégaupload ou STOPA/HADOPI ne s’intéressent qu’aux modalités de diffusion de l’art, parce que c’est la seule chose qu’ils peuvent contrôler !

  4. La « Méga perte » d’images personnelles

    Avec la fermeture du site d’échange de fichiers Megaupload par le FBI et le ministère de la Justice américaine s’est amorcé un nouveau pas vers la lutte contre le téléchargement illégal d’images, mobiles ou fixes. A leur insu, les internautes qui avaient stocké leurs photos de vacances ou de famille se sont aussi vu retirer l’accès à des milliers de photographies personnelles, jusqu’à nouvel ordre.

    La suite dans La Lettre de la photographie
    http://www.lalettredelaphotographie.com/entries/5432/la-mega-perte-d-images-personnelles

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