Le sexe de l'Origine avait-il un visage?

Magnifique scoop publié aujourd’hui dans l’hebdomadaire à sensations Paris-Match: le célebrissime tableau de Courbet, « L’Origine du Monde », serait en réalité une œuvre incomplète. Après une longue enquête, un amateur d’art, acquéreur en 2010 d’un portrait anonyme, s’est persuadé qu’il détenait la partie manquante d’un tableau représentant la maîtresse du peintre, Joanna Hiffernan, dans une variante de la pose de « La femme au perroquet » (1866, Metropolitan Museum of Art). Dans un style digne d’un roman policier, Match aligne une impressionnante liste de preuves: marque du marchand, signature cachée dans l’oreille, trace hypothétique sur une couverture du Hanneton, concordance des pigments ou des trames examinées aux rayons X, et par-dessus tout, la confirmation par Jean-Jacques Fernier, ancien conservateur du musée Courbet d’Ornans et auteur du catalogue raisonné du peintre.

Proposition de reconstitution, illustration par Matthias Petit pour Paris-Match, édition électronique du 7 février 2013.

Dommage que le mouvement du buste, tourné vers la gauche, ou celui du drapé paraissent incompatibles avec la position de la jeune femme du portrait. Dommage que la pose envisagée par le croquis de Match soit d’une niaiserie difficilement conciliable avec le style de Courbet autant qu’avec le réalisme de « L’Origine… ». Rien de grave, le magazine publiera un autre article sur la controverse, qui fera encore une bonne vente.

26 réflexions au sujet de « Le sexe de l'Origine avait-il un visage? »

  1. J’ajouterai que les deux femmes n’ont sans doute pas le même âge, le visage est à mon avis celui d’une trentenaire tandis que le corps est celui d’une femme plus jeune.

  2. Mais le problème est bien posé par le dessin: il ne suffit pas de trouver une tête dont les proportions collent avec le corps, pour justifier l’association des deux images, encore faut-il trouver un sujet susceptible d’être peint. Le perroquet est un peu trop beau pour être vrai, mais puisqu’il faut à tout prix que le bras droit soit levé (sinon on le verrait sur l’Origine…), il faut lui trouver un usage… 😉

    Parmi les incohérences, on notera également que la femme du portrait n’est pas nue, mais habillée… La meilleure preuve que la coïncidence des deux images est problématique est le montage que Match a choisi pour sa couverture, qui associe les deux tableaux dans une mise en scène improbable…

  3. Petite correction : Jean-Jacques Fernier n’est pas (plus) le conservateur du Musée Courbet qui est désormais un Musée géré par le Conseil général du Doubs. C’est Frédérique Thomas-Maurin qui en est la conservatrice et directrice du musée Courbet.
    Jean-Jacques Fernier reste actif au sein de l’Institut Courbet. Il en est le président.

  4. En tout cas ça plait (l’article de Match), je l’ai déjà vu facebooké des dizaines de fois par des gens très divers. Me rappelle l’interview d’un producteur porno qui disait en gros que ce qui intéressait les gens, c’était la tête de la fille.

  5. Exclusif, Paris Match vient également de retrouver le bas du tableau « le cri » de Munch, il s’avère en fait que c’est un homme (probablement allemand) avec des chaussettes dans ses sandales.

  6. Le tableau a toujours été controversé, et ce qui est plus étonnant est le fait que les gens continuent d’offenser avec le célebrissime tableau . Il est peut-être plus un épisode de faux pour donner de bonnes ventes et déclenche les noms oubliés dans le monde de l’art. Merci du Brazil.

  7. Surtout, et d’abord, ça n’est pas la même peinture de peau peinte : pas la même carnation comme on dit. Ensuite on ne reconnaît pas la femme au perroquet. Enfin, il me semble que L’Origine du monde fut commanditée, pourquoi donc réduire, si le format contribue au prix ?

  8. Avec un visage l’Origine du monde n’a plus de sens. Courbet a crée un tableau conceptuel. L’Origine du monde est universel, c’est le sexe féminin qui se suffit à lui même, il est l’image sortie d’un songe de peintre.

  9. L’inclinaison du corps n’est pas la même, le corps du modèle dans « L’Origine du monde » semble plus allongé, tandis que le buste semble légèrement relevé dans le portrait (comme adossé à une chaise ou un fauteuil, la tête penché en arrière), puis il a le fond noir de « L’Origine du monde » qui n’a rien à voir avec le fond lumineux du portrait.

  10. Fin de journée du jeudi, quelques journaux ont rejoint le camp des sceptiques:

    Le Point, « L’Origine du monde » aurait un visage, des experts sceptiques http://www.lepoint.fr/culture/l-origine-du-monde-aurait-un-visage-des-experts-sceptiques-07-02-2013-1625069_3.php

    Le Figaro, Le visage de L’Origine du Monde: «De la foutaise!» http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2013/02/07/03015-20130207ARTFIG00620-le-visage-de-l-origine-du-monde-de-la-foutaise.php

    20minutes: Le visage de «L’Origine du monde» révélé? «Prudence, car cela ressemble à de l’art spectacle pur et simple» http://www.20minutes.fr/article/1096467/visage-l-origine-monde-revele-prudence-car-cela-ressemble-a-art-spectacle-pur-simple

  11. Bonjour,

    Il me semble que la nature du tableau est également pour beaucoup dans cet emballement médiatique. En effet, ce tableau est tellement dérangeant et provocateur que nombreux sont ceux qui seraient rassurés et apaisés si on prouvait que finalement Courbet n’a pas dessiné uniquement un pubis féminin mais un nu complet.

  12. Mais enfin ! Qu’est-ce que vous racontez ? L’origine du monde, mais c’est ma maman, ma maman à moi. Je vous garantis ! Je l’ai regardée, par le trou de la serrure ! M’enfin !

  13. Ce qui suscite l’attention, il me semble, est étranger au tableau lui-même. Ce qui est prosécogénique en l’occurrence, est la notoriété mise en cause, puisque si le tableau avait été incomplet, la notoriété aurait concerné un tableau incomplet, une œuvre de hasard autant que de maître. Voilà qui est très prosécogénique : destituer le métier de ceux qui savent créer un contenu. C’est bien un coup de médiateur, et les média démarrent au quart de tour. On berne tous les lycéens de France en leur enseignant que la peinture de Malévitch ne procède pas du métier, là c’est du même tonneau, mais comme ce n’est pas un carré noir sur fond blanc, on a recourt au système d’une paire de carrés ; qui créent le théâtre nécessaire au convainquant coup de crayon genre manuel vendu en papèterie classé par sujet/technique : nu, paysage, aquarelle…

  14. On se marre ; en regardant le début d’un film relatant l’enquête sur le site de Libération (en lien sur La Tribune de l’art, cf ci-dessus hier à 17h55), très vite défile un bandeau de vignettes montrant des visages de femmes contemporaines (!) avec cette accroche : »Femmes mûres ». Pas de doute, le tableautin découvert date du XIXème siècle.

  15. Le Monde, avec Philippe Dagen, ferme le ban: « L’Origine du monde: le poids des mots, le choc du faux »
    http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/02/08/le-poids-des-mots-le-choc-du-faux_1829215_3246.html

    le Musée d’Orsay s’est enfin prononcé dans un communiqué où l’hypothèse approuvée par Jean-Jacques Fernier est qualifiée de « fantaisiste »:

    « Des hypothèses fantaisistes ont récemment été développés autour de L’Origine du monde de Gustave Courbet conservée au musée d’Orsay. Celui-ci souhaite rappeler certains faits bien connus des historiens de l’art. L’Origine du monde est une composition achevée et en aucun cas le fragment d’un œuvre plus grande. Longtemps entourée de secrets y compris dans ses dispositifs de présentation.

    « Certaines zones d’ombre subsistent dans son historique. Une certitude cependant, confirmée par tous les témoignages du XIXe siècle: le tableau visible chez Khalil-Bey, son premier propriétaire et probable commanditaire, était bien ‘une femme nue sans pieds et sans tête. À cette description de l’œuvre par Gambetta répond celle de Maxime Ducamp qui mentionne en 1878 que Courbet n’avait pas représenté «le cou et la tête» de ce «portait de femme bien difficile à décrire».

    « Les éléments relatifs à la technique de l’œuvre étudiée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France après l’acquisition du tableau par le musée d’Orsay ne révèlent que des données très habituellement observées sur les toiles des peintres de cette époque: la toile et les pigments utilisés ici ont été préparés de façon industrielle. La seule description objective que l’on puisse faire du support original est qu’il s’agit d’une toile assez fine et de tissage simple, dont la trame comporte des irrégularités observables sur la plupart des tableaux de cette époque. L’Origine du monde présente par conséquent des caractéristiques techniques tout à fait communes que l’on retrouve sur des centaines de toiles contemporaines. »

  16. Bravo à Yana pour son commentaire pertinent !! Vraisemblablement « L’Origine du monde » a toujours voyagé sans visage depuis l’atelier de Courbet jusqu’au musée d’Orsay. Toutefois, le message de paix qui s’en dégage, et que Courbet parvient à représenter par l’intermédiaire de ce sexe féminin et de l’importance place qu’il occupe sur la toile, n’a pas fini de faire son chemin.

  17. Ca me fait marrer toute cette agitation autour d’un portrait (très beau du reste) mais avec une tête qui ne peut décidément pas se rattacher au corps… A croire qu’on s’emmerde à ce point pour vouloir nous faire croire n’importe quoi à coup de spectro et de soit-disant scoop. Ma première réaction de dessinateur a été de me dire que ça collait pas, la perspective, direction du buste haut et bas, le mouvement, la morphologie… Il suffit de rester dans le sentiment et l’émotion pour connaitre la vérité. Merci Mr Courbet d’avoir su garder votre secret.

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