Gilles Caron, antidote à l'héroïsme photojournalistique

Qu’est-ce qu’un photojournaliste? La réponse qu’aucun professionnel n’a envie d’entendre, c’est: un producteur d’images. C’est probablement la raison pour laquelle Luc Debraine, journaliste à L’Hebdo et fin connaisseur du genre, termine son compte rendu de l’exposition de Lausanne en jugeant que le photojournalisme est «une évidence occultée par cette exposition».

Montage de l'exposition Gilles Caron, musée de l'Elysée, Lausanne.

Je pense exactement le contraire. Je pense que la rétrospective Gilles Caron (1939-1970) pilotée par Michel Poivert au musée de l’Elysée montre scrupuleusement ce qu’est le photojournalisme. Certes, on n’y reconnaît pas les effets rhétoriques habituels chers à Magnum, l’esbroufe de l’héroïsme ni du best-of grand format. Ce que l’historien d’art a choisi de montrer est une image à la fois plus modeste, plus besogneuse et plus interrogative. Et pour la première fois, plutôt qu’une société censée se reconnaître dans le miroir de ses icônes magnifiées par la cimaise, on voit un photographe au travail. Un tout jeune homme qui apprend encore son métier, hésite et revient sur ses pas. Pour la première fois, on aperçoit Gilles Caron, le photographe, et non la statue patinée par la légende, camouflée par le sourire de Cohn-Bendit et la fuite du manifestant de mai 68.

Un photographe obstiné, qui mord comme un roquet dans le mollet de l’événement, et qui tient bon, sans jamais lâcher, suivant l’action, ponctuant de déclics son entêtement qui est comme une rage. Mais un photographe impuissant aussi, jouet de forces qui le dépassent et qu’il ne maîtrise pas, promeneur un peu lunaire des plus tristes spectacles du monde, pas encore blasé, parfois décontenancé, interdit par la vision d’une misère qu’il a pour mission de capturer.

Algérie, Biafra, Vietnam, Irlande, manifestations, troubles divers… L’exposition n’a pas retenu, autrement que par un clin d’oeil, l’activité plus ordinaire de la photo de célébrités, d’acteurs ou d’hommes politiques. Le choix est d’aller au plus près de la mythologie, pour mieux lui ôter son vernis martial. Les soldats de Caron sont fatigués et sales, et les photoreporters jouent et rigolent pour faire descendre la tension. Il y a quelques belles images, de celles qui ornent les couvertures, mais il y a aussi celles d’avant et celles d’après – plutôt l’exercice du regard que l’idéalisation de l’événement, plutôt l’écriture de l’image que la peinture d’histoire.

On ne ressort pas de cette expo brave et gai, mais plutôt triste et abattu. Les images des désordres du monde d’il y a quarante ans semblent dater d’hier. La photographie n’y a rien changé – au contraire: elle y a accoutumé notre regard. Et le photoreporter n’est pas ce nouveau chevalier des temps modernes, mais un vagabond désorienté à la recherche de ses propres repères. Que cette démonstration puisse déplaire, on le conçoit. Mais il n’est pas moins certain qu’elle fait passer un air neuf dans les décors d’un théâtre épuisé, et leste d’une humanité bienvenue la légende du photojournalisme.

  • Exposition « Gilles Caron, le conflit intérieur », musée de l’Elysée, 18, avenue de l’Elysée, Lausanne (catalogue), jusqu’au 12 mai 2013.

2 réflexions au sujet de « Gilles Caron, antidote à l'héroïsme photojournalistique »

  1. DU VRAI N’IMPORTE QUOI VOTRE COMMENTAIRE…;
    CE N’EST PAS DU THÉÂTRE LE PHOTOJOURNALISME,CE N’EST PAS DE LA COMÉDIE NI DU ROMAN..;
    FRANCHEMENT,ALLEZ ÉCRIRE SUR LES CHÈVRES EN PÂTURAGE,LE SUJET VOUS SERAIT PLUS INSPIRANT ET VOTRE ÉCRITURE PLUS ROMANCÉ…

  2. Arrivez-vous à distinguer entre un objet et l’image d’un objet? Je parle ici, non de photojournalisme, mais d’exposition du photojournalisme, en saluant une manière de le montrer plutôt qu’une autre. Par ailleurs, il arrive effectivement que le photojournalisme soit de la comédie ou du roman, si vous n’avez pas les yeux en face des trous, voici quelques billets pour y remédier: http://culturevisuelle.org/icones/2287 http://culturevisuelle.org/icones/1781 http://culturevisuelle.org/icones/1496 – mais soyez gentil, gardez quand même un oeil sur votre tensiomètre…

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