Sous le signe du Donut

Quelle différence entre le pseudo-lipdub d’Europe Ecologie et celui des Jeunes de l’UMP [1] Le vrai lipdub est traditionnellement réalisé en un seul plan-séquence.? Si on coupe le son, finalement moins qu’il n’y parait. Le premier fait preuve de plus d’imagination dans le choix des situations, et se distingue par un casting particulièrement large. Plus étriqué, le second a une figuration plus marquée par la présence des pipolitiques. Les deux clips se rejoignent dans la reproduction de l’esthétique amateur, le goût du plan fixe et le montage de père tranquille.

Le problème apparaît de façon plus nette lorsqu’on remet la musique. Pour Europe Ecologie, la reprise d’une chanson du groupe militant L’Homme parle, intitulé « La Crise« , apparaît comme un choix des plus appropriés sur le plan des paroles comme du style musical.

On ne peut pas en dire autant de la pénitence discographique de Luc Plamondon, « Tous ceux qui veulent changer le monde » (1976), dont les paroles n’ont simplement aucun sens. Charitablement oubliée pendant trente ans, la chanson a été exhumée en 2006 à la faveur d’une compilation, puis remise en circulation à l’occasion de la dernière édition de la Star Académie québécoise, au printemps dernier. Que ce soit ce coucou qui ait inspiré le slogan des Jeunes Pop pour leur camp d’été de Seignosse, où ont été tournées les images du clip, fournit une indication assez précise sur leur faculté de jugement.

Le concept des UMP-juniors n’avait pas vocation à sortir du cadre militant: « L’idée de la campagne est simple, l’engagement militant des jeunes peut changer le monde: hier militant aux jeunes RPR, Nicolas Sarkozy, président de la République, change le monde à l’ONU, au G20 de Pittsburg et très prochainement à Copenhague ».

Mais les Jeunes Pop ont été trahis par leur goût du chef. A trop vouloir pimenter leur clip d’images de ministres, celui-ci a finalement été perçu comme un message gouvernemental. L’association de l’hymne bêtifiant de Plamondon avec les principaux responsables de la politique française ne pouvait avoir qu’un effet explosif.

La punition n’a pas tardé, sous la forme désormais classique des parodies en ligne, comme la judicieuse « UMP Attacks« , qui met le doigt sur l’étrangeté du clip et transforme sa choré balbutiante en inquiétante manifestation crypto-raélienne (où Christine Lagarde apparaît enfin sous son vrai jour).

Après l’explosion en vol du compte Facebook de Nicolas Princen, maladroitement dissimulé sous le pseudonyme de Sarkozy, ou les tentatives désespérées de quelques ingénus de venir se frotter à Twitter, ce nouveau pas de clerc, « dégoulinant de bêtise« , selon Luc Ferry, paraît confirmer la malédiction qui affecte le parti présidentiel lorsque celui-ci tente de se saisir des nouveaux outils de communication.

Ces échecs répétés ne paraitront étranges qu’à ceux qui ignorent que les effets de mode sont des outils d’établissement de nouveaux équilibres culturels, au maniement subtil et délicat. Singer une nouvelle coutume n’a pas pour effet de délivrer un certificat d’avant-gardisme d’un coup de baguette magique. Bien au contraire: il suffit qu’un parti traditionnel mette ses pieds dans les bottes du lipdub pour qu’immédiatement cette forme se périme et perde tout attrait pour ceux qui font la tendance.

Pour réaliser un bon lipbdub, le premier ingrédient est une chanson adaptée au contexte, le second une bonne dose d’humour, le troisième un minimum de crédibilité en matière culturelle. Dépourvue de l’un quelconque de ces atouts, l’UMP aura beau s’époumoner, elle ne fera que rejoindre le site de Ségolène Royal au cimetière des ridicules numériques.

Notes

Notes
1 Le vrai lipdub est traditionnellement réalisé en un seul plan-séquence.

6 réflexions au sujet de « Sous le signe du Donut »

  1. Il serait intéressant d’étudier le lipdub dans son rapport à l’espace filmé en plan séquence, comme l’éventuelle transposition (ou mise à distance) de l’open-space des start-up où il s’enracine, en une durée continue (open-time) mais séquencée par des apparitions dans le champ et des ouvertures de portes… Le lipdub remet de l’individuel dans le collectif par l’effet de nomination du cadrage… Il semble nommer les collègues un par un…
    Les jeunes UMP n’ont pas compris que le travail du lipdub est d’unifier dans une « coupe » transversale, ils ont au contraire multiplié les cases et les lieux sur l’écran, morceaux de corps au début, train en continu et Seignosse dans la marge, fugurant ainsi la fragmentation à l’oeuvre dans la politique qu’ils chantent… La sauce ne prend pas…

    Ils montent en Seconde classe et voyagent en Première, mettent des ballons sous des t-shirts pour signifier une grossesse, se déguisent en ouvrier avec bleu et marteau, portent des t-shirts « fier d’être socialiste » sous les t-shirts UMP, arborent des roses… essaient de faire passer un message, « nous sommes les nouveaux socialistes qui allons changer le monde »… alors que le lipdub est généralement vécu comme une hallucination subjective, une effusion festive, un délire collectif venu d’en bas… et pas comme un film institutionnel…
    Quand le pouvoir veut se faire subversif, il y a forcément un problème…

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