L'image qui rétrécit, leçon de narratologie visuelle

Soit deux lancements de campagne impliquant deux responsables politiques concurrents: la désignation de François Hollande comme candidat du parti socialiste, le 17 octobre 2011; le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon le 1er décembre 2011.

On peut observer que la traduction médiatique de ces événements dans des organes de sensibilité politique opposées (Le Figaro/Libération) donne lieu à un traitement inverse et symétrique. Alors que Libération consacre toute sa Une à la désignation de François Hollande, Le Figaro ne lui accorde qu’un sixième de page (et bien moins encore à la vignette photographique). Une proportion qui s’inverse pour le traitement du discours de Toulon, où Libération utilise une caricature de petit format du président-candidat, alors que Le Figaro donne toute la largeur de sa Une au portrait de l’orateur.

La perception de ces effets d’échelle est bien sûr relative aux usages de chaque journal et à diverses indications éditoriales. A la différence de Libération, qui s’inspire depuis 1981 pour sa première page du modèle de la couverture de magazine, Le Figaro reste fidèle aux principes d’élaboration classiques de Une d’un quotidien. Si une photo ne pourra jamais occuper dans le second un espace aussi important que dans le premier, le lecteur n’en perçoit pas moins la différence relative d’occupation spatiale, et comprend qu’au sein du système tabulaire qui organise la Une du Figaro, une image de la taille du portrait de Sarkozy indique une information de premier plan.

A l’inverse, le traitement du discours de Toulon dans le n° du 2 décembre de Libération fait apparaître un contraste entre la caricature du président et la photographie du chanteur Laurent Voulzy, qui occupe un espace proportionnellement beaucoup plus important, suggérant une mise au second plan de l’information politique. De même, le n° du Figaro du 18 octobre place à côté du portrait de Hollande une photographie plus grande d’un événement sportif. Cet effet de minimisation est une conséquence mécanique de la réduction visuelle de l’information, qui cède nécessairement la première place à un autre événement du jour.

On notera que dans ces deux cas, la taille de caractère des titres situe clairement ces événements au premier niveau hiérarchique de la page. Pourtant, l’effet d’échelle qui affecte l’image est le facteur qui fournit l’indication la plus lisible sur l’importance accordée à l’information. Cette gestion de l’occupation spatiale, indépendamment du contenu de l’image, est une des composantes les plus courantes et les moins observées de l’éditorialisation visuelle.

3 réflexions au sujet de « L'image qui rétrécit, leçon de narratologie visuelle »

  1. Intéressant angle d’analyse. Une sorte de non-dit explicite. Une piste à creuser avec quelques complément d’analyse. Je ne suis par exemple pas certain que le poids relatif des images sur la une soit géré de la même façon que dans les autres pages.
    De même, l’espace de l’image est peut être aussi dicté par des facteur intrinsèques (complexité, contraste de couleur, etc. on attend quelque chose sur un corpus un peu plus conséquent.

  2. @J.-D. Zeller: Vous avez raison, la Une représente un espace à part, qui associe plusieurs fonctions, de mise en exergue, d’annonce et de promotion de certaines informations sélectionnées. Mais ces particularités ne font que renforcer à cet endroit la logique de la hiérarchisation de l’information par l’échelle, dont j’ai résumé le principe dans un autre billet.

    Ce billet est un simple relevé, à propos d’un cas qui m’a paru intéressant, par la symétrie du traitement en vertu de la coloration politique. Il y en aura d’autres: c’est ma manière de travailler sur ce blog (pour des approches plus complètes, voir de préférence en librairie 😉

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