Rien contre les illustrés

Berliner Illustrirte Zeitung, 1925, Bd 34, n° 44, 31/10, p. 1448.

A l’occasion du centenaire de sa mort, Friedrich Burschell rend un vibrant hommage au poète Jean-Paul dans le n° 7 de la Literarische Welt [1]Texte manuscrit rédigé fin 1925, probablement destiné à la Literarische Welt. Traduction française inédite d’après la version des Gesammelte Schriften (M Niederschrift, Benjamin-Archiv, … Continue reading. Et dénonce au passage ce qui lui apparaît comme une profanation de l’homme et de sa mémoire. Il vise le Berliner Illustrirte Zeitung. Dans le numéro en question, «alors que la photo de Une, en grand format, met à l’honneur la jeunesse, avec trois enfants d’écrivains, dont le fils de Thomas Mann, lui-même déjà auteur, ce n’est qu’en dernière page, recroquevillé dans un petit coin, qu’on trouve le portrait de Jean Paul, lui-même confronté au héros petit-bourgeois d’un obscur procès, à deux putains en grand appareil, avec plumes et fourrures, sans oublier deux chats et un singe –et non pas, comme on aurait pu le penser, en compagnie des créatures pour lesquelles le poète entretenait la plus touchante tendresse, comme les écureuils, les chiens, les oiseaux chanteurs ou les papillons.» Ce qui ne serait venu à l’esprit de personne – pour ne rien dire de la question de savoir si, face à la camera obscura, putains, chats et singe n’apparaîtraient pas justement plus touchants que des papillons ou des oiseaux chanteurs.

A quoi bon tout cela? N’a-t-on pas conscience que, dans les conditions actuelles du journalisme démocratique, il n’existe rien de mieux sur le continent ouest-européen que le Berliner Illustrirte? Qu’il n’est justement si « intéressant » que par l’exactitude inégalée avec laquelle il concentre, comme un miroir grossissant, l’attention distraite des employés de banque, des secrétaires et des modistes? Ce caractère documentaire est sa force en même temps que sa légitimation. Un grand portrait de Jean-Paul en Une du journal, quoi de plus ennuyeux? Ce qui est justement « intéressant », c’est que le portrait soit petit. Montrer les choses dans l’aura de leur actualité a beaucoup plus de valeur, est beaucoup plus fécond, même de façon indirecte, que d’asséner une idée finalement très petite-bourgeoise de l’éducation populaire. Si l’ombre fraîche de l’actualité de ces pages illustrées ne provenait pas à 100% de la spéculation sur les instincts les plus bas, comme dans le gros des publications bon marché, mais était due à 50% au soin technique, elle devrait avoir gagné le droit d’être observée avec une bienveillante neutralité par l’homme de lettres auquel nul – grands dieux! – n’a demandé d’y contribuer.

Traduit de l’allemand par André Gunthert

Notes

Notes
1 Texte manuscrit rédigé fin 1925, probablement destiné à la Literarische Welt. Traduction française inédite d’après la version des Gesammelte Schriften (M Niederschrift, Benjamin-Archiv, Ms 1304, « Nichts gegen die Illustrierte », t. IV, vol. 1,2, p. 448-449, Francfort/Main, Suhrkamp).

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