Le signe de la pensée

On peut s’appeler Sébastien Fontenelle et n’en être pas moins sensible à la contrefaçon. Accueillant avec ironie la Une du dernier numéro d’Alternatives économiques, composée de portraits encadrés sur fond blanc,  Sébastien la rapproche de la couverture des Editocrates, en laissant entendre que le magazine a puisé son inspiration dans le réjouissant pamphlet qu’il a co-écrit avec Mona Chollet, Olivier Cyran et Mathias Reymond.

Je laisse de côté le débat classique en histoire de l’art des sources et des influences (non sans noter toutefois que l’interprétation du motif de la galerie des ancêtres par AE, avec sa légère ombre portée et ses noms propres disposés dans des cartouches, est plus réussie que celle des éditions Press Pocket).

Ce que le rapprochement des couvertures manifeste, c’est une légère différence de posture entre les deux catégories de modèles. Alors que les capitaines d’industrie affichent la sereine frontalité (le cas échéant soulignée par des bras croisés) de ceux qui affrontent les tempêtes sans sourciller, la majorité des éditorialistes (6 sur 9) se caractérise par un appui ou un geste de la main, poncif qui s’interprète dans le portrait classique comme la connotation de l’activité intellectuelle, typique des écrivains, des savants ou des peintres (cliquer pour agrandir).

A l’orée du XXIe siècle, les vielles conventions du portrait peint n’ont pas disparu. Elles perpétuent les distinctions de classe, d’activité ou de statut que nous savons reconnaître d’un seul coup d’œil. Ce qui donne une solide raison pour les encadrer de bois doré.

Effet d'entraînement (notes médiatiques)

Depuis trente ans, chaque mois, l’excellente revue médicale Prescrire publie des articles détaillés qui dénoncent l’inefficacité ou démontrent la nocivité de tel ou tel médicament. Hier, pour la première fois, tous les grands médias français ont repris et abondamment cité la dépêche AFP listant les spécialités douteuses pointées du doigt par la revue. Cette attention inédite est évidemment liée au scandale du Médiator et montre un des mécanismes typiques de la construction de l’information. Un nouveau schéma interprétatif s’est construit en l’espace de quelques semaines, avec d’abord l’attestation que la remise en cause d’un médicament dangereux pouvait constituer un sujet grand public. De nombreux spécialistes sont intervenus pour montrer les limites du système d’évaluation ou le rôle des laboratoires. La plupart ont cité en exemple la revue Prescrire, seul organe effectivement indépendant, et loué son travail critique. Muni de ces clefs d’interprétation, les journalistes peuvent maintenant engager la phase deux: l’identification et la dénonciation du prochain Médiator, et la transformation de ce sujet inédit en marronnier récurrent.