Au milieu du XIXe siècle, le poète Charles Baudelaire dénonçait en public le narcissisme photographique de ses contemporains – et demandait en privé à sa mère d’aller se faire tirer le portrait 1)«La société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces nouveaux adorateurs du soleil. D’étranges abominations se produisirent. En associant et en groupant des drôles et des drôlesses, attifés comme les bouchers et les blanchisseuses dans le carnaval, en priant ces héros de bien vouloir continuer, pour le temps nécessaire à l’opération, leur grimace de circonstance, on se flatta de rendre les scènes, tragiques ou gracieuses, de l’histoire ancienne. Quelque écrivain démocrate a dû voir là le moyen, à bon marché, de répandre dans le peuple le goût de l’histoire et de la peinture, commettant ainsi un double sacrilège et insultant ainsi la divine peinture et l’art sublime du comédien», Charles Baudelaire, “Le public moderne et la photographie“, Salon de 1859, édition critique par Paul-Louis Roubert, Etudes photographiques, n° 6, mai 1999.. La France du XXIe siècle vit une contradiction semblable. Le discours officiel véhiculé par les représentants du régime conservateur ou par les chaînes de télévision publiques recommande d’éviter les réseaux sociaux, et qualifie volontiers le web de repaire pour «les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs 3)André Gunthert, “Pourquoi la télé diabolise Facebook“, Actualités de la recherche en histoire visuelle, 15 décembre 2008.». Pendant ce temps, les Français téléchargent chaque mois 130 millions de photos sur Facebook, l’équivalent de dix fois le nombre d’images du département de la photographie de la BNF 2)Source: Damien Vincent, directeur commercial France de Facebook, table ronde Kodak, “L’émergence des familles numériques…”, 29 janvier 2010, Eurosites Liège, Paris..
Notes
1. | ↑ | «La société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces nouveaux adorateurs du soleil. D’étranges abominations se produisirent. En associant et en groupant des drôles et des drôlesses, attifés comme les bouchers et les blanchisseuses dans le carnaval, en priant ces héros de bien vouloir continuer, pour le temps nécessaire à l’opération, leur grimace de circonstance, on se flatta de rendre les scènes, tragiques ou gracieuses, de l’histoire ancienne. Quelque écrivain démocrate a dû voir là le moyen, à bon marché, de répandre dans le peuple le goût de l’histoire et de la peinture, commettant ainsi un double sacrilège et insultant ainsi la divine peinture et l’art sublime du comédien», Charles Baudelaire, “Le public moderne et la photographie“, Salon de 1859, édition critique par Paul-Louis Roubert, Etudes photographiques, n° 6, mai 1999. |
2. | ↑ | Source: Damien Vincent, directeur commercial France de Facebook, table ronde Kodak, “L’émergence des familles numériques…”, 29 janvier 2010, Eurosites Liège, Paris. |
3. | ↑ | André Gunthert, “Pourquoi la télé diabolise Facebook“, Actualités de la recherche en histoire visuelle, 15 décembre 2008. |