Les étudiants mentionnent désormais couramment les sources ou les études accessibles en ligne dans leurs travaux, dissertations ou mémoires. Je suis cependant frappé par la grande disparité de ces citations – qui peuvent aller, dans leur version la plus sommaire, du simple copier-coller de l’URL (adresse en ligne) jusqu’à des accumulations d’informations redondantes qui traduisent plus l’angoisse qu’une véritable maîtrise de ces ressources. Doit-on y voir la lenteur de l’adaptation des cours de méthodologie au nouvel environnement numérique? Une chose est sûre: l’absence d’uniformité de ces mentions trahit une grande incertitude sur la nature des contenus en ligne. Pour tenter d’y remédier, on peut formuler deux principes simples.
1. Une ressource en ligne est une publication. Le droit assimile tout contenu diffusé sur le web à une publication et le soumet aux mêmes règles que celles qui régissent la presse et l’édition. Il n’y a donc aucune raison de le traiter différemment d’un texte sur papier. Dans le cas d’une publication classique, l’élaboration d’une référence passe par l’identification de son auteur, du titre et du caractère de la publication (livre ou article), de sa date de publication et le cas échéant des numéros de page concernés. On peut généralement appliquer les mêmes principes à la citation d’une ressource en ligne (quitte à recourir aux solutions traditionnelles pour pallier l’absence de tel ou tel élément: « anon. » = auteur non identifié, « s.d. » = sans date spécifiée, etc.).
2. La webographie fait partie de la bibliographie. On a pu voir il y a quelques années des listes séparant la bibliographie sur papier des ressources web. La mixité des sources et l’existence de ressources scientifiques en ligne rend cette méthode caduque. Aujourd’hui, une bibliographie complète comprend nécessairement la mention d’articles ou d’outils documentaires sur internet, qui voisinent avec des éditions classiques. Il convient donc d’homogénéiser autant que possible les différents types de références, de façon à en permettre la cohabitation.
En application de ces principes, la citation du présent billet prendra par exemple la forme suivante:
- André Gunthert, « Comment citer les publications en ligne », L’Atelier des icônes, 31 mai 2010 (http://culturevisuelle.org/icones/786).
On constate dans ce cas que la mention dudit billet comprend tous les éléments classiques permettant sa référentialisation (auteur, titre d’article, titre de publication, date de publication). Seule la pagination est remplacée par la localisation électronique, ou URL, que je conseille d’isoler entre parenthèses, pour éviter toute confusion avec la ponctuation adjacente.
Il est utile d’apprendre à différencier l’adresse générique d’un site (http://culturevisuelle.org) de celle d’un article (http://culturevisuelle.org/icones/786). On peut facilement tester la localisation de la ressource en reproduisant l’adresse par copier-coller dans le navigateur. Rien n’est plus frustrant qu’une URL mal recopiée: une bonne habitude à prendre est d’en vérifier systématiquement la validité une fois la référence complétée.
Dans le cas de revues en ligne fournissant la numérotation des paragraphes, comme c’est le cas sur Revues.org, on n’omettra pas d’ajouter cette précision (par exemple: « §12 » pour « paragraphe n° 12 »). Etant donné que tout travail universitaire est désormais susceptible d’être diffusé en ligne à plus ou moins brève échéance, on présentera dès le manuscrit la mention de l’adresse électronique sous la forme d’un lien cliquable.
La longueur de certaines URL peut représenter un écueil dans une citation rédigée. Pour contourner cet obstacle, quelques auteurs ont pris le parti d’utiliser les raccourcis fournis par des services comme TinyURL ou bit.ly. Ce système n’est pourtant guère satisfaisant sur un plan scientifique, car il masque l’architecture originale des adresses, qui apporte des informations sur la nature de la source. En outre, la question de la pérennité de la redirection introduit une variable supplémentaire, qui peut poser problème à moyen terme. Pour les allergiques à l’identification électronique, il est préférable de prévoir une table de correspondance des références, qui permet de rejeter ces indications en fin de volume.
La citation des contenus en ligne peut également confronter à des difficultés spécifiques, qui relèvent pour l’essentiel de deux cas de figure: les publications non pérennes et les publications multiples.
Les publications non pérennes. Etant donné la diversité des usages et l’incertitude initiale sur la pérennité des contenus, il était autrefois conseillé de faire suivre la citation d’un article en ligne de la date de sa consultation (sous la forme: « consulté le… »). L’extension de pratiques respectueuses de la citabilité, assurant notamment la permanence de l’adresse, tout comme le transfert progressif des publications scientifiques de l’univers papier vers internet ont rendu cette précision superflue dans la plupart des cas. Celle-ci n’est utile que lorsqu’on mobilise des publications non pérennes: portails d’information, sites personnels, plates-formes de partage ou réseaux sociaux. En réalité, c’est une logique différente qui doit être appliquée ici. Dès lors qu’on quitte l’univers des publications durables, le traitement approprié est de considérer le contenu comme une archive – ce qui suppose par exemple d’en conserver systématiquement une copie, de façon à pouvoir justifier la référence ou reproduire le document en annexe en cas de dépublication. Parmi les outils d’archivage appropriés pour la recherche, on peut citer Mendeley, WebCite ou Zotero.
Les publications multiples. Internet favorise la répétition. Face à un contenu quel qu’il soit, il convient de vérifier qu’il s’agit bien de la version originale et non d’une copie – qui renvoie le plus souvent vers sa source. En cas de doute, une recherche sur un membre de phrase peut permettre de confronter différentes versions d’une publication.
Le web donne également la possibilité aux chercheurs de rediffuser le contenu de leurs articles sur des sites d’archives ou encore sous la forme de prépublication, ou preprint. Ces deux formes particulières sont citables, sous certaines conditions. Un article papier rediffusé en pdf sur une archive telle JStor propose une copie exacte de l’édition originale. Dans ce cas, il est préférable de limiter la référence à la version papier. La mention de l’archive est superflue – ce serait comme si on citait la bibliothèque où l’on a consulté un ouvrage. En revanche, cette mention est utile dans le cas d’une thèse ou de tout autre document non publié, qui n’est accessible que sur un site de labo ou sur Hal-SHS.
Pour les preprint (ou mise en ligne de la version non corrigée d’un article soumis pour publication), ceux-ci ne sont citables que si la consultation est antérieure à la parution de l’édition de référence. Dans ce cas, la mention doit obligatoirement préciser le caractère provisoire de l’édition, par exemple:
- André Gunthert, « Spectres de la photographie. Arago et la divulgation du daguerréotype », Actualités de la recherche en histoire visuelle, 20 avril 2009 (http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/04/20/974), preprint, à paraître in Les Arago, acteurs de leur temps (actes coll.), Perpignan, Archives départementales des Pyrénées-orientales, 2010.
Reste le cas des articles ou des ouvrages publiés simultanément sur papier et sur internet. Quand une version en ligne existe, il est utile d’en ajouter la mention après la référence papier, sans toutefois redoubler les précisions d’édition. On peut présenter ces contributions de la façon suivante:
- Irène Jonas, « Portrait de famille au naturel. Les mutations de la photographie familiale », Etudes photographiques, n° 22, octobre 2008, p. 38-55 (en ligne: http://etudesphotographiques.revues.org/index1002.html).
Billet initialement publié sur Actualités de la recherche en histoire visuelle (version revue).
5 réflexions au sujet de « Comment citer les publications en ligne »
Merci pour ce très bon billet. Un élément qui me semble important est la mention de la date à laquelle la publication a été consultée : les pages web changent en effet de contenu (par exemple les fautes d’orthographes sont corrigées) plus vite que l’imprimé. Je recommanderais en général de faire une impression pdf de toute page qui est amenée à être citée (cela m’a été très utile dans la rédaction de ma thèse ; et lors de sa soutenance, quand des désaccords apparaissaient avec les examinateurs).
Une petite question: comment faire quand on cite un site à solution payante, et que le nom de la personne ou de l’institution abonnée à ce site apparaît dans l’url? Un exemple: j’accède à l’encyclopédie Universalis par le biais du serveur du SCD de ma fac, cela donne:
http://0-www.universalis-edu.com.portail.scd.univ-tours.fr/encyclopedie/livre/#23
L’adresse sera tout à fait inutilisable pour mon lecteur dans la mesure où il n’aura pas nécessairement accès aux services du SCD de l’université de Tours… comment citer l’article « Livre » dans l’encyclopédie Universalis en ligne, dans ce cas?
Merci de votre réponse, si vous en avez une. Et merci de ce billet, qui est en effet le bienvenu.
@Fièvre: Question intéressante. Dans le cas de l’accès protégé, on peut distinguer entre accessibilité et vérifiabilité. On peut considérer qu’une URL, même non directement accessible, garde un caractère d’information sur la source. Son indication prouve que son auteur peut la soumettre à un test de vérifiabilité. Il me paraît donc utile d’en faire mention, mais en évitant de présenter l’URL sous forme de lien cliquable, et en ajoutant à la référence la précision du caractère fermé du site (par exemple sous la forme: « accès réservé »).
Cela posé, une autre problématique est celle de l’usage d’outils comme les dictionnaires ou les encyclopédies, qu’ils soient ou non en ligne. Le caractère de généralité de ces ressources fait qu’elles sont rarement mobilisées au titre de références dans le cadre d’une recherche approfondie (mémoire de master ou de doctorat). Nous parlons donc ici plutôt de la documentation d’un travail écrit ponctuel. Dans ce contexte (sauf cas d’une étude précise du texte de ces ouvrages), il n’est pas d’usage d’appliquer à ces outils la description détaillée requise pour d’autres publications. Pour l’Universalis, dans la mesure où cette ressource est consultable sur papier ou en ligne, une référence se bornant au titre d’article et à l’année d’édition ne me paraît pas choquante. A l’inverse, pour Wikipedia, puisque le texte est toujours susceptible d’être modifié, la précision de la date de consultation est impérative.
Merci pour ces précisions, l’essentiel est en effet de donner la référence de manière à montrer qu’on ne parle pas de nulle part, quitte à préciser que l’accès n’est pas libre.
Concernant l’utilisation des encyclopédies et dictionnaires, je ne vois en revanche pas comment on pourrait se passer d’une référence relativement complète sachant que, notamment dans l’Universalis, les articles sont signés et engagent donc des individualités marquées: il est dès lors possible de discuter de la pertinence de leurs écrits, et un référencement précis est donc plus pertinent. Mais la forme « dictionnaire » permet en effet je pense d’éviter de citer la page (dans une publi papier), sans doute moins de se passer du numéro de paragraphe dans le cas de longs articles en ligne.
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