Ne m'appelez plus droit d'auteur (la preuve par Ken Loach)

Le réalisateur Ken Loach annonçait hier son intention de rendre accessible 16 de ses longs métrages en VO sur son propre canal YouTube. Las, dès cet après-midi, après la mise en ligne de 6 de ses films [1]Poor Cow (Pas de larmes pour Joy, 1967); Kes (1969); Hidden Agenda (Secret Défense, 1990); Riff-Raff (1990); Cathy Come Home (1996); The Navigators (2001); Ae Fond Kiss (Just a Kiss, 2004)., le public français pouvait voir s’afficher sur l’écran l’avertissement: « Cette vidéo inclut du contenu de Journeyman Pictures, qui l’a bloqué dans votre pays pour des raisons de droits d’auteur » (voir ci-dessus).

Je l’écrivais ici-même: il serait plus juste d’appeler « droit du distributeur » le défunt droit d’auteur. Quelle meilleure preuve de cette confiscation que la réaction ultra-rapide du principal distributeur de films documentaires, qui n’a pas fait dans le sentiment – le tiroir-caisse d’abord! Un exemple démontrant de façon aussi éclatante quels sont les intérêts en jeu – et qui détient le pouvoir de diffusion – aurait été bien utile, par exemple lors de la discussion de la loi Hadopi. Difficile de continuer à prétendre que le rempart de la propriété intellectuelle a pour but de protéger l’auteur ou la culture. Dépossédé de son oeuvre au profit des seuls intérêts économiques de son diffuseur, celui-ci n’a même pas la ressource d’utiliser les outils en ligne pour en faire profiter le public. Le droit moral est mort, vive le droit immoral!

Notes

Notes
1 Poor Cow (Pas de larmes pour Joy, 1967); Kes (1969); Hidden Agenda (Secret Défense, 1990); Riff-Raff (1990); Cathy Come Home (1996); The Navigators (2001); Ae Fond Kiss (Just a Kiss, 2004).

31 réflexions au sujet de « Ne m'appelez plus droit d'auteur (la preuve par Ken Loach) »

  1. Bien vu ! Ce droit qui protège l’auteur au détriment de son vœu… Ce n’est pas le premier cas (qu’on pense à tous les musiciens qui ont découvert que leurs propres œuvres étaient censurées sur Blogger), mais avec un cinéaste aussi prestigieux et dont on dit qu’il fait du cinéma « d’auteur », c’est plus comique encore.

  2. L’auteur de cet article ne semble pas bien connaître son sujet.
    Il faut distinguer dans les grandes lignes le droit d’auteur des pays latins -qui protègent les créateurs-, du copyright des pays anglo-saxons -qui protègent les investisseurs-.
    Dans le droit d’auteur tout ce qui n’est pas précisé dans un contrat appartient à l’auteur, dans le copyright c’est celui qui a financé le projet qui décide de son mode d’utilisation. Ken Loach a donc certainement outrepassé ses droits.

  3. @Prik: Votre vision étroitement juridique du problème vous fait passer à côté de ce qu’exprime de billet.

    Le pseudo-droit « d’auteur » ne se manifeste qu’au moment où il est cédé. Il s’agit donc à proprement parler d’un droit d’éditeur, qui est son véritable détenteur, et en pratique le seul à pouvoir le mobiliser. Même le plus fervent des avocats du droit d’auteur devrait pouvoir admettre ce constat, dont nous pouvons observer chaque jour les effets.

  4. @Michel Prik : cette distinction entre « droit d’auteur » et « copyright » est un cliché que l’on adore brandir mais qui n’est pas spécialement fondé dans les faits à mon sens, ne serait-ce que parce que le droit dit « d’auteur », plus que tout autre, s’est mondialisé et que l’on a tout loisir de comparer les effets de la loi.
    En fait, depuis vingt ans, en l’absence de dépôt de copyright, le « droit d’auteur » échoit à l’auteur, il n’y a donc pas grande différence si ce n’est que le droit « latin » ou en tout cas français donne beaucoup de droits moraux à l’auteur, mais pas beaucoup d’argent, comme on a pu le comprendre récemment en entendant Antoine Gallimard se féliciter de ce que les auteurs étaient suffisamment affamés de prestige pour ne pas avoir besoin d’être payés en une autre monnaie.
    Pour moi la grande différence entre les droits anglo-saxon et latin, c’est que les premiers ont pensé à donner un droit au public, avec le principe du « fair-use », qui pour le coup n’a pas d’équivalent véritable ici.

  5. L’auteur de cet article connait très mal son sujet. Le droit s’applique sur le territoire d’émission. Ce qui vient des pays anglo-saxons est redevable du Copyright, ce qui vient des pays dits « latins » est redevable du droit d’auteur. Ce qui vient de certains pays asiatiques n’est redevable que du droit des marques.

    Ne pas croire qu’on peut tricher facilement sur l’Internet et s’affranchir de tout, en fait on ne s’affranchit de rien. Un français qui gère depuis Paris un site web hébergé « off shore » est redevable du droit français et il faudra qu’il s’expatrie physiquement -avec les avantages mais aussi les inconvénients- pour dépendre éventuellement d’un autre droit.

  6. Je rejoins Prik.

    Tout d’abord, concernant le « droit moral » brandit pour défendre l’action de Ken Loach. Pour rappelle les droits moraux d’un auteur sont :
    – droit de divulgation = rendre l’oeuvre publique
    – droit de paternité = toujours donné l’auteur d’une oeuvre
    – droit au respect de l’oeuvre = ne pas en faire un usage déplacé
    – droit de repentir = pouvoir retirer l’oeuvre de la circulation

    Ken Loach n’a dans le cas présent fait appel à aucun de ses droits, invoquer les droits moraux est totalement hors contexte.

    Ken Loach a du signer avec son producteur et/ou sa maison de distribution un contrat donnant à celles-ci toute l’attitude pour commercialiser l’oeuvre, et donc donner des droits à d’autres entreprises de distribuer ses oeuvres localement.

    Là, Ken Loach a, unilatéralement, décidé de diffuser ses oeuvres gratuitement. Contractuellement, ma main à couper qu’il a cédé l’exploitation de ses oeuvres aux deux sociétés sus-nommées.

    Donc là, « le problème » est qu’un auteur qui se fait financer et signe un contrat ne le respecte pas et que le distributeur fait valoir son droit. Je ne vois pas de problèmes. Si l’auteur veut jouir pleinement et sans contraintes de ses droits il ne signe pas de contrats.

    Au passage, pour Jean-No, le Fair-Use est prévu en France et est bien mieux cadré qu’aux US. Il suffit de lire les exceptions au droit d’auteur dans le CPI. C’est un cliché qu’il faudrait cesser de brandir à tout va 🙂

  7. Et le principal problème ne serait-t il pas l’obligation légale pour un auteur de céder ses droits d’auteur pour pouvoir envisager de réaliser une production cinématographique?? Aucune production n’est lancée sans ces fameux droits d’auteur que l’auteur cède généralement à l’infini dans le temps et aujourd’hui aussi dans les modes, mais j’y reviens. Avant même le début de réalisation, l’auteur a perdu ses droits puisqu’ils sont déjà dans d’autres mains, et ce, même en France malgré tout ce que l’on dit que l’auteur et réalisateur a toujours le choix final artistique… il l’a, certes, mais ses droits d’auteur ne sont plus à lui!!
    De plus dans le cas de Ken Loach, la clause qui précise aujourd’hui la possibilité « d’exploitation du film et de tout ou partie de ses éléments dans le monde entier, en tous formats, en toutes langues sous tous titres, par tous modes, moyens, PROCEDES CONNUS OU A DECOUVRIR…. » n’existait probablement pas…
    C’est à dire qu’à une époque, il a cédé tous les droits avec peut être précision que qd il y aurait diffusion télévisée ou cinématographique, il toucherait un pourcentage. On avait pas vu internet venir… Aujourd’hui TOUS les contrats se couvrent en précisant justement cette possibilité d’invention d’un nouveau média.

    Aujourd’hui le Vod n’est pas anodin, cela rapporte, car fonctionne très bien et ce malgré le téléchargement illégal possible ailleurs.
    Les sites les plus parlants pour moi sont ces sites de films « d’art et essai » (et oui même les très cinéphiles regardent aussi leur film sur ordinateur)
    http://www.theauteurs.com/
    http://www.universcine.com/

    ou ceux qui aujourd’hui diffusent des films de patrimoine (des classiques ou des vieux films)
    http://www.carlottavod.com/

    les auteurs ne sont plus ce qu’ils étaient…

  8. je crois plutôt que le grand connaisseur michel prick ne veut pas entendre les mots porteurs de leur concept… et je relève que, si confusion il y a, elle vient bel et bien du monde anglo-saxon pour qui TOUT se ramène en droit du commerce ET A RIEN D’AUTRE. Je relève de plus que ce même connaisseur condamne d’abus Ken Loach, au prétexte qu’il n’a pas financé ses oeuvres, mais jusqu’à preuve du contraire le distributeur non plus, qui est, en matière de cinéma, rarement producteur ( au sens de financier ). Et c’est donc ce distributeur qui aurait la loi pour lui ? il est alors grand temps de revenir à … Beaumarchais.

  9. @Prik: Le ton d’autorité et le type de raisonnement qui sont les vôtres ne fait qu’apporter de l’eau à mon moulin. Si je vous comprends bien, vous considérez comme parfaitement justifié que le droit du distributeur s’impose au créateur. Or le droit, faut-il vous le rappeler, n’est pas qu’un recueil de règles intangibles qui s’applique de façon aveugle, mais la codification des usages et des principes choisis par le peuple, à travers ses représentants. Je ne suis pas le seul à avoir le sentiment, nourri par toutes les affaires récentes à propos d’internet, que le droit a été détourné de ses fins. Le cas Ken Loach en apporte une démonstration exemplaire. Quelle que soit l’argutie juridique sur laquelle s’appuie le retrait des films, vous n’arriverez à convaincre personne de son caractère légitime au regard du sens commun. Expliquer qu’une licence d’exploitation locale, qui ne s’applique par définition que dans un cadre économique, peut valablement contrecarrer la volonté de l’auteur dans un contexte de diffusion non-commercial est peut-être efficace à la barre d’un tribunal, mais laissera le citoyen au mieux dubitatif – au pire convaincu que l’appareil juridique n’est que le bras armé du marché.

  10. Bonjour,

    Je travaille pour un distributeur de cinéma, indépendant, qui achète les droits patrimoniaux des auteurs pour un territoire donné. Cette notion perd son sens mais doit encore se défendre.

    Je comprends bien votre point de vue fondé sur « le sens commun ». Mais je comprends mieux les arguties juridiques que de telles initiatives provoquent.

    Si l’on remet en cause le droit des distributeurs à maitriser la sortie d’un film sur différents supports et à se rémunérer sur les ventes – c’est toute la profitabilité du film que vous mettez en cause : la vente des droits du film participe pour une part importante à son financement. C’est donc la faisabilité d’une oeuvre ex ante que ce raisonnement pieux du « droit d’auteur » met en jeu.

    Je déplore la réalité du marché, qui ne favorise absolument pas les sorties des petits films. Je réalise les atouts que les réseaux sociaux et les plateformes de partage représentent.

    Mais en l’état, Loach a agi seul, sans concertation avec ses partenaires, solidaires dans la défense de ses films, et il fragilise un pan entier de la distribution, qui ne vit et travaille que pour la visibilité d’oeuvres riches et personnelles. L’oeuvre reste disponible au public et son caractère payant (2 euros pour la VOD)rend possible sa visibilité. Loach détient une part de ses droits patrimoniaux, et il fait ce qu’il veut dans le territoire dont il est l’ayant droit.

    Je suis certain que le bon sens peut intégrer une réalité économique et juridique brutale et comprendre que le « droit moral » est un principe diffus, qui ne doit pas tout justifier, mais défendre l’intégrité de l’oeuvre en dernier recours.

    Bien à vous.

  11. @Ned: Merci pour ce point de vue. Précisons cependant que la « profitabilité » concerne ici l’imputation d’un effet de concurrence entre des vidéos en VO non sous-titrées et la diffusion sur le sol français de versions traduites ou sous-titrées. J’ai du mal à croire qu’on puisse sans ridicule chiffrer cette « perte ». On aurait aussi bien pu penser (c’est ce que font d’autres distributeurs) que cette diffusion gratuite constituait une publicité pour ces produits.

    Mais ce que vous expliquez de la situation est éclairant. En l’occurrence, le choix du distributeur semble plus provenir de l’absence d’accord préalable avec le réalisateur que d’un réel problème économique. Encore une fois, ce qui est choquant, c’est que ce soit en la circonstance la volonté de l’éditeur qui s’impose au créateur plutôt que l’inverse. Mais telle est bien la réalité de la situation actuelle, qui voit effectivement défendre l’oeuvre (autrement dit la source de profit) plutôt que l’auteur – voire l’oeuvre contre l’auteur.

    Cessons donc, je le répète, d’appeler « droit d’auteur » ce qui est un droit de l’éditeur – qui a comme vous le soulignez sa justification. Outre l’avantage de nous éviter les tirades sur les grands principes, les fables du boulanger et sa baguette ou les leçons sentencieuses de juristes sûrs de leur fait, cette appellation permettrait de mieux identifier ce qui constitue les intérêts particuliers de l’une des parties, et non la règle qui doit s’imposer à tous.

  12. @ned votre point de vue ne se justifie qu’au regard de votre position professionnelle. Vous êtes bien de parti-pris : c’est votre gagne-pain. L’implication d’un Ken Loach est d’une autre nature,ce qui vient de son esprit et de son art, vous ne l’aurez jamais. il n’y a qu’un Ken Loach… des professionnels de la profession, des commerciaux, il y en a pléthore, il suffit d’avoir suivi les bonnes écoles.il y a aussi de bonnes écoles de formation au cinéma : indispensables pour faire de bons techniciens, mais pas forcément des auteurs. Ce qu’est à l’évidence Ken Loach… et jamais son … éditeur qui ne fait, désolé, qu’un métier. Sans les Ken Loach du monde entier, on ne parlerait même pas du métier d’éditeur-diffuseur, ils ne peuvent pas passer devant les auteurs, sinon par imposture.l’économie, contrairement à la pensée unique du moment présent, est un moyen, et non pas, comme vous le prétendez, une fin, et le TOUT.

  13. @randal : les producteurs, diffuseurs, éditeurs,… peuvent eux aussi argumenter que les Ken Loach et autres ont toujours besoin d’eux pour exister. Et c’est vrai, une culture de masse ne peut pas se construire sans moyens financiers. Enfin ne pouvait pas jusqu’ici, car la baisse du prix du matériel, l’accessibilité à certaines compétences et la modification complète des questions de diffusion sur Internet peuvent tout changer (mais peut être pas comme on l’imagine : le pouvoir change de mains mais il n’est pas évident qu’il soit plus facile d’être un cinéaste indépendant en 2010 qu’en 1960).
    Je ne pense pas qu’il faille mettre les artistes sur un piédestal, ni perpétuer le cliché qui veut que leur métier n’en soit pas un et qu’ils puisse s’exercer de manière pure et hors de toutes contingences économiques. C’est d’ailleurs cette vision qui brouille le débat sur le droit dit « d’auteur » à mon sens, c’est au nom de l’artiste au cœur pur que se votent des lois qui peuvent freiner la création ou la diffusion d’œuvres.

  14. « gunthert @schiste « n’a dans le cas présent fait appel à aucun de ses droits » après avoir cité le droit de divulgation 😀  » : http://twitter.com/gunthert/statuses/13480802631

    Bien, ceci confirme mon propos, ce billet a été écrit par une personne ne connaissant rien au droit d’auteur et qui n’a pas lu le CPI. La prochaine fois, évitez d’utiliser des termes que vous ne maîtrisez pas comme « droit moral » ou « droit d’auteur ».

    Comme je le disais dans mon précédent commentaire, le droit de divulgation est le droit qu’a l’auteur de rendre, ou pas, publique son oeuvre. Une fois l’oeuvre publiée il a usé de son droit. Je vous invite, à ce sujet, à lire le Code de la Propriété Intellectuelle, notamment ses articles 121-1 à 121-4.

    Pour vous expliquer plus clairement, le droit de divulgation équivaut au fait de rendre publique son oeuvre. Toutes les actions postérieures, méthode de diffusion etc., n’entrent pas dans se droit là. En gros c’est utilisable une fois, quand on rend l’oeuvre publique. Une fois ce droit utilisé, l’auteur peut alors user de son droit de repentir, et retirer l’oeuvre de la circulation.

    Après on peut débattre du système de création actuel, de ses agents et des liens économiques et contractuels qui existent. Mais ça n’a rien à voir avec le droit d’auteur.

  15. Bigre, que de gracieusetés! A mon tour, je suis épaté que des commentateurs qui se permettent de me donner des leçons de propriété intellectuelle avec tant de suffisance soient si ignorants de la réalité du droit d’auteur. Savent-ils ce qu’est une oeuvre orpheline? Savent-ils que ces oeuvres représentent plus de 90% du catalogue que les éditeurs conservent soigneusement verrouillé? (voir mon billet: “J’aimerais que Google rende visible mon livre sur le net”) On peut toujours prétendre ensuite que le droit n’a aucun rapport avec le réel – ce qui n’est pas exactement la meilleure façon de témoigner qu’on a compris à quoi il sert 😉

  16. J’en retire qu’il faut distinguer le droit moral juridique (que tu explicites @schiste) du droit moral, dans le sens de « légitime », dont vous faites allusion @gunthert.

    Il y a donc le débat économique, qui s’appuie sur un code juridique, expression d’un état économique et le débat sur le bien culturel et ses possibilités de création et diffusion, de nature supérieur à l’objet économique, assimilable à un élément de « patrimoine humain ».

    Le débat juridico-économique est primordial pour comprendre ce qui se passe, il faut donc rappeler que le droit d’auteur s’applique au territoire d’émission, que l’auteur cède une partie de ses droits dans son contrat de financement, et qui explique pourquoi les vidéos ne sont plus disponibles sur youtube. Le diffuseur a fait la demande de retrait, il en avait le droit.

    Maintenant, ces faits n’interdisent pas de s’indigner de la marchandisation (ou des déclinaisons actuelles de valorisation et d’échange de bien artistique et culturel). La question des alternatives pour le financement sont ouvertes, mais de manière clair, pour ne pas ne pas mésinterpréter les arguments de chacun.

  17. @Christophe : le point que souligne André avec cet article me semble au contraire très clair, et c’est que le nom générique « droit d’auteur » produit un contre-sens. Car si les juristes savent à quoi s’en tenir au sujet de ce droit assez technique, on ne peut pas en dire autant des législateurs et on ne peut pas dire non plus que le débat soit honnêtement présenté au public.

  18. eh bien voilà…
    quand André pose un problème de fond, la possibilité de rendre public par un auteur son oeuvre puisqu’il dispose visiblement du support « matériel » chez lui, les prétendus « propriétaires » d’autres supports ont les moyens juridico-commerciaux de s’y opposer et d’occulter cette oeuvre puisqu’ils n’en retireront pas un profit. On est loin de leur prétention à défendre les auteurs. C’est aussi pour ces arguties ( ayant force de loi ) que nous sommes définitivement privés des films de Pierre Etaix par distributeurs et tribunaux, alors même que TOUS nous savons que l’auteur a été escroqué par ce distributeur, qui laisse de surcroit se détériorer négatifs et contre-types. Mais, bien entendu, il est dans son bon droit « contractuel »…

  19. @Randal une question de fond ? Il soulève que Ken Loach a eu la liberté de céder, contre de l’argent je suppose, ses droits patrimoniaux (je n’entre pas dans le débat de savoir quelle est la législation applicable ;)) à un tiers et qu’a posteriori il regrette et voudrait récupérer les droits céder.

    Selon la législation française, il le peut, mais devra dédommager la personne a qui il avait céder ses droits (normal, rupture de contrat classique).

    Ensuite il mélange HADOPI et droit d’auteur. Pour information, à part sur une frange très spécifique du droit d’auteur (relatif aux journalistes), HADOPI n’a rien changé à la législation.

    Bref, le code de la propriété intellectuelle protège l’auteur en lui donnant le pouvoir de jouir de ses droits comme il le souhaite. Là, Ken Loach, a souhaité les céder. C’est son droit.

    Bref, ce billet est non-seulement incorrect mais mélange des sujets qui n’ont rien à voir. Si j’osais je dirais que c’est de la démago, mais j’oserai pas…

    Oh et puis si, j’ose, ce billet est démago et sans intérêt. Ce genre d’articles est même dommageable pour les personnes qui essaient de faire bouger les choses.

  20. Dans le cas de Pierre Etaix, je suppose qu’une diffusion sur Internet serait possible, car le contrat de cession des droits patrimoniaux est ancien et donc je suppose antérieur à Internet. Or le droit français ne permet pas de céder des droits sur des usages qui ne sont pas définis au moment de la signature.
    La clause citée par Amélie  » d’exploitation du film et de tout ou partie de ses éléments dans le monde entier, en tous formats, en toutes langues sous tous titres, par tous modes, moyens, PROCEDES CONNUS OU A DECOUVRIR….” est à ma connaissance nulle en droit français.

  21. @Christophe « Ce genre d’articles est même dommageable pour les personnes qui essaient de faire bouger les choses. »
    Bouger quelles choses? Pourriez-vous préciser vos termes et votre pensée? Dommageable en quel sens? ces « personnes » sont-elles représentatives, majoritaires, élues ou une partie importante de la société? En bref, l’humanité et la culture survivront-elles si A. Gunthert continue à écrire ce genre d’article?
    😉

  22. Je suis impressionné par la pugnacité des juristes en herbe qui viennent ici faire leur leçon de droit d’auteur, Code de la Propriété Intellectuelle à la main… Oui, l’opération est légale… mais immorale et absurde !
    André ne dit pas que l’opération de blocage est illégale… elle est simplement étrangère à ce qu’on pourrait appeler sans mentir un droit d’auteur… Il est érigé ici en argument massue par des intermédiaires qui au nom de sa défense philantropique protègent surtout leurs bénéfices…
    C’est tout. La défense de la veuve et de l’orphelin du jeune auteur volé par une horde de pirates sans foi ni loi, c’est une fable inventée par les intermédiaires pour protéger leur rente… L’auteur, ils ne s’en soucient que dans la mesure où il leur rapporte de l’argent…
    Ce qui est choquant, d’un point de vue moral, c’est de faire passer une rente indue pour un droit… de voir des businessmen se faire passer pour les gardiens des muses… et occasionnellement de découvrir la complicité de certains poètes mélancoliques, si sensibles, si détachés des foules sentimentales qui leur remplissent les poches, qui s’inquiètent, soudain, pour leurs 4X4 et leur villa corse…

  23. @Thierry : la clause sur les moyens « à découvrir » est peut-être nulle mais personnellement il m’est arrivé de la signer !
    Une chose intéressante dans le droit des auteurs est que ceux-ci reprennent leurs droits s’il est établi que le titulaire des droits ne fait pas son possible pour exploiter les œuvres. Cependant, je connais de nombreux cas où les éditeurs (je connais surtout des cas dans le monde de l’édition) préfèreraient se couper un bras que de rendre aux auteurs des œuvres qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas exploiter… Alors les choses doivent se régler devant les tribunaux. Triste.

  24. Merci à Jean-no, Ksenija et Olivier, mais je crois que les choses sont en effet assez claires 😉

    Deux visions s’opposent. Une vision juridique étroite qui borne le rôle de la loi à celui d’un agent de circulation – feu vert, je passe, feu rouge, je m’arrête. De l’autre, la vision de l’auteur, qui a parfaitement compétence pour s’exprimer ici sur le fond. Un point de vue que nos commentateurs semblent ignorer absolument, à tous les sens du terme.

    Pour ceux qui préfèrent la réflexion aux coups de sifflet, voici deux articles pour la prolonger:
    – Mon IPhone m’a tuer: Voici trois siècles naissait… la légende du droit d’auteur
    – Nonfiction: Le droit d’auteur est-il une notion périmée?

  25. @Jean-No moi aussi, après avoir perdu un gros client. J’ai même eu l’occasion d’en discuter avec un juriste français salarié dans une grande entreprise américaine (il y a déjà pas mal d’années). Il m’a expliqué que le contrat était la traduction d’un contrat américain qu’il savait nul en droit français. Mais que ce n’était pas son problème. Si la branche française de l’entreprise faisait signer des contrats conforment à la législation française, c’est lui qui aurait des problèmes. Si par contre, ils avaient un jour un procès avec un auteur, peu importe qu’ils le perdent, sa responsabilité personnelle ne serait pas mise en cause par son employeur, car il aurait fait signer le contrat préconisé par le siège américain.

    Le droit d’auteur européen a été inventé pour renforcer la position de l’auteur dans la négociation avec son client (au sens large: acheteur d’une oeuvre matériel, cession de droits de reproduction etc.). Ca part d’un constat historique, dans la relation économique normale, l’auteur est en position de faiblesse. C’est un constat que l’on pourrait étendre à un grand nombre de relations économiques (ne serait-ce par exemple que la relations entre les producteurs agricoles et les grandes surfaces par exemple), mais le législateur a considéré que les auteurs devaient bénéficier d’une protection spécifique qui tenait tant à la spécificité de leur travail qu’à son utilité sociale.
    C’est imparfait, car même si ça renforce au moins en théorie la position de l’auteur, ça ne change pas pour autant la réalité du rapport économique et l’obligation dans laquelle l’auteur est bien souvent de devoir en passer par les conditions que son client veut lui imposer. Mais la législation est une épée de Damocles qui peut tomber sur le producteur, acheteur des droits si un jour l’auteur est suffisamment désespéré pour aller en justice avec les conséquences que cela risque d’avoir sur son activité économique.
    La pierre angulaire du système, c’est la distinction qui est faite par le législateur entre le support physique de l’oeuvre et les droits de reproduction, représentation qui lui sont ou non associés.
    L’article que cite André Gunthert Nonfiction: Le droit d’auteur est-il une notion périmée? montre comment la dématérialisation du support avec Internet pose pour le moins un problème avec la définition actuelle du droit d’auteur.
    J’y ajouterai que pour être protégé, l’oeuvre doit être « originale ». Cette notion d’originalité dépendant en fait totalement de l’appréciation, en son âme et conscience, du juge. Or notre culture associe la notion de rareté à la notion d’oeuvre d’art. Un certains nombres de procès récents montrent que les juges ont de plus en plus de mal à reconnaître ce caractère d’originalité à la photographie en raison de l’effet de banalisation du à Internet.

  26. Pour en revenir à Ken Loach, et sans avoir lu son contrat, il faut bien comprendre que le législateur s’il a voulu favoriser les auteurs, n’en avait pas moins pour but de créer une sécurité juridique pour l’acquéreur des droits. C’est l’objet de tous les contrats. Sans sécurité juridique, ce n’est pas la peine de signer un contrat. Ainsi, si l’auteur a un droit de repentir, c’est dans la pratique quasiment jamais mis en oeuvre, car il doit dédommager celui qui les acquis de bonne foi.
    De même en cédant des droits de représentation qui donneraient une exclusivité au producteur sur un certain nombre de modes de représentation ou de reproduction, il est supposé avoir touché une rémunération qui prenait en compte cette exclusivité accordée au distributeur. Si Internet était inclus dans cette cession, diffuser ses oeuvres sur Internet, ce serait vouloir le beurre et l’argent du beurre. Si, Internet n’est pas indiqué nommément dans la cession de droit, en France il n’a pas cédé ce droit, contrairement au droit anglo-saxons, même si dans le contrat il y a une clause genre  » par tous modes, moyens, PROCEDES CONNUS OU A DECOUVRIR… »

  27. @Thierry : le mot « droit d’auteur » produit un contre sens. Il s’agit du droit relatif aux biens immatériels/intellectuels, aux œuvres de l’esprit, mais en persistant à parler de « droit d’auteur » on laisse penser une chose qui est fausse, qui serait non seulement que ce droit sert à protéger les auteurs (fait historiquement incontestable) mais que les droits sur les œuvres appartiennent à leurs auteurs (fait nettement moins évident).
    Le cas de Pierre Étaix est le plus terrible exemple : le bonhomme a plus de quatre-vingt ans mais on ne peut pas voir ses films à cause d’un distributeur abusif qui est incapable d’exploiter ces œuvres et ne le fera pas, et préfère temporiser procès après procès (la justice a donné raison à Étaix mais si j’ai bien compris, tout reste bloqué par un appel) : ici, le droit dit « d’auteur » empêche à l’auteur d’exister et au public d’accéder à son œuvre, ce n’est plus une question de litige sur les modalités de diffusion mais carrément une question d’impossibilité à accéder à ces films (et je suppose que la boite abusive aurait le droit de faire un procès à quelqu’un qui téléchargerait « Yoyo »).
    Ces questions se télescopent avec une réalité du cinéma, qui est qu’on ne fait pas un film tout seul sur ses deniers et en le diffusant soi-même (finie l’époque des Winsor McCay et autres qui faisaient tous les métiers du cinéma tout seul).
    Mais le problème se pose dans d’autres domaines où l’auteur n’a pas de comptes à rendre. Je connais plusieurs cas dans l’édition, où l’éditeur bloque un livre qu’il ne ressortira pas pour autant, et le fait par principe (ne pas lâcher), pour la durée prévue par contrat… C’est nettement moins défendable.

  28. Un auteur cède des droits de reproduction et de représentation moyennant rémunération. C’est tout l’intérêt économique du droit d’auteur pour les auteurs. Donc clairement une partie de ces droits peut cesser d’appartenir à l’auteur pendant une durée nécessairement limitée dans le temps.
    Le problème c’est lorsqu’il y a une contestation devant le tribunal. Le tribunal dit le droit. Malheureusement dans le cas du droit d’auteur (ainsi que, dans un registre différent, de ce que l’on appelle le droit à l’image ), la loi définit des principes, plus qu’elle ne dit le droit. Le résultat est donc toujours aléatoire et repose au final pour une bonne part sur l’intime conviction du juge.
    Ce qui est sans doute le meilleur moyen de ne pas assurer de sécurité juridique.
    Les jurisprudences sont souvent contradictoires à quelques années d’interval. Ce peut-être l’idéologie dominante dont le juge est une expression qui a changé, ou un avocat de l’une des deux parties qui a réussi à inverser une tendance parce qu’il a été particulièrement brillant.
    De plus, lorsqu’il s’agit d’aller devant le tribunal, on retrouve la relation économique déséquilibrée entre l’auteur et le diffuseur, car même si la justice française est « bon marché » par rapport à la justice anglo-saxone, les moyens financiers dont disposent les auteurs les mettent généralement en position de faiblesse vis à vis de leurs adversaires. Je pense que Pierre Etaix aurait de bonne chance devant un tribunal s’il cherchait à ne diffuser ses films que sur le net. Mais à quel prix tant physique que économique ?

  29. @Thierry : À propos du coût de la justice, j’ai eu un début de procès avec un fabricant de montres de luxe dont l’avocat m’a dit que je pouvais très bien gagner le procès, mais dans plusieurs années et après avoir revendu ma maison et un de mes reins. C’est à dire qu’il savait que je gagnerais le procès in fine du fait que je ne faisais rien de répréhensible et que j’avais le droit à la liberté d’expression de mon côté, mais que pour son client, il était important de se montrer impitoyable de manière totalement systématique envers toute personne qui utiliserait son nom hors du cadre qui arrange ses affaires.
    On parle beaucoup de la lenteur des procédures : apparemment ça profite avant tout à ceux qui ont les moyens d’assumer cette lenteur…

  30. Si on reste sur le territoire français -cas simple- on sait que la notion de droit d’auteur en audiovisuel est complexe et ne peut pas se résumer dans un article Internet.
    On sait par exemple que les films de Méliès sont très difficiles à voir en raison des réticences de sa famille, la série des « secrets de la mer Rouge » a longtemps été bloquée pour les mêmes raisons. On sait aussi que nombre de productions ORTF des années 70 sont quasiment impossibles à voir en raison de la multiplication à l’époque des ayants-droits. Une série télévisée avait même été rebaptisée à l’INA « les Droits maudits », c’est dire.

    Bref, tant qu’ils ne remettront pas les pieds sur Terre, les internautes n’auront pas fini de pester…

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